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13/12/2018 | FRANCE | N°16PA03684

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 13 décembre 2018, 16PA03684


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née le 6 juin 2015 du silence gardé par le magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale sur sa demande, en date du 4 mai 2015, d'effacement des données personnelles la concernant inscrites dans le fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " et, d'autre part, de condamner l'État à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice

elle causé par le maintien illégal dans ce fichier de ces données.

Par une ordo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née le 6 juin 2015 du silence gardé par le magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale sur sa demande, en date du 4 mai 2015, d'effacement des données personnelles la concernant inscrites dans le fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " et, d'autre part, de condamner l'État à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice à elle causé par le maintien illégal dans ce fichier de ces données.

Par une ordonnance n° 1514995 du 11 octobre 2016, le président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 9 décembre 2016 et un mémoire enregistré le 12 septembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance 1514995 du 11 octobre 2016 du président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a décliné la compétence de l'ordre juridictionnel administratif pour connaître de la demande de MmeA..., dès lors que l'attribution de la compétence au juge judiciaire en matière de contestation des refus d'effacement des données personnelles du fichier du traitement des antécédents judiciaires résultant de la modification des articles 230-8 et 230-9 du code de procédure pénale par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ne s'applique pas aux instances en cours, conformément aux dispositions de l'article 112-3 du code pénal et aux prescriptions de la circulaire du 17 juin 2016 précisant les modalités d'application de cette loi ;

- Mme A...est fondée à obtenir l'effacement du fichier du traitement des antécédents judiciaires des données afférentes à sa condamnation en date du 8 décembre 2009 pour des faits de diffamation, dès lors que ces faits constituent une contravention de 1ère classe qui n'a pas à figurer audit fichier ;

- elle n'est en revanche pas fondée à demander l'effacement des données afférentes à sa condamnation en date du 5 juillet 2005 pour des faits d'accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données dès lors, d'une part, que les dispositions de l'article 230-8 du code de procédure pénale rendent une telle demande irrecevable pour les personnes condamnées et, d'autre part, que la durée de conservation des données dans une telle occurrence est fixée à quarante ans ;

- elle n'est pas non plus fondée à demander l'effacement des données afférentes à des procédures judiciaires en cours, dans lesquelles elle apparait en tant que victime, dès lors que la recherche des auteurs d'infractions constitue la finalité même du fichier de traitement des antécédents judiciaires ;

- l'État n'ayant commis aucune faute en l'espèce, la demande indemnitaire de Mme A... n'est pas fondée.

Par des mémoires en défense et en appel incident enregistrés le 19 juin 2017 et le 15 septembre 2017, Mme A..., représentée par Me D... conclut :

1°) à l'annulation de l'ordonnance n° 1514995 du 11 octobre 2016 du président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) à l'annulation de la décision implicite de rejet née le 6 juin 2015 du silence gardé par le magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale sur sa demande, en date du 4 mai 2015, d'effacement des données personnelles la concernant inscrites dans le fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale de procéder, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à l'effacement des données personnelles la concernant inscrites dans le fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " ;

4°) à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice par elle subi du fait du maintien illégal de ses données personnelles dans le fichier traitement des antécédents judiciaires ;

5°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif était compétent pour juger sa requête, pour les motifs exposés par le garde des sceaux et parce que la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris était en attente du décret d'application de la loi ;

- l'inscription dans le fichier traitement des antécédents judiciaires des données afférentes à sa qualité de victime dans différentes procédures judiciaires est disproportionnée au regard de ses nombreuses conséquences dommageables pour sa vie privée ;

- le maintien dans le fichier traitement des antécédents judiciaires des données afférentes à sa condamnation du 5 juillet 2005 est disproportionné au regard des faits en cause ;

- la mention dans le fichier des données afférentes à sa condamnation du 8 décembre 2009 est illégale, dès lors que ces faits sont constitutifs d'une contravention de première classe qui n'a pas à figurer dans ce fichier en application de l'article R. 40-27 du code de procédure pénale ;

- dès lors que le ministre de la justice admet que certaines des mentions la concernant, inscrites dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires, sont illégales, la responsabilité de l'État doit être reconnue sur le terrain de la faute ;

- elle justifie d'un préjudice de nature psychologique à raison des multiples démarches qu'elle a dû engager en vue d'obtenir l'effacement des données la concernant et des multiples conséquences dommageables pour sa vie privée du maintien d'inscriptions la concernant au fichier " traitement des antécédents judiciaires ".

Vu les autres pièces du dossier.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 31 mars 2017, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 et la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 ;

- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-670 QPC du 27 octobre 2017 ;

- la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 ;

- le décret n° 2012-652 du 4 mai 2012 ;

- le décret n° 2017-1217 du 2 août 2017 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision du Tribunal des conflits n° 4134 du 8 octobre 2018.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de Mme Nguyên Duy, rapporteur public,

- et les observations de MmeA....

Une note en délibéré a été présentée le 29 novembre 2018 pour Mme A....

1. Considérant que Mme A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née le 6 mai 2015 du silence gardé par le magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale sur sa demande d'effacement des données personnelles le concernant inscrites dans le fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " et, d'autre part, de condamner l'État à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice à elle causé par le maintien illégal desdites données dans ce fichier ; que, par une ordonnance du 11 octobre 2016, le président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; que le garde des sceaux, ministre de la justice fait appel de cette ordonnance devant la Cour ; que, par la voie de l'appel incident, Mme A...demande également l'annulation de cette ordonnance et présente devant la Cour les mêmes conclusions que devant le tribunal administratif de Paris ;

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Considérant que si les données nominatives figurant dans le fichier "traitement des antécédents judiciaires" institué, en application des articles 230-6 et suivants du code de procédure pénale, par les articles R. 40-23 à R. 40-34 du même code, issus du décret du 4 mai 2012 relatif au traitement d'antécédents judiciaires, portent sur des informations recueillies au cours d'enquêtes préliminaires ou de flagrance ou d'investigations exécutées sur commission rogatoire et concernant tout crime ou délit ainsi que certaines contraventions de cinquième classe, les décisions en matière d'effacement ou de rectification prises, en application des articles 230-8 et 230-9 du code de procédure pénale, par le procureur de la République ou par le magistrat désigné à cet effet, qui ont pour objet la tenue à jour de ce fichier et sont détachables d'une procédure judiciaire, constituent non des mesures d'administration judiciaire, mais des actes de gestion administrative du fichier ; qu'elles peuvent, par suite, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ;

3. Considérant, toutefois, que le 2° de l'article 68 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, publiée le 4 juin 2016 au Journal officiel de la République française, a modifié l'article 230-9 du code de procédure pénale en y ajoutant un quatrième alinéa selon lequel les décisions prises en matière d'effacement ou de rectification des données personnelles par le magistrat désigné par le ministre de la justice " sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris " ; que le 3° du même article a complété l'article 230-11 du code de procédure pénale, lequel renvoie à un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la fixation des modalités d'application, notamment, des articles 230-8 et 230-9 du même code, pour y prévoir que ce décret précise, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent contester les décisions prises par le procureur de la République ou le magistrat référent en matière de maintien, d'effacement ou de rectification des données ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du code civil : " Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures " ;

5. Considérant que les dispositions législatives mentionnées au point 3, qui ont pour effet de modifier la répartition des compétences entre l'ordre de juridiction administratif et l'ordre de juridiction judiciaire, ne peuvent, conformément aux principes rappelés ci-dessus, s'appliquer qu'à la condition qu'aucune disposition ne fasse obstacle à leur entrée en vigueur immédiate ; qu'il résulte clairement du 3° de l'article 68 de la loi du 3 juin 2016 que le législateur a entendu subordonner l'entrée en vigueur de la modification de la répartition des compétences entre l'ordre de juridiction administratif et l'ordre de juridiction judiciaire, qu'il a décidée, à l'intervention d'un décret pris dans les formes prévues par l'article 230-11 du code de procédure pénale ; qu'en l'absence d'un tel décret en Conseil d'État, il est constant que n'étaient déterminées ni les conditions, notamment de forme et de délai, dans lesquelles la chambre de l'instruction de la cour d'appel territorialement compétente peut être saisie par les personnes intéressées, ni les modalités de communication de cette requête au ministère public, ni les voies et délais de recours susceptibles d'être exercés à l'encontre de la décision rendue par la chambre de l'instruction ; que ces modalités n'ont d'ailleurs été fixées que par l'article R. 40-31-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 8 du décret du 2 août 2017 modifiant le traitement d'antécédents judiciaires, publié au Journal officiel de République française le 3 août 2017 ; que, dans ces conditions, l'application des modifications apportées par l'article 68 de la loi du 3 juin 2016 était manifestement impossible à la date de l'ordonnance contestée ; que, par suite, ces dispositions n'étaient pas entrées en vigueur et la juridiction administrative restait compétente pour statuer sur les demandes tendant à l'annulation des décisions de refus d'effacement de données personnelles du fichier " traitement des antécédents judiciaires " prises en application des articles 230-8 et 230-9 du code de procédure pénale ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice et Mme A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande présentée devant ce tribunal au motif qu'elle a été portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; qu'il y a donc lieu d'annuler cette ordonnance et, l'affaire étant en état, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de première instance présentée par MmeA..., qu'elle reprend d'ailleurs dans ses conclusions d'appel incident ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

7. Considérant que le Tribunal des conflits a jugé dans sa décision n° 4134 du 8 octobre 2018 que les dispositions de l'article 230-8 du code de procédure pénale, telles que modifiées par l'article 68 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, en vertu desquelles les décisions du procureur de la République en matière d'effacement ou de rectification des données personnelles sont désormais susceptibles de recours devant le président de la chambre de l'instruction, sont d'application immédiate aux instances en cours devant les juridictions administratives, dès lors qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance ; qu'il en va nécessairement de même des décisions rendues sur le fondement de l'article 230-9 du même code par le magistrat référent ;

8. Considérant, dès lors, que la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par Mme A..., sur laquelle aucun jugement au fond n'a été rendu en première instance, ne relève plus de la compétence de la juridiction administrative ; qu'elle ne peut donc qu'être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, en ce comprises ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1514995 du 11 octobre 2016 du président de la 6ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à Mme B...A....

Copie en sera adressée :

- au procureur général de Paris ;

- au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ;

- et au magistrat référent mentionné à l'article 230-9 du code de procédure pénale.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLa présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 16PA03684


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03684
Date de la décision : 13/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Application dans le temps - Entrée en vigueur - Entrée en vigueur subordonnée à l'intervention de mesures d'application.

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Droits civils et individuels.

Droits civils et individuels.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY
Avocat(s) : EPOMA

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-13;16pa03684 ?
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