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20/09/2018 | FRANCE | N°18PA01061

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 septembre 2018, 18PA01061


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 6 février 2018 par lequel le préfet de police a décidé qu'il serait transféré aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1802445/8 du 6 mars 2018, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet compétent de procéder au réexamen de la situation administrative de M. D...dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugemen

t et de lui délivrer, le temps de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour et a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 6 février 2018 par lequel le préfet de police a décidé qu'il serait transféré aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1802445/8 du 6 mars 2018, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet compétent de procéder au réexamen de la situation administrative de M. D...dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, le temps de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. D....

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 18PA01061 les 29 mars 2018 et 20 juillet 2018, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802445/8 du 6 mars 2018 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a estimé qu'il avait méconnu le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors que M. D...ne justifiait pas de l'existence de circonstances qui seraient de nature à constituer des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;

- les autres moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2018, M.D..., représenté par Me Sarhane, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de police ;

2°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la requête du préfet de police est insuffisamment motivée ;

- le moyen soulevé par le préfet de police n'est pas fondé ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il a méconnu son droit à l'information garanti par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors que l'information qui lui a été délivrée quant à l'application du règlement n'était pas complète et le résumé de l'entretien était bref et succinct ;

- il a méconnu l'article 5 du règlement susmentionné dès lors que les conditions de confidentialité n'ont pas été respectées par l'interprète ; le résumé de l'entretien était bref et succinct ; il n'a pas correctement compris les informations fournies dans la mesure où il n'a pas été à même de faire état des mauvais traitements dont il a été victime en Italie, ni des défaillances systémiques du dispositif italien d'accueil des demandeurs d'asile ;

- il a méconnu le 2° de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil, en raison des défaillances systémiques du dispositif italien d'accueil des demandeurs d'asile ;

- il a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le préfet de police aurait dû examiner la possibilité pour les autorités françaises de prendre en charge sa demande d'asile ;

- il aurait dû user de son pouvoir d'appréciation afin d'effectuer l'examen de sa demande d'asile et lui permettre de se maintenir sur le territoire français.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 18PA01062 le 29 mars 2018, le préfet de police demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1802445/8 du 6 mars 2018 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 avril 2018 et 3 juillet 2018, M.D..., représenté par Me Sarhane, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de police ;

2°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la requête du préfet de police est insuffisamment motivée ;

- le moyen soulevé par le préfet de police n'est pas fondé ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il a méconnu son droit à l'information garanti par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors que l'information qui lui a été délivrée quant à l'application du règlement n'était pas complète et le résumé de l'entretien était bref et succinct ;

- il a méconnu l'article 5 du règlement susmentionné dès lors que les conditions de confidentialité n'ont pas été respectées par l'interprète ; le résumé de l'entretien était bref et succinct ; il n'a pas correctement compris les informations fournies dans la mesure où il n'a pas été à même de faire état des mauvais traitements dont il a été victime en Italie, ni des défaillances systémiques du dispositif italien d'accueil des demandeurs d'asile ;

- il a méconnu le 2° de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil, en raison des défaillances systémiques du dispositif italien d'accueil des demandeurs d'asile ;

- il a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le préfet de police aurait dû examiner la possibilité pour les autorités françaises de prendre en charge sa demande d'asile ;

- il aurait dû user de son pouvoir d'appréciation afin d'effectuer l'examen de sa demande d'asile et lui permettre de se maintenir sur le territoire français.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951,

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride,

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 604/2013,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeF...,

- et les observations de MeA..., substituant Me Sarhane, avocat de M.D....

Considérant ce qui suit :

1. M.D..., de nationalité soudanaise, a été reçu à la préfecture de police le 18 octobre 2017 et a bénéficié d'un entretien individuel avec interprète lors duquel il a déclaré être passé, avant d'arriver en France, par le Tchad, la Libye et l'Italie. Après consultation du fichier Eurodac, il est apparu que ses empreintes avaient été enregistrées le 28 juillet 2017 en Italie. Saisies le 26 octobre 2017, les autorités italiennes ont implicitement accepté, le 26 décembre 2017, de prendre en charge l'examen de la demande d'asile de l'intéressé. Par un arrêté du 6 février 2018, le préfet de police a ordonné le transfert de M. D...aux autorités italiennes. Le préfet de police relève appel du jugement du 6 mars 2018 par lequel le magistrat délégué du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et demande, en outre, à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes susvisées n° 18PA01061 et n° 18PA01062, présentées par le préfet de police tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement du 6 mars 2018 du magistrat délégué du Tribunal administratif de Paris et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur la recevabilité de la requête du préfet de police :

3. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

4. Contrairement à ce que soutient M.D..., la requête du préfet de police contient l'exposé des faits et des moyens soulevés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation du jugement du 6 mars 2018 du magistrat délégué du Tribunal administratif de Paris et de rejet de la demande présentée par M. D...devant ce tribunal. Par suite, ce moyen manque en fait.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris :

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017, affaire n° C-578/16 PPU : " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ".

6. Pour annuler l'arrêté du 6 février 2018 par lequel le préfet de police a décidé de transférer M. D...aux autorités italiennes, le magistrat délégué a estimé que le préfet de police avait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire jouer la clause de souveraineté prévue par les dispositions susmentionnées alors que M. D... établissait qu'il existait de très sérieux risques que sa demande d'asile ne soit pas effectivement examinée en Italie dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'il soit soumis à un traitement dégradant.

7. M. D...soutient qu'il n'a pas pu bénéficier de soins médicaux adaptés à son état de santé en Italie, qu'il a été placé dans un centre de rétention avec des conditions de vie et d'hygiène très précaires et qu'aucune aide ne lui a été proposée pour effectuer les démarches afin de présenter une demande d'asile. Il produit au soutien de ses allégations le rapport annuel d'Amnesty International pour 2016-2017 et un article du journal Le Monde du 3 novembre 2016 faisant état de détentions arbitraires, de violences et de mauvais traitements envers les étrangers refusant de se soumettre à la prise d'empreintes à leur arrivée sur le territoire italien, d'entretiens effectués à la hâte sans que les intéressés aient été correctement informés de leurs droits et de " l'accord de rapatriement " conclu entre l'Italie et le Soudan. Toutefois, ces documents, qui font état de considérations générales quant à la situation des demandeurs d'asile en Italie, ne permettent pas d'établir que M. D...encourrait un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert en Italie. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris ne pouvait retenir le moyen tiré de la méconnaissance de l'alinéa 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé pour annuler l'arrêté du 6 février 2018 portant remise de M. D... aux autorités italiennes.

8. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les autres moyens soulevés par M.D... :

9. En premier lieu, par un arrêté n° 2017-01145 du 19 décembre 2017, régulièrement publié au Bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 26 décembre 2017, le préfet de police a donné à Mme C...B..., adjointe au chef du 10ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale de la préfecture de police, signataire de l'arrêté contesté, délégation à l'effet de signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers , en cas d'absence ou d'empêchement des chefs des 6ème, 7ème, 8ème, 9ème, 10ème et 11ème bureaux. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) " et aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".

11. L'arrêté du préfet de police du 6 février 2018 vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, la convention de Genève du 28 juillet 1951 modifiée par le protocole de New-York du 31 janvier 1967, le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement CE 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté précise également que M.D..., de nationalité soudanaise, entré irrégulièrement en France, et s'y étant maintenu sans être muni des documents et visa exigés par les textes en vigueur, s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris, le 18 octobre 2017, où il a effectué une demande de protection internationale. Il mentionne également qu'il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. D...au moyen du système " Eurodac " effectuée conformément au règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, que l'intéressé a franchi irrégulièrement les frontières de l'Italie le 28 juillet 2017. Il indique que l'intéressé s'est vu remettre le 18 octobre 2017 une attestation de demande d'asile en procédure Dublin en application des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les autorités italiennes responsables de la demande d'asile de M. D...ont été saisies le 27 octobre 2017 en application de l'article 13 (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et qu'elles ont accepté implicitement le 27 décembre 2017 de prendre en charge l'intéressé. L'arrêté mentionne également que M. D...ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, qu'il n'établit ni être dans l'impossibilité de retourner en Italie ni l'existence de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes responsables de sa demande d'asile. Ainsi, l'arrêté contesté comporte l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui fondent la décision de transfert aux autorités italiennes. Cette motivation satisfait aux exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté comme manquant en fait.

12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D...avant de prendre l'arrêté contesté. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure d'assurer l'accueil de M. D...et d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il s'ensuit que le préfet de police n'était pas, dans ces conditions tenu, d'examiner la possibilité pour les autorités françaises de prendre en charge sa demande d'asile.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. D...s'est vu remettre le 18 octobre 2017 les brochures " A " et " B " contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement susvisé du 26 juin 2013, ainsi que le guide du demandeur d'asile. Ces documents lui ont été remis en langue arabe dont l'intéressé avait indiqué qu'il la comprenait. La seule circonstance invoquée par M. D...que le résumé de l'entretien ait été concis n'est pas de nature à établir que l'ensemble des éléments d'information énoncés à l'article 4 du règlement (UE) susvisé du

26 juin 2013 ne lui a pas été délivré. Par suite, M. D...n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police a méconnu les dispositions précitées.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) susvisé du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

16. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel dont M. D... a bénéficié le 18 octobre 2017 et pendant lequel il a été assisté d'un interprète en langue arabe, aurait, en tout état de cause, été conduit en méconnaissance des garanties de confidentialité prévues par les dispositions précitées. Il ressort en particulier du formulaire rempli selon les éléments apportés par M. D...durant cet entretien que celui-ci a pu exposer sa situation personnelle avant d'être informé qu'il pourrait être soumis à la procédure dite " Dublin ", en application de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auquel cas il ferait l'objet d'une mesure de réadmission vers l'Italie en vue de l'examen de sa demande d'asile. La seule circonstance que le résumé de cet entretien figurant à la fin du formulaire soit très succinct n'est pas de nature à démontrer que l'entretien ne se serait pas déroulé dans des conditions conformes aux dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. En outre, le résumé de cet entretien mentionne, conformément aux exigences énoncées par le 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, la principale information fournie par l'intéressé consistant en son passage par l'Italie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

17. En dernier lieu, les documents versés aux débats, consistant comme il a déjà été dit en un rapport annuel d'Amnesty International pour 2016-2017 et un article du journal Le Monde du 3 novembre 2016 faisant état notamment de mauvais traitements envers les étrangers refusant de se soumettre à la prise d'empreintes à leur arrivée sur le territoire italien et d'entretiens effectués à la hâte sans que les intéressés aient été correctement informés de leurs droits et de " l'accord de rapatriement " conclu entre l'Italie et le Soudan, sont insuffisants pour démontrer que l'Italie présenterait des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou que la demande d'asile de M. D...ne serait pas examinée par les autorités italiennes conformément aux garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le moyen doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 6 février 2018 décidant la remise aux autorités italiennes de M. D....

Les conclusions de M. D...à fins d'annulation ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées, ainsi en tout état de cause que celles à fins d'injonction sous astreinte.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

19. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris du 6 mars 2018, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 18PA01062 par laquelle le préfet de police sollicitait de la Cour le sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'avocat de M. D...demande au titre des frais d'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18PA01062.

Article 2 : Le jugement n° 1802445/8 du 6 mars 2018 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...D...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 20 septembre 2018.

La rapporteure,

V. F...Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 18PA01061, 18PA01062


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01061
Date de la décision : 20/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-05 Étrangers. Réfugiés (voir : Asile) et apatrides.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SARHANE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-09-20;18pa01061 ?
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