Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'engager la responsabilité de l'Etat-ministère de la justice à lui verser la somme de 113 722, 51 euros, en réparation du harcèlement moral dont il a été victime et au titre des fautes liées à sa non titularisation, son absence de présentation à la médecine du travail, la rupture abusive de son contrat de travail et l'imputation de ses jours de formation sur ses congés payés, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1507117 du 11 juillet 2016, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à M. A...une somme de 8 000 euros en réparation des préjudices subis et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête n° 1602893 et un mémoire complémentaire, enregistrés le 12 septembre 2016 et 14 avril 2017, M. A...représenté par Me Arlaud demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1507117 du 11 juillet 2016 en tant qu'il limite le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 8 000 euros ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 113 722, 51 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros au titre des frais de justice, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- il a été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique à compter de l'arrivée de ce dernier en septembre 2012 et que l'Etat doit à ce titre être condamné à lui verser une somme de 50 000 euros,
- il a été victime d'une rupture fautive de son contrat de travail et que l'Etat doit à ce titre être condamné à lui verser une somme de 40 602,51 euros,
- l'Etat en ne le titularisant pas a commis une illégalité fautive,
- l'Etat lui a illégalement demandé d'imputer des jours de formation sur ses congés payés et doit être condamné à ce titre à lui verser une somme de 3 410 euros,
- l'Etat ne lui a illégalement jamais fait bénéficier d'une visite médicale et doit à ce titre être condamné à lui verser une somme de 9 369 euros,
- l'Etat doit être condamné à réparer le préjudice né de son absence fautive de titularisation à hauteur de 10 000 euros.
Par une lettre enregistrée le 1er octobre 2018, le président de la formation de jugement a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de retenir un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à ce que la responsabilité pour faute soit engagée pour défaut de titularisation, absence de présentation à la médecine du travail, rupture abusive du contrat de travail et imputation des jours de formation sur les congés payés, qui relèvent de causes juridiques distinctes du harcèlement moral allégué, car elles n'ont pas fait l'objet d'une demande préalable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2018, la garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II - Par une requête n° 16PA02962 et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 20 septembre et 2 novembre 2016, le garde des Sceaux, ministre de la justice demande à la Cour d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1507117
du 11 juillet 2016 et de rejeter la demande introduite par M. A...devant le Tribunal administratif de Melun.
Il soutient que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis et que c'est à tort que le Tribunal administratif l'a condamné à verser à M. A...une somme de 8 000 euros à ce titre.
Par un mémoire en défense et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 19 octobre 2016, 9 janvier et 14 avril 2017, M. A...conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais de justice.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une lettre enregistrée le 1er octobre 2018, le président de la formation de jugement a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de retenir un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à ce que la responsabilité pour faute soit engagée pour défaut de titularisation, absence de présentation à la médecine du travail, rupture abusive du contrat de travail et imputation des jours de formation sur les congés payés, qui relèvent de causes juridiques distinctes du harcèlement moral allégué, car elles n'ont pas fait l'objet d'une demande préalable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me Arlaud, avocat de M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A...a été recruté, le 1er mars 2012 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de six mois, en qualité de responsable d'unité éducative au sein de l'unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) de Meaux, qui dépend de l'établissement de placement éducatif et d'insertion (EPEI) de cette ville. Son contrat a été renouvelé le 1er septembre 2012 pour une durée d'un an, puis le 14 août 2013, avec effet au 1er septembre 2013 pour une durée de trois ans. Par une lettre du
25 mars 2015, l'intéressé a transmis au directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse de Seine-et-Marne un rapport circonstancié de sa situation professionnelle faisant état des faits de harcèlement moral qu'il estime avoir subis de la part de son supérieur hiérarchique. Par une lettre du 7 mai 2015, à laquelle il n'a pas été apporté de réponse expresse, M. A...a demandé au directeur territorial d'engager une procédure visant à faire cesser ces troubles, de mettre en place une procédure de protection fonctionnelle, d'entamer une procédure de réparation du préjudice subi et de procéder à une avance de frais de procédure. Par un jugement du 11 juillet 2016 dont M. A...et le garde des Sceaux, ministre de la justice, relèvent respectivement appel, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à M. A...une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Sur la recevabilité de l'appel :
2. Il ressort des pièces du dossier que le ministre a accusé réception du jugement dont il est fait appel, le 20 juillet 2016. L'intéressé disposait alors, à compter de cette date, d'un délai d'appel franc de deux mois pour contester ce jugement, soit jusqu'au 21 septembre 2016. Il n'était donc pas forclos lorsqu'il a introduit, le 20 septembre 2016, sa requête d'appel devant la cour de céans.
3. M. A...fait, en outre, valoir qu'à défaut de fournir d'éléments nouveaux en appel, la requête du ministre serait irrecevable. Toutefois, cette seule circonstance n'est pas de nature à rendre la requête irrecevable alors, au surplus, qu'elle a été amplement étoffée par la production d'un mémoire ampliatif.
Sur la recevabilité des conclusions de première instance afférentes à l'engagement de la responsabilité de l'Etat s'agissant des fautes commises autres que le harcèlement moral :
4. M. A...a présenté, dans sa demande de première instance, en sus de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat pour des faits de harcèlement, des conclusions tendant à ce que la responsabilité pour faute de l'Etat soit également engagée pour défaut de titularisation, absence de présentation à la médecine du travail, rupture abusive de son contrat de travail et imputation des jours de formation sur ses congés payés. Le garde des Sceaux, ministre de la justice, a opposé en première instance, à titre principal, l'irrecevabilité de ces conclusions pour défaut de liaison du contentieux, et n'a défendu sur le fond qu'à titre subsidiaire. En se bornant, dans sa demande préalable adressée à l'administration le 7 mai 2015, à ne solliciter l'engagement de la responsabilité de l'Etat que pour les faits de harcèlement moral dont il se dit victime, M. A...doit être regardé comme n'ayant pas souhaité à travers cette demande engager la responsabilité pour faute de l'Etat en raison des autres motifs. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une demande préalable à ces fins aurait été adressée par l'intéressé à l'administration avant que la fin de non recevoir ne soit opposée. Ces autres fautes relèvent de causes juridiques distinctes de celle afférente aux faits de harcèlement moral. Par suite, ces conclusions présentées par M. A...devant les premiers juges n'ayant pas été liées, doivent être rejetées pour irrecevabilité.
5. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée pour absence de titularisation, défaut de présentation à la médecine du travail, rupture abusive de son contrat de travail et imputation de ses jours de formation sur ses congés payés.
Sur le harcèlement moral allégué :
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;
7. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe ensuite à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
9. M. A...fait valoir qu'il a subi à compter du mois de septembre 2012 des faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique direct M.C.... Il soutient que ce dernier l'a dénigré régulièrement, ne lui a laissé que très peu de marge dans l'exercice de ses fonctions cherchant à les réduire et aurait tenu des propos humiliants et déplacés à son égard lors d'une réunion de service tenue le 23 mars 2015.
10. En premier lieu, pour établir la réalité du dénigrement régulier dont il dit avoir été victime, M. A...produit au dossier plusieurs attestations. Toutefois, la plupart d'entre elles proviennent d'agents qui n'ont pas travaillé avec l'intéressé, mais qu'il a rencontrés lors de la formation qu'il a suivie, avec succès, pendant deux ans afin d'obtenir le certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (CAFERUIS). Ces attestations, au demeurant peu circonstanciées, n'ont donc pas été émises par des témoins directs des faits reprochés par M. A...et se bornent dès lors à relater les faits tels qu'ils leur ont été racontés par l'intéressé. Si M. A...produit en outre quelques attestations exprimées par des agents ayant travaillé avec lui, celles-ci sont trop peu circonstanciées et pour certaines émises par des agents soit ayant exercé temporairement au sein de la structure en qualité de stagiaire, soit étant arrivés quelques semaines avant que l'appelant ne quitte la structure. Concernant l'attestation établie par l'épouse de M.A..., si cette dernière a été témoin quotidien de l'état physique et psychologique de son mari, elle n'a pas été témoin direct des agissements reprochés. Le ministre, qui a substantiellement complété son dossier en appel, produit quant à lui huit attestations émanant d'agents ayant tous travaillé avec M.A..., recueillies lors de l'enquête interne qui a été diligentée à l'issue de la réunion du 23 mars 2015. Ces agents témoignent de manière concordante du fait que si M. A...et son supérieur hiérarchique direct pouvaient être en désaccord et avoir des différents professionnels, ils n'ont jamais entendu de propos humiliants de la part de M. C...à l'égard de l'appelant. Ils indiquent également n'avoir pas décelé d'inimitié particulière entre les deux hommes, le supérieur hiérarchique ayant même offert à M. A...un cadeau pour le féliciter d'avoir obtenu son CAFERUIS et ayant également plaidé pour sa titularisation. Tous insistent, en revanche, sur le fait que le service étant depuis plusieurs années en sous effectif notoire, cette situation avait un impact négatif certain sur son fonctionnement et, donc, sur l'ambiance de travail.
11. En deuxième lieu, si M. A...affirme que M. C...ne lui laissait aucune marge de manoeuvre dans l'exercice de ses fonctions, outrepassant ainsi son rôle de supérieur hiérarchique, il ne l'établit pas. Il lui reproche également d'avoir attendu deux années pour élargir son champ d'intervention, alors que cela aurait dû être fait plus rapidement. Toutefois, il résulte de l'instruction que dès son arrivée dans le service et ce, pendant près de deux années, M. A...a suivi une formation qualifiante en alternance avec son activité au sein du service. C'est donc légitimement que
M. C...a préféré attendre l'issue de cette formation, au terme de laquelle l'intéressé a d'ailleurs été certifié, pour élargir le champ de ses fonctions.
12. En troisième et dernier lieu, enfin, s'agissant de la réunion tenue le 23 mars 2015 au cours de laquelle M. C...aurait haussé le ton de manière inacceptable à l'égard de M.A..., qu'il aurait humilié, l'intéressé produit une seule attestation insuffisamment circonstanciée d'un témoin indirect. En revanche, le ministre produit en défense de nombreuses attestations d'agents interrogés lors de l'enquête précédemment évoquée et ayant tous assisté à cette réunion. S'ils font état du ton sec et agacé avec lequel M. C...a pu s'exprimer, ils indiquent toutefois que
celui-ci est uniquement intervenu en sa qualité de supérieur hiérarchique en faisant part de son mécontentement à propos d'un dossier confié à M. A...qu'il estimait n'avoir pas été suffisamment travaillé.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des éléments soulevés par l'intéressé, ni la somme de ceux-ci, ne permettant de caractériser un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Le garde des Sceaux, ministre de la justice est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à M. A...une somme de 8 000 euros au titre du harcèlement moral subi, à solliciter le rejet de la demande introduite par l'intéressé devant le Tribunal administratif de Melun. Pour les mêmes motifs, les conclusions d'appel de M.A..., y compris celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1507117 du 11 juillet 2016 est annulé en tant qu'il a engagé la responsabilité de l'Etat pour des faits de harcèlement moral à l'égard de
M. A...et l'a condamné à lui verser une somme de 8 000 euros à ce titre.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel présentées par M. A...sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et à la garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEULe président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne à la garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 16PA02893...