La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/07/2016 | FRANCE | N°15PA02289

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 29 juillet 2016, 15PA02289


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société " La Casserole " et son gérant, M. C...D..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 116 000 euros et 80 000 euros en réparation des préjudices financier et commercial résultant pour eux des travaux de construction du centre sportif " Cité Traëger " dans le 18ème arrondissement. Ils ont également demandé à titre subsidiaire au Tribunal administratif de Paris d'ordonner, avant-dire droit, une expertise en vue

d'évaluer le préjudice subi.

Par un jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société " La Casserole " et son gérant, M. C...D..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 116 000 euros et 80 000 euros en réparation des préjudices financier et commercial résultant pour eux des travaux de construction du centre sportif " Cité Traëger " dans le 18ème arrondissement. Ils ont également demandé à titre subsidiaire au Tribunal administratif de Paris d'ordonner, avant-dire droit, une expertise en vue d'évaluer le préjudice subi.

Par un jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 juin 2015 et le 28 janvier 2016, la société " La Casserole " et son gérant, M. C...D..., représentés par Me F..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1407659/5-1 du 16 avril 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

2°) de condamner la ville de Paris à verser à la société " La Casserole " une somme de 116 000 euros au titre de son préjudice commercial résultant de la perte de son fonds de commerce ;

3°) de condamner la ville de Paris à verser à M.D..., ou, à titre subsidiaire, à la société " La Casserole ", une somme de 75 000 euros sur la base d'une indemnité mensuelle de 1 000 euros par mois sur une période de 75 mois, depuis le mois d'octobre 2007 jusqu'au mois de décembre 2013, sauf à parfaire, au titre de leur préjudice financier ;

4°) à titre subsidiaire, de désigner un expert qui aura notamment pour mission d'évaluer leur préjudice commercial et financier du fait des travaux réalisés sous la maitrise d'ouvrage de la ville de Paris ;

5°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les travaux poursuivis par la ville de Paris ont eu de graves répercussions sur l'exploitation du restaurant et, plus précisément, sur les revenus commerciaux de la société et de M. D...en sa qualité de gérant ;

- l'immeuble a subi des dégradations du fait des travaux de démolition entrepris entre 2001 et 2002 et tous les accès au terrain ont été fermés par des barrières de sécurité métalliques, barrant l'accès à la plus grande des deux façades du restaurant et rendant l'accès aux volets extérieurs impossible, plongeant le restaurant dans la pénombre ;

- la société " La Casserole " s'est retrouvée en grande difficulté financière avant même les travaux de construction et sa baisse d'activité, révélée par la baisse de son chiffre d'affaires, est la conséquence des suites des travaux de destruction de la cité " Traëger " ;

- le début des travaux de construction est venu aggraver une situation qui était déjà critique pour le restaurant ;

- dès le début des travaux, la jouissance des locaux s'est trouvée perturbée en raison des travaux environnants, des véhicules de chantier stationnés devant le restaurant, du bruit des machines et des détériorations impactant la visibilité et l'attractivité du restaurant ;

- le Tribunal administratif de Paris a, par ordonnance du 18 juin 2013, jugé que la société " La Casserole " avait subi un dommage anormal et spécial qui trouvait sa cause directe et certaine dans les travaux publics de construction du centre sportif ;

- après achèvement des travaux de construction, les détériorations étaient telles qu'elles empêchaient la société " La Casserole " d'exploiter les locaux conformément à son objet social, à savoir son activité de restaurant ;

- elle n'a donc pu reprendre l'exploitation qu'en tant que bar, et ce jusqu'à fin 2013 ;

- ils ne soulèvent aucune demande nouvelle en appel dans la mesure où leurs demandes d'indemnisation sont restées strictement identiques à celles formulées en première instance et se sont bornés à faire valoir de nouveaux éléments de fait en appel ;

- les travaux de construction à l'origine du préjudice invoqué par les requérants en première instance ne sont que la suite des opérations de destruction de la cité " Traëger " qui ont été menées sur le même terrain ;

- le début des travaux de construction n'a fait qu'aggraver une situation qui était déjà critique pour le restaurant ;

- les conclusions du sapiteur relatives aux demandes financières ont été soumises à l'examen de l'ensemble des parties et ont fait l'objet de dires de leur part.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2015, la ville de Paris conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société " La Casserole " et de M. C... D...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les préjudices invoqués ne sont pas démontrés dans la mesure où le sapiteur lui-même a estimé que l'évaluation des prétendus préjudices était trop incertaine ;

- les rapports du sapiteur ne peuvent lui être juridiquement opposés alors que, par son ordonnance du 14 janvier 2011, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête déposée par la société " La Casserole " et M. D...aux fins de compléter la mission confiée à l'expert par l'évaluation des préjudices financiers supportés du fait des travaux de démolition alors que ledit rapport d'expertise ne portait alors que sur les dommages subis du fait des travaux de construction ;

- le préjudice invoqué lié à la perte de valeur du fonds de commerce est particulièrement inexistant dans la mesure où la composition d'un fonds de commerce n'est pas définie par la loi ;

- les appelants ne démontrent pas leur préjudice dans la mesure où n'est pas indiqué le montant du dernier chiffre d'affaires réalisé, ce qui ne permet pas de déterminer l'existence d'une perte de clientèle par rapport à 2002 et, d'autre part, qu'il n'est pas soutenu de perte de droit au bail ou de tout autre élément constituant le fonds de commerce ;

- la gêne occasionnée est demeurée dans le périmètre de ce que chacun doit normalement supporter dans l'intérêt général ; par suite, les préjudices invoqués ne présentent pas de caractère anormal ;

- la demande des requérants est nouvelle en appel dans la mesure où ils évoquent trois faits générateurs - démolition, état d'abandon et construction - alors qu'ils n'en évoquaient qu'un seul dans leur demande de première instance, à savoir les travaux de construction du centre sportif ;

- le chef de préjudice se rattachant au fait générateur relatif à l'état de la zone de démolition une fois celle-ci terminée repose sur une cause juridique, à savoir la responsabilité pour faute, différente de celle invoquée en première instance ;

- il n'y a pas de lien de causalité entre les préjudices invoqués par les appelants et les travaux de construction du centre sportif dès lors que ceux-ci ont été postérieurs à la fermeture de l'établissement ;

- il n'est pas démontré que les travaux de démolition et l'état du terrain qui a suivi aient été à l'origine d'une gêne pour la société appelante.

Une note en délibéré produite pour la société " La Casserole " et M. D... a été enregistrée le 15 juillet 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Polizzi,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- et les observations orales de Me F...pour les requérants et de Me A... pour la ville de Paris.

1. Considérant que la société " La Casserole ", qui exerce depuis 2001 une activité de restauration au 17 rue Boinod dans le 18ème arrondissement de Paris, soutient avoir subi un préjudice commercial du fait des travaux de construction du centre sportif " Cité Traëger " dont la ville de Paris était maître d'ouvrage ; que la société ainsi que son gérant ont saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la ville de Paris à les indemniser de leurs préjudices ; que, par un jugement du 16 avril 2015, dont la société " La Casserole " et son gérant relèvent appel, le tribunal a rejeté leur requête ;

Sur les conclusions tendant à la condamnation de la ville de Paris :

2. Considérant que la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers ; qu'il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;

3. Considérant, en premier lieu, que la société " La Casserole " soutient avoir subi un préjudice anormal et spécial du fait des travaux de construction du centre sportif " Traëger " entrepris entre septembre 2007 et mai 2009 ; qu'elle invoque en appel deux nouveaux faits générateurs relatifs aux travaux de démolition ayant précédé les travaux de construction, effectués entre 2001 et 2002 et à l'état d'abandon de la zone jusqu'au commencement des travaux ;

4. Considérant, d'une part, que le moyen tiré de l'état d'abandon du terrain adjacent relève de la responsabilité pour faute de l'administration ; que, dès lors, la ville de Paris est fondée à soutenir que les requérants ne sont pas recevables à invoquer en appel ce moyen dès lors qu'il relève d'une cause juridique distincte de celle, la responsabilité sans faute, sur laquelle était fondée la demande de première instance ;

5. Considérant, d'autre part, que si la société " La Casserole " soutient avoir subi un préjudice commercial anormal et spécial du fait des travaux de démolition intervenus entre novembre 2001 et février 2002, il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires réalisé par la société s'est élevé à 122 712 euros en 2002, soit au niveau le plus élevé de la période examinée ; que, dans ces conditions, si ces travaux ont pu occasionner une gène ponctuelle pour le restaurant, celle-ci n'a pas en l'espèce excédé les sujétions normales qui peuvent être imposées aux riverains dans l'intérêt de la voie publique ;

6. Considérant, en second lieu, que si la société " La Casserole " soutient avoir subi un préjudice anormal et spécial du fait des travaux de construction du centre sportif intervenus entre septembre 2007 et mai 2009, ce lien ne peut pas être tenu pour établi, la décision de fermer le restaurant prise dès le mois de septembre 2007 n'apparaissant pas comme une conséquence directe du début des travaux ; que la société " La Casserole " n'apporte aucun élément de nature à justifier que la fermeture du restaurant serait exclusivement imputable aux travaux litigieux ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que le chiffre d'affaires de la société a régulièrement diminué de 2003 à 2007, passant de 100 367 euros à 30 683 euros ; qu'en outre, la ville de Paris soutient que d'autres facteurs, liés notamment au déplacement de bureaux SNCF, sont en partie à l'origine de la baisse d'activité constatée ; que si les requérants produisent des photographies de février 2008 faisant état de la présence de véhicules de chantier devant le restaurant, d'ailleurs fermé à cette période, le chantier était installé, non sur le trottoir où se situait l'entrée du restaurant, mais sur la façade droite de ce dernier ; qu'enfin, les travaux ont apporté une plus-value à ce commerce lorsqu'il a rouvert, atténuant ainsi le préjudice financier allégué ; que, dans ces conditions, d'une part, le lien de causalité entre l'exécution des travaux de construction et les préjudices d'ordre commercial et financier allégués par la société " La Casserole " et M. C...D...ne peut être regardé comme établi et, d'autre part, la gêne subie par la société " La Casserole " du fait de ces travaux n'a pas excédé les sujétions normales qui peuvent être imposées aux riverains dans l'intérêt de la voie publique ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à en demander la réparation ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de désigner un expert, la société " La Casserole " et M. C...D...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville de Paris la somme demandée par la société " La Casserole " et par M. C...D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des appelants la somme demandée au même titre par la ville de Paris ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société " La Casserole " et de M. C...D...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société " La Casserole ", à M. C...D...et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Polizzi, président assesseur,

- MmeE..., première conseillère,

Lu en audience publique, le 29 juillet 2016.

Le rapporteur,

F. POLIZZILe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

5

N° 10PA03855

2

N° 15PA02289


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA02289
Date de la décision : 29/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Francis POLIZZI
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP H. DIDIER - F. PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-07-29;15pa02289 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award