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18/10/2018 | FRANCE | N°16PA01650

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 18 octobre 2018, 16PA01650


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ENR Gardon a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler les décisions des 21 juillet, 7 août et 2 octobre 2014 par lesquelles la société Electricité de France (EDF) a refusé de conclure un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque située sur le territoire de la commune de Redessan (Gard) selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010 et, d'autre part, d'enjoindre à la société EDF de conclure un tel contr

at pour une durée de vingt ans ou, à défaut, pour une durée de

dix-neuf ans, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ENR Gardon a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler les décisions des 21 juillet, 7 août et 2 octobre 2014 par lesquelles la société Electricité de France (EDF) a refusé de conclure un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque située sur le territoire de la commune de Redessan (Gard) selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010 et, d'autre part, d'enjoindre à la société EDF de conclure un tel contrat pour une durée de vingt ans ou, à défaut, pour une durée de

dix-neuf ans, onze mois et vingt jours, à compter de la date de mise en service de l'installation.

Par un jugement n° 1428610/2-1 du 22 mars 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 mai 2016, 3 avril 2017 et 31 juillet 2018, la société ENR Gardon, représentée par Me de Gérando, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1428610/2-1 du 22 mars 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions des 21 juillet, 7 août et

2 octobre 2014 de la société Electricité de France ;

3°) d'enjoindre à la société Electricité de France de conclure un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque située sur le territoire de la commune de Redessan selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 10 juillet 2006 à compter de la date de mise en service de l'installation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) d'enjoindre à la société Electricité de France de procéder à la régularisation de sa situation et de procéder au paiement de la production injectée sur le réseau public de distribution d'électricité depuis la mise en service de son installation sur la base du tarif fixé par l'arrêté du 10 juillet 2006 ;

5°) de mettre à la charge de la société Electricité de France le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des producteurs d'énergie d'origine photovoltaïque et du droit à l'effectivité de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions (CORDIS) ;

- l'article 4 du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 méconnaît le principe de non-rétroactivité des actes administratifs en imposant à une situation juridique déjà constituée et tirée de l'acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau public de distribution d'électricité, notifiée au gestionnaire avant le 2 décembre 2010, une condition tenant à la mise en service de l'installation en cause dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de la proposition technique et financière de raccordement au réseau afin de bénéficier des conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 10 juillet 2006 ; il méconnaît ainsi l'article 10 de la loi du 10 février 2010 qui ne prévoyait pas une telle rétroactivité ; la notion de " maintien des contrats en cours " doit être interprétée largement et doit lui permettre de conserver le bénéfice du tarif préférentiel ;

- la suspension de l'obligation d'achat d'électricité n'est pas justifiée par la circonstance que cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ; l'évaluation du dépassement des objectifs de cette programmation dépend nécessairement des situations juridiques constituées ;

- l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 méconnaît le principe de sécurité juridique, d'une part, en imposant, sans préavis, des délais d'achèvement et de mise en oeuvre de l'installation en cause, ce qui porte une atteinte excessive à ses intérêts privés et, d'autre part, en ne prévoyant pas de prorogation de ce délai alors que le projet tendant à la réalisation de l'installation en cause devait être appréhendé dans son ensemble ; elle n'a pas agi par spéculation ; les aléas tenant à la procédure de raccordement ont nécessairement impacté la sécurité juridique du projet d'élaboration de l'installation en cause ;

- l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 méconnaît le principe de confiance légitime, le pouvoir réglementaire n'ayant pas prévu de délai prorogeant les délais d'achèvement de l'installation ;

- en raison de son imprécision, cet article méconnaît les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;

- il méconnaît le principe d'égalité ;

- l'article 5 du décret du 9 décembre 2010 méconnaît le principe de non-rétroactivité et la liberté contractuelle en ce qu'il impose une nouvelle demande complète de raccordement pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat ;

- en tout état de cause, elle bénéficiait d'une interruption du délai de dix-huit mois prévu par les dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 du fait de la procédure engagée devant le CORDIS ; la décision du CORDIS consacre en outre cette interruption ; une autre interprétation conduirait à porter atteinte à l'effectivité de cette décision et à méconnaître le principe d'égalité entre les producteurs d'énergie d'origine photovoltaïque dont la demande a été traitée par la société ERDF et ceux pour lesquels elle a retiré illégalement leur demande de la " file d'attente " alors qu'ils remplissaient les conditions de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 ;

- l'installation de la centrale photovoltaïque produit de l'électricité à perte en l'absence de contrat d'obligation d'achat conclu par la société EDF qui bénéficie ainsi indûment de l'électricité produite ;

- elle fait désormais l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 août 2016 et 13 juin 2017, la SA Electricité de France, représentée par Mes Guillaume et Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société ENR Gardon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000,

- le code de l'énergie,

- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010,

- l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000,

- l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Me de Gérando, avocat de la société ENR Gardon, et de

MeA..., substituant Mes Guillaume et Coudray, avocat de la société Electricité de France.

Considérant ce qui suit :

1. La société ENR Gardon, venant aux droits de la société Avpro Solar, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1428610/2-1 du 22 mars 2016 par lequel le Tribunal administratif

de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation des décisions des 21 juillet,

7 août et 2 octobre 2014 par lesquelles la société EDF a refusé de conclure un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque située sur le territoire de la commune de Redessan (Gard) selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010 et, d'autre part, à enjoindre à la société EDF de conclure un tel contrat pour une durée de vingt ans ou, à défaut, pour une durée de dix-neuf ans, onze mois et vingt jours, à compter de la date de mise en service de l'installation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, en estimant au point 5 de leur jugement que la société ENR Gardon ne pouvait utilement se prévaloir de la circonstance que le comité de règlement des différends et des sanctions (CORDIS), dans le cadre du litige qui a opposé la société Avpro Solar à la société Electricité Réseau Distribution de France (ERDF), a fixé au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de l'installation de production de cette société, les premiers juges ont nécessairement répondu au moyen tiré de la méconnaissance du " droit à l'effectivité de la décision du CORDIS ".

3. D'autre part, il ressort du dossier de première instance transmis à la Cour par le Tribunal administratif de Paris que la société ENR Gardon n'a pas soulevé devant les premiers juges le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les producteurs d'énergie d'origine photovoltaïque. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ont omis de répondre à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. L'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, désormais codifié à l'article L. 314-1 du code de l'énergie, dispose que : " Sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national : / [...] ; 2° Les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables, [...].Un décret en Conseil d'Etat fixe les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l'obligation d'achat. / [...] et le quatorzième alinéa du même article, repris à l'article L. 314-6 du code de l'énergie dispose que : " Sous réserve du maintien des contrats en cours et des dispositions de l'article 50, l'obligation de conclure un contrat d'achat prévu au présent article peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements. / [...] ".

5. L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil dispose que : " L'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l'article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l'entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ". et aux termes de l'article 3 du même décret : " Les dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ". L'article 4 précise, toutefois, que : " le bénéfice de l'obligation d'achat au titre de l'article 3 est subordonné à la mise en service de l'installation dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de l'acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ou, lorsque cette notification est antérieure de plus de neuf mois à la date d'entrée en vigueur du présent décret, à la mise en service de l'installation dans les neuf mois suivant cette date. / Les délais mentionnés au premier alinéa sont prolongés lorsque la mise en service de l'installation est retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement et à condition que l'installation ait été achevée dans les délais prévus au premier alinéa. La mise en service de l'installation doit, dans tous les cas, intervenir au plus tard deux mois après la fin des travaux de raccordement. / La date de mise en service de l'installation correspond à la date de mise en service de son raccordement au réseau ", enfin, aux termes de l'article 5 du même décret : " A l'issue de la période de suspension mentionnée à l'article 1er, les demandes suspendues devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, le 18 mars 2010, la société ERDF a adressé à la société Avpro Solar, aux droits de laquelle vient la société ENR Gardon comme il a déjà été dit, en réponse à sa demande, une proposition technique et financière de raccordement de son installation de production d'énergie photovoltaïque au réseau public de distribution d'électricité, que la société Avpro Solar a retournée signée à la société ERDF le 24 mars 2010. La convention de raccordement a été notifiée à la société Avpro Solar le 29 octobre 2010. Par une lettre du

24 février 2011, la société ERDF, alors que la demande de la société Avpro Solar entrait dans le champ d'application de la dérogation prévue par l'article 3 du décret du 9 décembre 2010, l'a informée qu'elle ne pouvait donner suite à sa demande de raccordement, la convention de raccordement n'ayant pas été signée et renvoyée dans le délai de trois mois prévu par la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production aux réseaux publics de distribution. La société Avpro Solar a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (CORDIS) de la Commission de régulation de l'énergie qui, par une décision le 19 septembre 2012, a pris acte de l'accord des parties pour réintégrer le projet en cause dans la " file d'attente " à la date du 21 septembre 2009 et a fixé au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de la centrale de production photovoltaïque de la société Avpro Solar. Par des décisions des 21 juillet, 7 août et 2 octobre 2014, la société Electricité de France a rejeté la demande de la société ENR Gardon à fin de conclure un contrat d'achat de l'électricité et l'a invitée à présenter une nouvelle demande.

7. En premier lieu, il ressort des pièces versées au dossier que si, à la date d'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010, soit le 10 décembre suivant, la société ENR Gardon avait accepté la proposition de convention de raccordement au réseau public de distribution d'électricité émanant de la société ERDF et l'avait signée, elle n'avait, en revanche, pas conclu de contrat d'achat d'électricité avec la société EDF. Si le raccordement constitue un préalable technique nécessaire à la délivrance de l'électricité produite à la société EDF, il n'en résulte, cependant, pas que le contrat de raccordement soit l'accessoire du contrat d'achat d'électricité. Dans ces conditions, la société ENR Gardon ne peut utilement invoquer la réserve du " maintien des contrats en cours " prévue au quatorzième alinéa de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée et repris à l'article L. 314-6 du code de l'énergie, laquelle ne vise que les contrats d'achat d'électricité effectivement conclus à la date de publication de ce décret. Par suite, la seule circonstance que la société ENR Gardon ait signé une convention de raccordement avec la société ERDF avant le 2 décembre 2010 ne pouvait l'exclure du dispositif du décret du 9 décembre 2010. Dans ces conditions, la société ENR Gardon ne peut, à l'appui du moyen tiré de l'illégalité dudit décret, soulevé par la voie de l'exception, soutenir qu'il aurait porté atteinte à une situation contractuelle constituée et méconnu le principe de non-rétroactivité.

8. En outre, la société ENR Gardon, qui ne peut pas se prévaloir comme il vient d'être dit d'une situation juridiquement constituée en l'absence d'un contrat la liant avec la société EDF avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010, n'est pas davantage fondée à soutenir que les dispositions de l'article 5 de ce décret prévoyant le dépôt d'une nouvelle demande de raccordement au réseau à l'issue de la période de suspension afin de bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat de l'électricité méconnaîtraient le principe de non-rétroactivité, ni qu'elles porteraient atteinte à la liberté contractuelle.

9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 citées au point 4 du présent arrêt que l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité prévue par cet article peut être suspendue totalement ou partiellement si elle ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements. Sur ce fondement, ont été exclues du champ de la suspension les installations pour lesquelles l'acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010. La différence de traitement selon le stade d'avancement des installations de production d'électricité découle nécessairement de l'entrée en vigueur de la mesure contestée. Ainsi, en suspendant l'obligation de conclure un contrat d'achat pour les producteurs qui avaient notifié leur acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010 mais dont l'installation photovoltaïque n'avait pas été mise en service dans le délai de dix-huit mois à compter de la notification de cette acceptation et en exceptant de la suspension les producteurs dont l'installation était mise en service dans le délai de dix-mois, les dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 n'ont pas méconnu le principe d'égalité.

10. En troisième lieu, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle. En l'espèce, au regard de l'intérêt général qui s'attachait à redéfinir les conditions d'achat de l'électricité issue de l'énergie radiative du soleil et des effets limités dans le temps de la mesure de suspension prononcée, qui réservait en outre les projets les plus avancés, son application immédiate ne peut être regardée comme ayant entraîné une atteinte excessive aux intérêts en cause. En subordonnant le maintien de l'obligation de conclure un contrat d'achat aux conditions antérieures, pour les installations ayant fait l'objet d'une acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010, à la mise en service des installations dans un délai au moins égal à neuf mois à compter de la publication du décret, prorogé le cas échéant des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement, le pouvoir réglementaire a laissé aux producteurs d'électricité, qui n'avaient pas encore conclu de contrat d'achat d'électricité avec la société EDF, des délais raisonnables pour leur permettre de mettre en service ou au moins d'achever leur installation. Par suite, la société requérante ne peut, à l'appui du moyen tiré de l'illégalité dudit décret, soulevé par la voie de l'exception, soutenir qu'il aurait méconnu le principe de sécurité juridique. La circonstance que la société ENR Gardon n'aurait pas agi par spéculation est sans incidence sur cette appréciation. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit, dès lors, être écarté.

11. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'adoption du décret du 9 décembre 2010 dont l'objet a été de redéfinir les conditions d'achat de l'électricité issue de l'énergie radiative du soleil ainsi que de préciser les effets limités dans le temps de la mesure de suspension, comme il a déjà été dit, n'a pas méconnu le principe de confiance légitime dès lors qu'un opérateur économique prudent et avisé, au regard duquel doit s'apprécier la mise en oeuvre du principe de confiance légitime, n'était pas dans une situation telle qu'il n'aurait pas été mis en mesure de prévoir la suspension provisoire de l'obligation d'achat et la remise en cause des tarifs applicables aux installations pour lesquelles un contrat d'achat d'électricité n'avait pas encore été conclu. La société ENR Gardon n'est pas fondée à soutenir qu'elle est profane en la matière et que l'installation photovoltaïque en cause constitue la seule installation qu'elle a réalisée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime ne peut qu'être écarté.

12. En cinquième lieu, la société ENR Gardon n'est pas fondée à soutenir que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime impliquaient que l'article 4 du décret du

9 décembre 2010 définisse plus précisément les causes de prolongation du délai d'achèvement de l'installation. En effet, les dispositions de l'article 4 du décret susvisé déterminent de manière suffisamment précise les conditions auxquelles est subordonné le maintien du bénéfice de l'obligation d'achat pour les installations ayant fait l'objet d'une acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010. En particulier, elles indiquent que le délai de mise en service de l'installation pouvait être prolongé en raison d'aléas tenant à la réalisation des travaux de raccordement et, en conséquence, elles ont pu ne pas prévoir une prolongation du délai d'achèvement de l'installation dont les aléas n'étaient pas supposés dépendre de contraintes liées à la gestion du réseau public de distribution d'électricité.

13. En sixième lieu, les dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 subordonnent, comme il a déjà été dit, le bénéfice de l'obligation d'achat, pour les installations dont le producteur a notifié son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010, à la mise en service de l'installation dans un délai de dix-huit mois à compter de cette notification, lorsque celle-ci n'a pas été antérieure de plus de neuf mois à la date d'entrée en vigueur de ce décret, le délai de dix-huit mois étant prolongé lorsque la mise en service de l'installation a été retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement, l'installation devant, en tout état de cause, être achevée dans ce délai et sa mise en service intervenir au plus tard deux mois après la fin de ces travaux. Dans l'hypothèse où le gestionnaire de réseau a, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 3 de ce décret, décidé de sortir un projet de la " file d'attente " de raccordement alors qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions de cet article, cette circonstance ne saurait ouvrir droit au bénéfice de l'obligation d'achat lorsque la condition d'achèvement de l'installation dans le délai de dix-huit mois n'a pas été satisfaite.

14. Il ressort des pièces du dossier que les travaux de raccordement de la centrale photovoltaïque de la société ENR Gardon ont été réalisés par la société ERDF le 24 octobre 2013, que la société ENR Gardon a achevé, à la fin du mois de mars 2014, l'installation de la centrale photovoltaïque en cause qui a été mise en service le 11 avril 2014. L'achèvement de cette centrale photovoltaïque est ainsi intervenu plus de dix-huit mois après la notification à la société ERDF le 24 mars 2010 de l'acceptation par la société requérante de la proposition technique et financière de raccordement au réseau. Dans ces conditions et en application des dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010, le délai de mise en service de l'installation en cause ne pouvait être prolongé par le délai nécessité par les travaux de raccordement effectués par la société ERDF. En outre, contrairement à ce que soutient la société ENR Gardon, ni le retrait illégal par la société ERDF de sa demande de raccordement de la " file d'attente ", ni la saisine du CORDIS le 20 juin 2011 ou encore la décision de ce comité rendue le 19 septembre 2012 n'ont interrompu ce délai qui expirait le 24 septembre 2011. Si le CORDIS a fixé au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de la centrale de production photovoltaïque en cause, sa décision prise dans le cadre du litige opposant la société

ENR Gardon à la société ERDF est sans incidence sur la computation du délai de dix-huit mois prévu par l'article 4 du décret susmentionné. Il ressort toutefois des termes des décisions contestées des 7 août et 2 octobre 2014 que la société EDF a retenu la date fixée par le CORDIS comme date limite de la mise en service de l'installation de la société ENR Gardon. Comme il a été dit, l'installation de la centrale photovoltaïque ayant été achevée par la société ENR Gardon postérieurement à la date admise par la société EDF, elle ne remplissait donc pas la condition posée par les dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 pour bénéficier des dispositions dérogatoires de l'article 3 du même décret.

15. En septième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'imposait aux sociétés ERDF et EDF de l'informer de l'obligation de mettre en service l'installation en cause avant le 24 septembre 2011.

16. En huitième lieu, la société ENR Gardon soutient qu'elle a été victime d'une double discrimination, d'une part, en se voyant refuser l'accès au réseau et, d'autre part, en ne pouvant pas bénéficier de l'obligation d'achat aux conditions tarifaires auxquelles ont droit les autres producteurs ayant notifié, comme elle, leur proposition technique et financière avant le

2 décembre 2010. Toutefois, les producteurs qui ont notifié leur acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010 mais dont l'installation photovoltaïque n'avait pas été mise en service dans le délai de dix-huit mois à compter de la notification de cette acceptation ou n'était pas encore achevée dans ce délai dans l'hypothèse où la société ERDF avait sorti illégalement un projet de la " file d'attente " de raccordement, et, les producteurs dont l'installation était mise en service dans le délai de

dix-mois ne sont pas placés dans une situation identique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et de l'existence d'une discrimination doit être écarté.

17. En neuvième et dernier lieu, si la société ENR Gardon soutient que la suspension de l'obligation d'achat d'électricité n'est pas justifiée par la circonstance qu'elle ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements et que l'évaluation du dépassement des objectifs de cette programmation dépend nécessairement des situations juridiques constituées, telle la sienne, elle n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ce moyen ne pourra qu'être écarté.

18. Il résulte de ce qui précède que la société EDF était fondée à opposer la suspension de l'obligation d'achat d'électricité et à refuser de conclure avec la société ENR Gardon un contrat d'achat d'électricité en vertu des conditions tarifaires fixées à l'arrêté du 12 janvier 2010.

19. Les circonstances que l'installation de la centrale photovoltaïque de la société ENR Gardon produirait de l'électricité à perte en l'absence de contrat d'obligation d'achat conclu par la société EDF qui bénéficierait ainsi indûment de l'électricité produite et que la société requérante fasse désormais l'objet d'une procédure de redressement judiciaire sont sans incidence quant à l'application des dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010.

20. Enfin, à supposer que la société ENR Gardon ait entendu invoquer un vol de panneaux solaires dont elle aurait été la victime dans la nuit du 12 au 13 décembre 2013, qui l'aurait empêché de respecter la date limite de mise en service fixée au 1er mars 2014 par le CORDIS, cette circonstance, à la supposer même établie, est sans influence sur l'application des dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société ENR Gardon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 21 juillet, 7 août et 2 octobre 2014 par lesquelles la société Electricité de France a refusé de souscrire un contrat d'obligation d'achat selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction présentées par la société ENR Gardon ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Electricité de France, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, verse à la société ENR Gardon la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, également, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par la société Electricité de France.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société ENR Gardon est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Electricité de France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ENR Gardon et à la société Electricité de France.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 octobre 2018.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01650


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01650
Date de la décision : 18/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie.

Energie - Marché de l'énergie - Tarification - Electricité.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP BAKER et MACKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-10-18;16pa01650 ?
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