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10/07/2018 | FRANCE | N°17PA01284

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 10 juillet 2018, 17PA01284


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2017 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a décidé sa remise aux autorités belges en charge de l'examen de sa demande d'asile et lui a accordé un délai d'un mois pour quitter volontairement le territoire français.

Par un jugement n° 1701153 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 24 janvier 2017, enjoint au préfet de Seine-et-Marne de réexaminer la situation de Mme

B... dans le délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat la somme de 600 euros à ver...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2017 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a décidé sa remise aux autorités belges en charge de l'examen de sa demande d'asile et lui a accordé un délai d'un mois pour quitter volontairement le territoire français.

Par un jugement n° 1701153 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 24 janvier 2017, enjoint au préfet de Seine-et-Marne de réexaminer la situation de Mme B... dans le délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat la somme de 600 euros à verser à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2017, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701153 du 28 février 2017 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- la décision par laquelle il a été décidé de remettre Mme B...aux autorités belges n'a pas été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ; il apporte la preuve de la saisine des autorités belges et de leur accord explicite ;

- l'arrêté est suffisamment motivé ;

- Mme B...a eu un entretien en français, langue qu'elle comprend ; elle a reçu une information sur la procédure Eurodac, en français ;

- l'examen de la demande de Musawu Makolo relève bien des autorités belges, en application de l'article 13.1 du règlement ;

- Mme B...ne peut se prévaloir d'un risque quelconque à être transférée en Belgique, pays où elle a obtenu l'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mai 2018, MmeB..., représentée par par Me Njoya, demande à la Cour de rejeter la requête du préfet de Seine-et-Marne et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son avocat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- ce n'est qu'en appel que le préfet produit la preuve de l'accord de la Belgique ; le tribunal administratif n'a donc commis aucune erreur de fait ;

- la Belgique n'est plus responsable de sa demande puisque la protection internationale qu'elle lui avait accordée lui a été retirée ;

- l'appel du préfet a perdu son objet car à la suite de l'injonction prononcée par le tribunal administratif, elle a bénéficié d'un entretien à l'OFPRA, dont elle attend la décision, si bien qu'elle ne peut plus être remise aux autorités belges.

Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 5 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n°1560/2003 l ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pellissier ;

- les observations de Me Njoya, avocat de MmeB....

1. Considérant que MmeB..., ressortissante de la République démocratique du Congo née en mars 1986, a déclaré être entrée en France le 15 novembre 2016 et s'est présentée à la préfecture de Seine-et-Marne le 14 décembre 2016 pour solliciter son admission au séjour au titre de l'asile ; qu'elle a été reçue pour un entretien individuel le 20 décembre 2016 ; que l'examen de ses empreintes digitales ayant révélé qu'elle avait séjourné en Belgique, le préfet de Seine-et-Marne a décidé, par l'arrêté en litige du 24 janvier 2017, de la remettre aux autorités belges en application de l'article 18-1 d) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; que le préfet de Seine-et-Marne relève régulièrement appel du jugement du 28 février 2017 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 24 janvier 2017 et lui a enjoint de réexaminer la situation de MmeB... ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu :

2. Considérant que si Mme B...fait valoir qu'elle a été, à la suite de l'injonction prononcée par le premier juge, admise à déposer une demande d'asile et qu'elle a été entendue le 3 novembre 2017 à l'OFPRA, elle ne soutient pas avoir obtenu l'asile en France ; qu'ainsi il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté de transfert litigieux du 24 janvier 2017 ne pourrait plus être mis à exécution ; que la requête du préfet de Seine-et-Marne n'est pas devenue sans objet ;

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée (...) " ; qu'aux termes de l'article 26 du même règlement : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert ; qu'une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis ; que le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé ;

5. Considérant que le premier juge a annulé l'arrêté de transfert du 24 janvier 2017 au motif que le préfet de Seine-et-Marne ne démontrait pas que les autorités belges avaient accepté, antérieurement à cette date, la reprise en charge de MmeB... ; que cependant le préfet de Seine-et-Marne apporte en appel la preuve de ce que les autorités belges, précédemment saisies, ont expressément accepté, par décision du 10 janvier 2017, cette reprise en charge ; que dès lors, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette démonstration n'a été apportée qu'en appel, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé sa décision de remise aux autorités belges du 24 janvier 2017 au motif qu'elle était intervenue sans que la Belgique ait donné son accord à cette reprise en charge ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...devant le tribunal administratif de Melun et la Cour ;

Sur les autres moyens de MmeB... :

7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend " ;

8. Considérant que les conditions de notification d'une décision sont sans influence sur sa légalité et n'ont d'effet que sur les voies et délais de recours ; qu'ainsi la circonstance que l'arrêté litigieux n'indique pas à Mme B... qu'elle a le droit d'avertir son consulat ou toute personne de son choix n'est pas de nature à entrainer l'annulation de l'arrêté de transfert contesté ; qu'en outre, contrairement à ce qui est soutenu, l'arrêté mentionne les voies et délais de recours de manière non ambigüe ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge (...) le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) c) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; d) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande dans un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) " ;

10. Considérant que la demande d'asile de Mme B...a été examinée en 2014 par les autorités belges, la Belgique étant l'Etat membre responsable en application de l'article 13 du règlement 604/2013 ; que si l'intéressée soutient que, après lui avoir accordé le bénéfice de l'asile en novembre 2014, les autorités belges le lui ont retiré, elle ne justifie pas de la réalité de ces allégations ; qu'en tout état de cause il est constant que les autorités belges, saisies par la France sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 précité, ont accepté la reprise en charge de Mme B..., qui n'allègue pas avoir quitté le territoire des Etats Schengen postérieurement à l'introduction de sa demande en Belgique ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la Belgique n'aurait plus été l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile qu'elle a à nouveau déposée en décembre 2016 ;

11. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement " ; qu'il résulte de ces dispositions que si le préfet peut refuser l'admission au séjour d'un demandeur d'asile au motif que la responsabilité de l'examen de cette demande relève de la compétence d'un autre Etat membre, il n'est pas tenu de le faire et peut autoriser une telle admission au séjour en vue de permettre l'examen d'une demande d'asile présentée en France ;

12. Considérant que Mme B...fait valoir qu'elle réside en France auprès d'un oncle maternel, titulaire d'une carte de résident, et d'un oncle paternel, de nationalité française, et qu'elle y vit depuis novembre 2016 avec un réfugié congolais qui est son concubin ; que malgré ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Seine-et-Marne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 pour admettre l'intéressée au séjour en France en vue de l'examen de sa demande d'asile ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 24 janvier 2017, lui a enjoint de réexaminer la demande d'asile de Mme B...et a mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, une somme de 600 euros à verser au conseil de Mme B... ; que le jugement doit être annulé et la demande de première instance rejetée ;

14. Considérant que les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, verse au conseil de Mme B...une somme représentative des frais de procédure qu'elle aurait exposés pour sa défense en appel si elle n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle totale ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1701153 du 28 février 2017 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Melun est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme A...B....

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne

Délibéré après l'audience du 21 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Legeai, premier conseiller,

- Mme Pearl Nguyên Duy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 10 juillet 2018.

Le conseiller le plus ancien,

A. LEGEAI La présidente de chambre,

rapporteur

S. PELLISSIERLe greffier,

A. LOUNIS La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA01284


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01284
Date de la décision : 10/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : NJOYA

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-07-10;17pa01284 ?
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