La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2018 | FRANCE | N°16PA02988

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 27 juin 2018, 16PA02988


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dumez Ile-de-France a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le département de Paris, en tant que mandataire du maître d'ouvrage, à l'indemniser du préjudice causé par des fautes commises dans le cadre de l'exécution d'un marché de travaux relatif à la reconstruction du lycée technique Jean Jaurès (Paris 19ème) conclu pour le compte de la région Ile-de-France.

Par un jugement n° 1119961/7-1 du 28 juin 2013, le Tribunal administratif de Paris a fait droit partielle

ment à cette demande en condamnant le département de Paris à verser à la société Dum...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dumez Ile-de-France a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le département de Paris, en tant que mandataire du maître d'ouvrage, à l'indemniser du préjudice causé par des fautes commises dans le cadre de l'exécution d'un marché de travaux relatif à la reconstruction du lycée technique Jean Jaurès (Paris 19ème) conclu pour le compte de la région Ile-de-France.

Par un jugement n° 1119961/7-1 du 28 juin 2013, le Tribunal administratif de Paris a fait droit partiellement à cette demande en condamnant le département de Paris à verser à la société Dumez Ile-de-France une somme de 424 228,72 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 septembre 2013 et le 3 septembre 2014, le département de Paris, représenté par la SCP Sartorio - Lonqueue - Sagalovitsch et associés, demande à la Cour ;

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1119961/7-1 du

28 juin 2013 en tant qu'il l'a condamné à verser à la société Dumez Ile-de-France la somme de

424 228,72 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal ;

2°) de rejeter la demande de la société Dumez Ile-de-France ;

3°) de mettre à la charge de la société Dumez Ile-de-France une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de la question de la prescription de la créance résultant de l'illégalité de l'ordre de service du 10 mai 1993 ;

- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de l'impossibilité d'engager la responsabilité personnelle du maître d'ouvrage délégué ;

- la créance correspondant à l'ordre de service du 10 mai 1993 est prescrite ;

- la société Dumez, tiers au contrat de mandant conclu entre la Région Ile-de-France et le département de Paris, n'est pas recevable à se prévaloir des fautes commises dans le cadre de l'exécution de ce contrat sous la forme d'une action en responsabilité délictuelle ;

- la responsabilité du Département de Paris n'était pas, en sa qualité de maître d'ouvrage délégué, susceptible d'être engagée par l'entreprise titulaire du marché litigieux, le maître d'ouvrage étant seul responsable des fautes qui auraient pu être commises à l'égard du cocontractant dans la passation ou l'exécution du marché en cause ;

- la société Dumez Ile-de-France a commis une faute de nature à exonérer le département de Paris de sa responsabilité ;

- seul le taux d'intérêt légal est applicable à une créance d'origine non contractuelle.

Par des mémoires en défense enregistrés le 22 avril 2014 et le 12 mars 2015, la société Dumez Ile-de-France, représentée par la SELARL Alerion, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du département de Paris ;

2°) à titre incident, de condamner le département de Paris à lui verser les intérêts moratoires sur la somme de 242 228,72 euros à compter du 15 mars 1994 ;

3°) de condamner le département de Paris à lui verser la somme de 280 843,10 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 15 mars 1994 ;

4°) de mettre à la charge du département de Paris une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- sa créance de 280 843,10 euros n'est pas prescrite ;

- elle ne pouvait contractuellement refuser d'exécuter les travaux demandés par le département ;

- le département a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en lui laissant croire que ces travaux supplémentaires seraient payés ;

- elle a droit aux intérêts moratoires sur l'ensemble des sommes dues par le département ;

- elle n'entretient aucun rapport contractuel avec le département.

Par un arrêt n° 13PA03452 du 27 mars 2015, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par la société Dumez Ile-de-France comme irrecevable.

Par une décision n° 390515 du 26 septembre 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Dumez Ile-de-France, a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 27 mars 2015 et a renvoyé l'affaire devant la même Cour.

Un mémoire a été enregistré le 28 mai 2018 pour la société Dumez Ile-de-France.

Un mémoire a été enregistré le 31 mai 2018 pour le département de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- les observations de Me B...pour le département de Paris,

- et les observations de Me A...pour la société Dumez Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la reconstruction du lycée technique Jean Jaurès (Paris 19ème), la région Ile-de-France, maître d'ouvrage, a conclu le 20 juillet 1990 une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée avec le département de Paris, qui a ensuite attribué le marché de travaux, à prix global et forfaitaire, à la société Dumez Ile-de-France le 22 janvier 1992. Après la réception des travaux intervenue le 12 octobre 1995, un litige est survenu concernant le solde de ce marché. Par un arrêt du 13 février 2007, confirmé sur ce point par une décision du Conseil d'Etat du 8 février 2010, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté, entre autres, les conclusions de la Société Dumez

Ile-de-France tendant à la condamnation de la région Ile-de-France à lui payer des travaux effectués à la suite d'un ordre de service valant décision de poursuivre, irrégulièrement émis le 10 mai 1993 par le département de Paris. La société Dumez Ile-de-France a ensuite demandé la condamnation du département de Paris, cette fois-ci sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, à l'indemniser des travaux accomplis en exécution de l'ordre de service du 10 mai 1993 précité, ainsi que l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de promesses de règlement d'autres travaux, réalisés sans ordre de service, qui lui auraient été faites par le département dans le cadre de cette même opération. Par un jugement du 28 juin 2013, le Tribunal administratif de Paris a condamné le département à verser à la société Dumez Ile-de-France la somme de 424 228,72 euros (TTC) assortie des intérêts au taux légal au titre des travaux ordonnés par l'ordre de service

du 10 mai 1993, et rejeté le surplus de ses demandes. Le département de Paris a relevé appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser cette somme, la société Dumez Ile-de-France demandant, par la voie de l'appel incident, que le jugement attaqué soit réformé en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions. Par un arrêt du 27 mars 2015 la Cour a annulé l'article premier de ce jugement prononçant la condamnation du département à verser à la société Dumez la somme de 424 228, 72 euros (TTC), et a rejeté les demandes et les conclusions d'appel de la société Dumez. Toutefois, par une décision du 26 septembre 2016, le Conseil d'Etat saisi par la société Dumez a annulé cet arrêt et renvoyé le jugement de l'affaire à la Cour.

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée : " Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle qu'il a arrêtés, le maître de l'ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention mentionnée à l'article 5, l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d'ouvrage : 1° Définition des conditions administratives et techniques selon lesquelles l'ouvrage sera étudié et exécuté ; 2° Préparation du choix du maître d'oeuvre, signature du contrat de maîtrise d'oeuvre, après approbation du choix du maître d'oeuvre par le maître de l'ouvrage, et gestion du contrat de maîtrise d'oeuvre ; 3° Approbation des avant-projets et accord sur le projet ; 4° Préparation du choix de l'entrepreneur, signature du contrat de travaux, après approbation du choix de l'entrepreneur par le maître de l'ouvrage, et gestion du contrat de travaux ; 5° Versement de la rémunération de la mission de maîtrise d'oeuvre et des travaux ; 6° Réception de l'ouvrage et l'accomplissement de tous actes afférents aux attributions mentionnées ci-dessus. / Le mandataire n'est tenu envers le maître de l'ouvrage que de la bonne exécution des attributions dont il a personnellement été chargé par celui-ci. / Le mandataire représente le maître de l'ouvrage à l'égard des tiers dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées jusqu'à ce que le maître de l'ouvrage ait constaté l'achèvement de sa mission dans les conditions définies par la convention mentionnée à l'article 5. Il peut agir en justice ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux constructeurs, s'ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d'ouvrage dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d'ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire, y compris dans le cas où ce dernier a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu'il intervient au nom et pour le compte du maître d'ouvrage, et n'est pas lui-même partie à ces marchés. Le cas échéant, le maître d'ouvrage dont la responsabilité est susceptible d'être engagée à ce titre peut appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu'il a conclu avec lui. Dès lors la responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage à l'égard des constructeurs, qui ne peut jamais être mise en cause sur le terrain contractuel, ne peut l'être, sur le terrain quasi-délictuel, que dans l'hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d'ouvrage et son mandataire. En revanche, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l'inexécution de ce contrat.

Sur l'appel principal du département de Paris :

4. Pour demander la condamnation, sur un fondement délictuel, du département de Paris à lui verser une somme de 424 228,72 euros assortie des intérêts moratoires, en réparation du préjudice subi du fait du non paiement des travaux réalisés en exécution de l'ordre de service

du 10 mai 1993, la société Dumez Ile-de-France se borne à soutenir que cet ordre de service a été irrégulièrement émis par le département, sans que celui-ci ait obtenu sa validation par la Région

Ile-de-France, maître d'ouvrage. Or, cette faute n'a pu être commise par le département que dans le cadre de l'exécution même du contrat de mandat le liant à la région maître d'ouvrage. Par suite, les conclusions de la société Dumez-Ile-de-France ne pouvaient être valablement dirigées que contre le maître d'ouvrage mandant, et non contre son mandataire. Elles étaient donc mal dirigées et, par suite, irrecevables.

5. Le département de Paris est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article

1er du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris, faisant droit à ces conclusions, a retenu sa responsabilité et l'a condamné à verser à la société Dumez Ile-de-France la somme de

424 228,72 euros, assortie des intérêts au taux légal. Il y a lieu, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, d'annuler l'article premier du jugement attaqué.

Sur l'appel incident de la société Dumez Ile-de-France :

6. Pour demander, par la voie incidente, la condamnation du département de Paris à lui verser une somme de 280 843,10 euros assortie des intérêts moratoires, la société Dumez

Ile-de-France se borne à soutenir que le département a commis une faute en lui donnant l'assurance que des travaux supplémentaires, réalisés sans ordre de service, lui seraient néanmoins payés. Là encore, une telle faute, à la supposer établie, n'a en tout état de cause pu être commise par le département que dans le cadre de l'exécution même du contrat de mandat le liant à la région maître d'ouvrage. Par suite, ces conclusions de la société Dumez-Ile-de-France ne pouvaient être valablement dirigées que contre le maître d'ouvrage mandant, et non contre son mandataire. Elles étaient donc mal dirigées et, par suite, irrecevables.

7. Dans ces conditions la société Dumez Ile-de-France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ces conclusions.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'article premier du jugement attaqué, et de rejeter la demande ainsi que les conclusions incidentes de la société Dumez

Ile-de-France.

Sur les frais de justice :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Dumez demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Dumez

Ile-de-France une somme de 1 500 euros à verser au département de Paris sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1119961/7-1 du

28 juin 2013 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Dumez Ile-de-France devant le Tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions incidentes présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : La société Dumez Ile-de-France versera au département de Paris une somme de

1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de Paris et à la société Dumez Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 juin 2018.

Le rapporteur,

P. HAMONLe président,

B. EVENLe greffier,

S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 16PA02988


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02988
Date de la décision : 27/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : SELARL ALERION

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-06-27;16pa02988 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award