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10/07/2018 | FRANCE | N°17PA03777

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 10 juillet 2018, 17PA03777


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Casserole et son gérant, M. A...C..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 116 000 euros et 80 000 euros en réparation des préjudices résultant pour eux des travaux de construction d'un centre sportif dans le 18ème arrondissement de Paris, d'autre part, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant-dire droit, une expertise en vue d'évaluer le préjudice subi.

Par un jugement n° 1407659/5-1 d

u 16 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Casserole et son gérant, M. A...C..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 116 000 euros et 80 000 euros en réparation des préjudices résultant pour eux des travaux de construction d'un centre sportif dans le 18ème arrondissement de Paris, d'autre part, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant-dire droit, une expertise en vue d'évaluer le préjudice subi.

Par un jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15PA02289 du 29 juillet 2016, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société La Casserole et par M. C...contre ce jugement.

Par une décision n° 403873 du 6 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 29 juillet 2016 de la Cour administrative d'appel de Paris et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 juin 2015, une note en délibéré du 15 juillet 2016, un mémoire enregistré le 28 janvier 2016 ainsi que des mémoires récapitulatifs enregistrés les 22 février 2018, 24 mai 2018 et 4 juin 2018, la société La Casserole et M.C..., représentés par Me Thomas-Derevoge, avocat, demandent la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner la ville de Paris à verser à la société La Casserole une somme de 116 000 euros au titre de son préjudice commercial résultant de la perte de son fonds de commerce et de la totalité de son chiffre d'affaires ;

3°) de condamner la ville de Paris à verser à M. C...une somme de 75 000 euros en réparation de son préjudice financier, notamment la perte de ses droits à pension de retraite ;

4°) d'assortir les condamnations prononcées au bénéfice de la société La Casserole et M. C... d'une pénalité de 2,5 %, à compter du 10 janvier 2013, date de la mise en demeure jusqu'à l'indemnisation effective des requérants au titre du préjudice distinct lié à l'indemnisation tardive ;

5°) à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'évaluer leur préjudice commercial et financier subi du fait des travaux réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de la Ville de Paris, et de les exonérer du versement d'une consignation ;

6°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement à la société La Casserole et à M. C... de la somme de 10 000 euros chacun, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de réserver les dépens.

Ils soutiennent que :

- ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision du 6 décembre 2017, la démolition de la cité Traëger et la construction d'un centre sportif constituent une opération unique de travaux publics ;

- le restaurant La Casserole a subi des désordres et des nuisances dès les travaux de démolition de la cité Traëger achevés en février 2002 qui ont conduit à une baisse continue de son chiffre d'affaires de 2003 à 2007 et à une cessation d'activité fin 2007 ;

- la baisse du chiffre d'affaires constatée avant la fermeture du restaurant est la conséquence de la pose de barrières de chantier en février 2002, barrant l'accès à deux des trois façades de l'établissement et plongeant la salle du restaurant dans la pénombre faute de pouvoir accéder aux volets extérieurs ;

- la question de l'existence d'un dommage anormal et spécial de nature à engager la responsabilité de l'administration a déjà été tranchée par le Tribunal administratif aux termes d'une ordonnance du juge des référés du 18 juin 2013 devenue définitive ;

- le préjudice de la société résulte de la perte de la totalité de sa clientèle et donc de son chiffre d'affaires à la suite de la fermeture complète du restaurant fin 2007 jusqu'à la reprise partielle en 2010 avec une transformation de son activité en bar, faute de cuisines, jusqu'à la fin de l'année 2013 ;

- une évaluation précise des pertes financières de la société fondée sur la perte de marge brute aboutit à une indemnisation d'au moins 116 000 euros ;

- la perte de 20 trimestres de cotisations pour M. C...entre 2004 et 2010 devra être indemnisée par une somme totae de 75 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 23 novembre 2015 et le 31 mai 2018, la ville de Paris, représentée par la SCP Didier et Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête, ainsi qu'au versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L .761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeB...,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Thomas-Derevoge, avocat de la société La Casserole et de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. La société La Casserole, qui exerçait depuis 2001 une activité de restauration au 17 rue Boinod dans le 18ème arrondissement de Paris et son gérant ont saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la ville de Paris à les indemniser des préjudices financier et commercial subis en leur qualité de riverains du fait des travaux de construction du centre sportif " Cité Traëger ", dont la ville était maître d'ouvrage. Par un jugement du 16 avril 2015, confirmé par un arrêt du 29 juillet 2016 de la Cour administrative d'appel de Paris, leur demande a été rejetée. Par une décision n° 403873 du 6 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.

Sur la responsabilité de la ville de Paris :

2. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

3. Il résulte de l'instruction que les travaux de démolition de la cité Traëger, entrepris en novembre 2001, se sont terminés en février 2002 et que la construction du centre sportif n'a commencé que le 3 septembre 2007 pour se terminer le 19 mai 2009. La réalisation de cette opération d'une durée totale de 7 années et 6 mois a occasionné pour le restaurant La Casserole et sa clientèle des nuisances continuelles liées au stationnement et au trafic de véhicules de chantier, aux bruits et poussières produits par les travaux tant de démolition que de construction, une baisse d'attractivité visuelle du site liée à l'état d'abandon du chantier contigu au restaurant pendant plus de cinq années, ainsi qu'une perturbation de l'activité commerciale liée à la pose de barrières métalliques de protection sur une partie de la façade condamnant les volets extérieurs et obscurcissant la salle du restaurant. Il résulte également de la note technique établie le 25 février 2010 par le sapiteur désigné dans le cadre de l'expertise que le chiffre d'affaires du restaurant a constamment diminué entre 2002 et 2007, date à laquelle le restaurant a cessé son activité. Dans ces conditions, eu égard à l'emprise du chantier et à la durée totale de l'opération d'aménagement ainsi qu'à leurs répercussions sur l'activité du restaurant La Casserole, les appelants sont fondés à soutenir que les sujétions qui leur ont été imposées par ces travaux ont excédé celles qui peuvent être imposées aux riverains dans l'intérêt de la voie publique et que leurs préjudices revêtent un caractère anormal et spécial qui engage la responsabilité de la Ville de Paris.

Sur l'indemnisation des préjudices :

4. Il résulte de l'instruction que compte-tenu du résultat d'exploitation de la première année de pleine activité du restaurant La Casserole, soit 7 872 euros en 2002, les pertes d'exploitation s'élèvent à une somme de 65 000 euros pour la période 2003 à 2009, date d'achèvement des travaux litigieux. Compte tenu de ce que la société n'a pu reprendre son activité normale dès la fin des travaux, du fait des réparations qu'a nécessité l'état de délabrement des locaux, et qu'elle a d'abord continué son activité en tant que bar avant que ne soit, à la fin de l'année 2013, rouvert le restaurant, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société La Casserole en lui allouant une somme totale de 73 000 euros.

5. M. C...demande une indemnisation correspondant à la différence entre ce qu'il aurait perçu au titre de sa pension de retraite, s'il n'avait pas été privé de ses revenus salariaux et s'il avait pu verser des cotisations jusqu'au 1er juillet 2019, date à laquelle il aurait atteint les 166 trimestres de cotisations nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, et ce qu'il touchera effectivement à partir de cette date, à laquelle il ne compte que 149 trimestres de cotisations. Eu égard aux éléments fournis par l'intéressé, et non contestés, faisant état d'un différentiel de 4 169 euros annuels entre ce qu'il aurait perçu et ce qu'il percevra effectivement et au prix de la rente viagère pour un homme âgé de 62 ans, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par M.C..., lequel est la conséquence directe de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de cotiser, en lui allouant la somme de 75 000 euros qu'il demande.

6. En revanche, ni la société La Casserole, ni M. C...n'établissent l'existence d'un préjudice financier résultant de la perte du fonds de commerce qu'ils allèguent, dès lors que l'exploitation commerciale du restaurant a repris à partir de 2010, qu'elle s'est traduite par un redressement constant du chiffre d'affaires enregistré depuis lors et que les travaux réalisés, qui ont pu apporter un flux de clientèle nouvelle et une valorisation du secteur, ont pu contribuer à la revalorisation du fonds de commerce.

7. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de diligenter d'expertise, que la ville de Paris doit être condamnée à verser à la société La Casserole une somme de 73 000 euros et à M. C... une somme de 75 000 euros en réparation de leurs préjudices respectifs.

8. La société La Casserole et M. C...demandent à la Cour d'assortir les condamnations prononcées à leur bénéfice d'une pénalité de 2,5 %, à compter du 10 janvier 2013, date de la mise en demeure jusqu'à leur indemnisation effective, au titre du préjudice distinct lié à l'indemnisation tardive. Ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'en tout état de cause, les requérants n'établissent pas l'existence du préjudice distinct qu'ils invoquent et que la pénalité dont s'agit ne trouve son fondement dans aucune norme, notamment d'ordre législatif.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la société La Casserole et M.C..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, versent à la ville de Paris la somme qu'elle demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la ville de Paris, le versement d'une somme de 2 000 euros à la société La Casserole et la même somme de 2 000 euros à M. C..., au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La ville de Paris versera à la société La Casserole une somme de 73 000 euros et à M. C... une somme de 75 000 euros.

Article 3 : La ville de Paris versera à la société La Casserole et à M.C..., une somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société La Casserole et de M.C..., est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Casserole, à M. A...C...et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- MmeB..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 juillet 2018.

La rapporteure,

M. B...Le président,

J. LAPOUZADE La greffière,

C. POVSE La République mande et ordonne au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA03777


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03777
Date de la décision : 10/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité encourue du fait de l'exécution, de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : THOMAS-DEREVOGE

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-07-10;17pa03777 ?
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