Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 juin 2017 par lequel le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant son pays de renvoi.
Par un jugement n° 1711226 du 12 septembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. D....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 octobre 2017 et un mémoire ampliatif enregistré le 1er novembre 2017, M. D..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de Paris de réexaminer sa situation au regard de son évolution ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement des dispositions l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier à raison de l'omission à statuer sur le moyen tiré de la violation des droits de son enfant au cas où il serait éloigné de force ;
- les articles 2 à 5 de la convention internationale des droits de l'enfant de
New York ont été méconnus ;
- la décision du préfet de police est insuffisamment motivée ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu consacré à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 8 et 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la même convention.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2018, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Heers a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité nigériane, entré en France le 26 août 2014 selon ses déclarations, a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par une décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 juin 2016, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 23 février 2017. Il s'est marié en France le 5 mai 2017 avec une compatriote et une fille est née de cette union le 26 juillet 2017. Le préfet de police a cependant fait obligation à M. D... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi par un arrêté du 23 juin 2017. M. D... relève appel du jugement du 12 septembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article 7 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant : " 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. 2. Les Etats parties veillent à mettre ces droits en oeuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride. ". Aux termes de l'article 18 : " Les Etats parties s'emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement. La responsabilité d'élever l'enfant et d'assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l'intérêt supérieur de l'enfant ".
3. Le requérant soutient que le jugement du Tribunal administratif de Paris est irrégulier à raison de l'omission à statuer sur le moyen tiré de la violation des droits de son enfant au cas où il serait éloigné de force, en violation des articles 2 à 5 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant. Cependant, il résulte des pièces de première instance que le moyen invoqué était tiré d'une impossibilité pour l'enfant de profiter de son droit d'être élevé par ses deux parents. Ainsi, le requérant doit être regardé comme ayant entendu invoquer une violation des articles 7 et 18 de la convention précitée.
4. Il résulte tant du contenu même de ces articles que de l'intention exprimée par les parties que ces stipulations ne créent d'obligations qu'entre les Etats et sont dépourvues d'effet direct. Elles ne peuvent donc être utilement invoquées à l'appui d'un recours dirigé contre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision préfectorale méconnaîtrait les articles 7 et 18 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant était inopérant. En conséquence, en ne statuant pas sur ce moyen, les premiers juges n'ont pas entaché d'irrégularité leur jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. En premier lieu, les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Cet étranger peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.
6. A l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. M. D... ne pouvait ainsi ignorer qu'une fois sa demande d'asile définitivement rejetée, il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement immédiate. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. D...aurait été privé du droit d'être entendu qu'il tient du principe général du droit de l'Union européenne doit être écarté.
7. En deuxième lieu, en vertu des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures de police doivent être motivées et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision.
8. L'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application, et notamment les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 511-1 I 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne également des éléments relatifs à la situation personnelle du requérant et notamment la date à laquelle le requérant déclare être entré en France, le rejet des demandes faites à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d'asile et indique que le requérant n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'arrêté comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ".
10. La décision attaquée n'a cependant pas pu avoir pour objet ni pour effet d'interdire à M. D...de se marier ou de fonder une famille. Il n'est d'ailleurs pas contesté que son mariage a été célébré le 5 mai 2017. Elle ne prive pas plus les époux de la possibilité de mener une vie commune, même en faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français dès lors que son épouse a également la nationalité nigériane. La circonstance qu'elle soit titulaire d'un certificat de résident et que son propre père ait obtenu le statut de réfugié en France ne suffit pas à démontrer qu'un retour dans son pays lui serait impossible. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. - 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
12. M. D...s'est marié le 5 mai 2017 sur le territoire français avec une compatriote titulaire d'une carte de résident. Le couple a signé un contrat de bail locatif le 5 juin 2017, soit quelques jours seulement avant l'adoption de l'arrêté contesté. La seule attestation sur l'honneur de l'épouse du requérant faite en mairie le 31 janvier 2017 indiquant une cohabitation entre eux depuis le 20 novembre 2015 ne suffit pas à démontrer l'existence d'une communauté de vie du couple antérieure au contrat de bail. De plus, si M. D... soutient être le père d'un enfant né en France, il ressort des pièces du dossier que l'enfant est né postérieurement à la décision préfectorale. Il résulte de tous ces éléments, notamment du caractère récent de la communauté de vie entre les époux, que le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. En cinquième lieu, si M. D...invoque une méconnaissance des articles 2, 3, 4 et 5 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant, il ne peut utilement se prévaloir desdites stipulations dès lors que la naissance de son enfant est postérieure à l'arrêté contesté. En tout état de cause, la seule circonstance que son épouse est titulaire d'une carte de résident ne fait pas obstacle à ce qu'elle le rejoigne dans leur pays d'origine et à ce que leur fille Deborah puisse suivre ses deux parents.
14. Enfin, Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitement inhumains ou dégradants ".
15. M. D...fait valoir qu'en raison de sa confession chrétienne, il serait en danger en cas de retour au Nigéria. Il ne produit cependant aucune pièce de nature à établir la réalité et la gravité du risque qu'il encourrait personnellement en se bornant à faire état d'un document d'ordre général sur la situation des chrétiens au Nigéria. Au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 juin 2016 puis par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du
23 février 2017. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est opérant qu'à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi, doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- M. Auvray, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 juillet 2018.
Le président-rapporteur,
M. HEERSL'assesseur le plus ancien,
B. AUVRAYLe greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17PA03259 2