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28/06/2018 | FRANCE | N°18PA00184

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 28 juin 2018, 18PA00184


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmeC... E..., épouse A...D..., agissant en son nom personnel et au nom de son fils mineur, I...E..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 février 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom de E...enB..., d'enjoindre au ministre de la justice d'édicter un décret autorisant le changement de nom sollicité et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugeme

nt n° 1608640/4-1 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmeC... E..., épouse A...D..., agissant en son nom personnel et au nom de son fils mineur, I...E..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 février 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom de E...enB..., d'enjoindre au ministre de la justice d'édicter un décret autorisant le changement de nom sollicité et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugement n° 1608640/4-1 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 janvier 2018, Mme E..., représentée par Me G..., demande à la Cour, en son nom et au nom de son fils mineur I...E... :

1°) d'annuler le jugement n° 1608640/4-1 du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 24 février 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom de E...en B... ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'édicter un décret autorisant le changement de nom sollicité, dans le délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été signée par une personne n'ayant pas reçu de délégation de signature à cet effet ;

- la décision méconnaît la décision implicite d'acceptation née du silence gardé par l'administration comme le prévoient les dispositions des articles L. 114-3 et L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration ; les demandes de changement de nom ne figurent pas sur la liste des demandes pour lesquelles le silence gardé deux mois vaut décision de rejet ;

- le courrier lui demandant de compléter son dossier et la décision en litige constituent un détournement de procédure afin de ne pas tenir compte des dispositions de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle détient un intérêt légitime à changer de nom au sens des dispositions de l'article 61 du code civil.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 24 novembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- et les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.

1. Considérant que Mme C...E..., née en avril 1989, porte le nom de sa mère, qui l'a reconnue avant son père, M. B... ; que par requête publiée le 23 mai 2014 au Journal officiel de la République française, elle a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nom, ainsi que celui de son fils mineur, I..., de E...enB... ; que par décision du 24 février 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande ; que MmeE..., agissant en son nom personnel et au nom de son fils, a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, l'annulation de cette décision, et, d'autre part, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral allégué ; qu'elle fait régulièrement appel du jugement du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs (...) " ;

3. Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 2 de l'arrêté du 1er décembre 2014 fixant l'organisation en sous-directions de la direction des affaires civiles et du sceau et de l'article 2 de l'arrêté du 1er décembre 2014 fixant l'organisation en bureaux de la direction des affaires civiles et du sceau, la préparation des décrets relatifs aux changements de nom ressortit aux attributions de la sous-direction du droit civil ; que, d'autre part, par un arrêté du Premier ministre et de la garde des sceaux, ministre de la justice du 11 septembre 2015, publié au Journal officiel de la République française du 13 septembre 2015, M. H... F...a été nommé sous-directeur du droit civil à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, pour une durée de trois ans ; qu'ainsi M. F...était compétent, sans qu'il soit besoin de délégation de signature expresse, pour signer la décision litigieuse du 24 février 2016, qui ressortit aux attributions de sa sous-direction ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 modifié par la loi du 12 novembre 2013, applicable aux demandes présentées à compter du 12 novembre 2014, puis de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration applicable à compter du 1er janvier 2016 : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation " ; qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. (...) Le changement de nom est autorisé par décret " ;

5. Considérant que les dispositions du code civil instituent pour l'examen des demandes de changement de nom une procédure législative spéciale qui exclut l'intervention d'une décision implicite d'acceptation, dès lors notamment que l'autorisation de changer de nom ne peut être accordée que de façon expresse par décret ; qu'ainsi les demandes de changement de nom n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 et de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration ; que le moyen tiré de ce que la décision de refus litigieuse retirerait une décision implicite d'acceptation ne peut qu'être écarté ; que, pour les mêmes raisons, Mme E... ne peut utilement soutenir qu'en lui demandant de compléter son dossier le 9 février 2016, le garde des sceaux aurait commis un détournement de procédure afin d'empêcher la naissance d'une décision implicite d'acceptation ;

6. Considérant, en troisième lieu, que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par les dispositions de l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;

7. Considérant que Mme E...fait valoir que le nom de son père ne lui a pas été attribué à sa naissance du fait qu'il ne l'a reconnue qu'après sa mère, que, depuis le décès de sa mère en 2006, son père, M. B..., représente sa seule famille et qu'elle souhaite harmoniser son nom, dont elle fait usage, et celui de son fils, avec celui porté par les autres enfants de son père, afin de renforcer les seuls liens familiaux qu'il leur reste ; que, toutefois, elle ne fait pas ainsi état de circonstances exceptionnelles de nature à lui conférer, pour des motifs affectifs, un intérêt légitime, ni pour elle-même, ni pour son fils, à changer de nom ; que si elle soutient qu'elle se fait appeler au quotidien du nom deB..., elle ne produit, à l'appui de cette affirmation que des attestations de proches dont la force probante est faible et n'établit pas le caractère suffisamment long et ininterrompu de l'usage allégué ; que, dans ces conditions, la possession d'état dont la requérante entend se prévaloir ne présente pas un caractère suffisamment ancien et constant pour justifier le changement de nom sollicité ; que, par suite, Mme E...n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée du garde des sceaux, ministre de la justice rejetant sa demande de changement de nom serait entachée d'erreur d'appréciation en méconnaissance des dispositions de l'article 61 du code civil ;

8. Considérant qu'il résulte de ce tout qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 24 février 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser, ainsi que son fils, à changer de nom, et, d'autre part, à l'indemnisation du préjudice moral qu'elle dit avoir subi ; que sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions, et notamment celles aux fins d'injonction et d'astreinte, celles visant au versement de dommages et intérêts et celles tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, supporte, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, les frais de procédure que Mme E...aurait exposés si elle n'avait été bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E..., épouse A...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Legeai, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 juin 2018.

Le rapporteur,

A. LEGEAI Le président,

S. PELLISSIER Le greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N° 18PA00184


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00184
Date de la décision : 28/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : SHIBABA KAKELA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-06-28;18pa00184 ?
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