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29/11/2018 | FRANCE | N°18PA01915

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 29 novembre 2018, 18PA01915


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...et M. G...A...ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Trocy-en-Multien à leur verser la somme de 371 800 euros en réparation du préjudice résultant de la délivrance, le 5 novembre 2014, d'un certificat d'urbanisme positif illégal en vue de la réalisation d'un lotissement pavillonnaire de quatre terrains à bâtir et de sa voie d'accès sur des parcelles leur appartenant 10-12 rue de Beauval.

Par un jugement n° 1602953 du 18 avril 2018, le tribunal admini

stratif de Melun a condamné la commune de Trocy-en-Multien à verser à chacun d'e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...et M. G...A...ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Trocy-en-Multien à leur verser la somme de 371 800 euros en réparation du préjudice résultant de la délivrance, le 5 novembre 2014, d'un certificat d'urbanisme positif illégal en vue de la réalisation d'un lotissement pavillonnaire de quatre terrains à bâtir et de sa voie d'accès sur des parcelles leur appartenant 10-12 rue de Beauval.

Par un jugement n° 1602953 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Trocy-en-Multien à verser à chacun d'eux la somme de 2 460 euros avec les intérêts légaux à compter du 23 juin 2016, les intérêts échus à la date du 23 juin 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 6 juin 2018 et 26 octobre 2018, MM. D...et G...A..., représentés par MeB..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602953 du 18 avril 2018 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a limité leur indemnisation à 2 460 euros chacun ;

2°) de condamner la commune de Trocy-en-Multien à leur verser la somme de 371 800 euros en réparation du préjudice résultant de la délivrance, le 5 novembre 2014, d'un certificat d'urbanisme positif illégal ;

3°) de condamner la commune de Trocy-en-Multien à payer les intérêts sur cette somme à compter de la demande préalable indemnitaire, soit le 24 février 2016, et à les capitaliser à l'expiration d'une période de douze mois à compter de cette date ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Trocy-en-Multien une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en déclarant leur parcelle aménageable et le projet réalisable, alors qu'ils ne l'étaient pas, le maire de la commune de Trocy-en-Multien a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;

- ils ont subi une perte de chance de réaliser un bénéfice de 90 000 euros par lot, soit 360 000 euros au total, alors qu'ils disposaient d'un projet suffisamment abouti ;

- les deux factures du géomètre de 240 euros datées du 17 novembre 2014, ainsi que celle de 1 200 euros à la charge de M. D...A...correspondent à des frais exposés en vain qui doivent être indemnisés, tout comme ceux retenus par le tribunal ;

- ils ont dépensé une énergie considérable pour leur projet d'aménagement et doivent être indemnisés de 3 000 euros au titre du préjudice moral et de 1 000 euros au titre des troubles dans leurs conditions d'existence ;

- les factures d'avocat qu'ils ont présentées pour un total de 2 400 euros sont postérieures au premier refus de permis d'aménager et se rattachent à la faute invoquée ; si le tribunal estimait qu'ils entraient dans le cadre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il devait les mettre à la charge de la commune à ce titre.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2018 la commune de Trocy-en-Multien, représentée par MeF..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 18 avril 2018 en tant qu'il l'a condamnée à payer la somme totale de 4 920 euros à MM. A...et de rejeter la demande de première instance ;

3°) de mettre la somme de 2 000 euros à la charge solidaire de MM. A..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que les factures du géomètre aient été réglées ; ce professionnel n'a pas pu ne pas attirer l'attention des requérants sur l'illégalité de leur projet d'aménagement au regard de l'article UB 6 du plan local d'urbanisme et ils ont engagé des frais en toute connaissance de cause ;

- la réalité des autres préjudices invoqués par les consorts A...et leur lien de causalité avec le certificat d'urbanisme positif illégalement délivré ne sont pas démontrés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- les conclusions de Mme Nguyên Duy, rapporteur public,

- les observations de Me B..., représentant les consortsA..., et de Me E..., représentant la commune de Trocy-en-Multien.

Une note en délibéré présentée pour MM. D...et G...A...a été enregistrée le 19 novembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. MM. D...et G...A...ont obtenu le 5 novembre 2014 un certificat d'urbanisme pré-opérationnel positif pour la création d'un lotissement de quatre terrains à bâtir sur les parcelles cadastrées section ZD numéros 5, 47, 48 et 49 sises 10-12 rue de Beauval à Trocy-en-Multien en Seine-et-Marne. Ils ont ensuite déposé un dossier de demande de permis d'aménager le 22 avril 2015. Ce permis leur a été refusé le 6 juillet 2015. Sur leur recours gracieux, l'arrêté du 6 juillet 2015 a été retiré le 18 septembre 2015 mais le refus de permis d'aménager a été maintenu au motif de la méconnaissance par le projet des dispositions de l'article UB 6 du plan local d'urbanisme. Par une demande reçue le 24 février 2016 et implicitement rejetée, MM. D...et G...A...ont demandé à la commune de les indemniser des préjudices que leur a causé la délivrance d'un certificat d'urbanisme positif erroné. Ils font appel du jugement du tribunal administratif de Melun qui ne leur donne que partiellement satisfaction, alors que la commune demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation des condamnations prononcées à son encontre.

Sur la responsabilité :

2. La délivrance d'un certificat d'urbanisme positif irrégulier constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune envers le bénéficiaire. En l'espèce, un certificat d'urbanisme pré opérationnel positif a été délivré aux consorts A...alors que l'article UB 6 du règlement du plan d'occupation des sols faisait obstacle à l'autorisation de l'aménagement projeté. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Trocy-en-Multien.

Sur les préjudices :

3. En vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci ne peut être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute et le dommage invoqué.

4. D'une part, si les consorts A...font valoir, sans d'ailleurs le démontrer, qu'ils envisageaient de vendre chacun des quatre lots projetés pour la somme de 90 000 euros et allèguent avoir subi une perte de bénéfice de 360 000 euros, l'impossibilité de vendre leur terrain à ce prix est sans lien avec la délivrance du certificat d'urbanisme positif illégal du 5 novembre 2014 et ne résulte que de l'illégalité, au regard des règles du plan d'occupation des sols, de l'opération qu'ils envisageaient.

5. D'autre part, dans les conditions de l'espèce, et alors que les intéressés se bornent à soutenir qu'ils ont dépensé une " énergie considérable " pour la réalisation de l'opération immobilière envisagée, le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence qui résulteraient de la délivrance d'un certificat faussement positif ne sont pas établis.

6. S'agissant des frais de géomètre, il résulte de l'instruction que les factures du 17 novembre 2014 d'un montant de 240 euros à la charge de chacun des deux requérants correspondent à des frais " d'étude du dossier ", " d'établissement du plan de situation " et de " demande et envoi du certificat d'urbanisme " qui, alors même que la facture, qui mentionne d'ailleurs qu'elle est déjà acquittée, n'a été établie qu'après la délivrance du certificat d'urbanisme, doivent être regardés comme engagés en vue de l'obtention de celui-ci. Ces frais auraient été exposés en tout état de cause et ne résultent pas du caractère erroné du certificat d'urbanisme délivré. La facture au nom de M. D...A..., datée du 14 janvier 2016 et réglée le 27 janvier 2016, d'un montant de 1 200 euros, correspond à une opération de division du seul terrain du 12 rue de Beauval, postérieure de plus de six mois au premier refus de permis d'aménager. Le lien entre la faute dont se prévalent les requérants et ces frais n'est pas établi. MM. A...ne sont donc pas fondés à soutenir que l'indemnité que leur a allouée le tribunal au titre des frais de géomètre exposés en vain devrait être augmentée du montant de ces factures.

7. En revanche, les factures du 6 janvier 2015 de 1 500 euros et du 18 août 2015 d'un montant de 960 euros adressées à chacun des deux requérants doivent être regardées comme ayant un lien avec la faute alléguée, dès lors qu'elles sont relatives à l'établissement des documents nécessaires au permis d'aménager. Aucune faute ne peut être reprochée aux consorts A...dans l'établissement de ce dossier de demande de permis d'aménager, conforme au certificat d'urbanisme opérationnel positif que venait de leur délivrer la commune. Le règlement des factures ressort suffisamment des pièces versées au dossier. En conséquence, la commune de Trocy en Multien n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement contesté, la somme de 2 460 euros à verser à chacun des requérants a été mise à sa charge.

8. Enfin, les consorts A...ne démontrent pas que les factures d'avocat qu'ils produisent correspondraient à des frais, exposés en conséquence de la délivrance fautive du certificat d'urbanisme, qui seraient distincts des frais liés à la présente instance, lesquels ne sont indemnisables que dans le cadre de l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, MM. D...et G...A...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement contesté, limité à la somme de 2 460 euros l'indemnité due à chacun d'eux, et, d'autre part, la commune de Trocy en Multien n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à demander l'annulation du jugement en tant qu'il la condamne à verser ces sommes.

Sur les intérêts :

10. MM. A...justifient en appel de la réception par la commune, le 24 février 2016, de leur demande préalable. Dès lors, ils ont droit dès cette date, comme ils le demandent, aux intérêts sur les indemnités dues.

Sur la capitalisation des intérêts :

11. Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande prend effet à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Les consorts A...ont demandé le 23 juin 2016 la capitalisation des intérêts qui étaient dus, comme dit ci-dessus, à compter du 24 février 2016. Dès lors, il y a lieu de faire droit à leur demande de capitalisation à compter du 24 février 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9, 10 et 11 du présent arrêt qu'il y a seulement lieu de réformer le jugement du tribunal administratif de Melun afin de fixer au 24 février 2016 la date à partir de laquelle les indemnités qu'il fixe seront productives d'intérêts et au 24 février 2017 la date de première capitalisation des intérêts échus.

Sur les frais liés au litige :

13. Les consorts A...ont exposé, en première instance et en appel, des frais afin de faire valoir leurs droits. Il y a lieu de mettre à ce titre à la charge de la commune de Trocy-en-Multien une somme globale de 1 500 euros à leur verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la commune, partie perdante, puisse en invoquer le bénéfice.

DÉCIDE :

Article 1er : Les indemnités que la commune de Trocy-en-Multien a été condamnée à verser à MM. D... et G...A...par les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Melun porteront intérêts à compter du 24 février 2016. Les intérêts échus à la date du 24 février 2017 puis à chaque échéance annuelle successive seront capitalisés pour porter eux même intérêt.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Trocy-en-Multien versera une somme globale de 1 500 euros à MM. D... et G...A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A...est rejeté.

Article 5 : Les conclusions d'appel incident de la commune de Trocy-en-Multien et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A..., à M. G...A...et à la commune de Trocy-en-Multien.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Legeai, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.

Le rapporteur,

A. LEGEAI La présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M.C...

La République mande et ordonne à la préfète de Seine-et-Marne en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01915


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01915
Date de la décision : 29/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Plans d'aménagement et d'urbanisme. Plans d`occupation des sols (POS) et plans locaux d'urbanisme (PLU).


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY
Avocat(s) : SELARL BASSET et MACAGNO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-11-29;18pa01915 ?
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