Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Boyer a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française la désignation d'un expert sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 5 octobre 2017 n° 1700286, le juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 27 novembre 2017, 14 février 2018 et 20 avril 2018, la SARL Boyer, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Polynésie française le 5 octobre 2017 sous le n° 1700286 ;
2°) d'ordonner une mesure d'expertise confiée à un expert avec pour mission de :
- prendre connaissance des pièces contractuelles et des documents échangés entre les parties ;
- se rendre sur les lieux objet du marché si nécessaire ;
- entendre tous sachants ;
- écrire les travaux confiés à la société Boyer et donner son avis sur les risques qui y sont associés ;
- décrire la solution technique préconisée par la société Boyer et donner son avis sur les risques qui y sont associés ;
- donner son avis sur des éventuelles mesures palliatives de sécurité à mettre en place ;
- donner son avis sur les incidences financières et de délai du différend opposant la société Boyer et l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement sur la solution technique de rabattement de la nappe phréatique à mettre en oeuvre et les emplacements des puits de pompage.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité car le juge des référés a méconnu le principe du contradictoire dès lors que le premier mémoire en défense de la Polynésie française lui a été communiqué le jour même de l'adoption de l'ordonnance ;
- l'expertise est utile dès lors qu'il existe un risque excédant les seuls dommages aux avoisinants et que l'expertise demandée par l'autorité judiciaire ne concerne pas les incidences financières ni celles résultant de la durée du différend qui l'oppose avec l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement ;
- si la solution à mettre en oeuvre pour l'exécution des travaux ne relevait pas de la mission de l'expert mandaté par l'autorité judiciaire, le refus du juge administratif de diligenter cette expertise aurait pour conséquence un déni de justice.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 mars 2018, la Polynésie française conclut au rejet de la requête, à la condamnation de la SARL Boyer à lui verser la somme de 150 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable pour tardiveté et pour défaut d'intérêt à agir ;
- le jugement n'a pas été pris en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- le juge des référés était incompétent dès lors que lui était posée une question de droit ;
- aucun des autres moyens invoqués par la requérante n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2018, l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement (TNAD) conclut au rejet de la requête à titre principal, à titre infiniment subsidiaire à ce que la mission de l'expert soit complétée et, dans tous les cas, à la condamnation de la SARL Boyer à lui verser la somme de 300 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable pour tardiveté et pour défaut d'intérêt à agir ;
- le jugement n'a pas été pris en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- le juge des référés était incompétent dès lors que lui était posée une question de droit ;
- aucun des autres moyens invoqués par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers,
- et les conclusions de Mme. Anne Mielnik-Meddah, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Boyer, qui a conclu le 14 novembre 2016 avec l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement (TNAD) un marché de travaux en vue de la construction du bâtiment du pôle santé mentale Jean Prince, est chargée du lot n° 1, " terrassement et gros-oeuvre ". Lors de l'exécution des travaux, elle a fait valoir qu'elle rencontrait des difficultés en raison de caractéristiques du sol différentes de celles résultant des données contractuelles, avec une incidence sur les travaux de pompage qu'elle devait réaliser pour procéder au rabattement de la nappe phréatique. Elle a alors sollicité, en mars 2017, un bureau d'études techniques, GEOLIA, lequel a conclu à un risque de désordre sur les ouvrages mitoyens en cas de mise en oeuvre de la solution prévue au contrat. Ce bureau d'études a préconisé, afin de réduire ces risques, la réalisation d'une enceinte périphérique en palplanches. Le 31 mars suivant, la société Boyer a transmis au maître d'oeuvre un devis correspondant à cette solution palliative, mis à jour le 2 mai 2017, pour un montant TTC de 109 391 345 francs CFP. Après diverses consultations et échanges sur la solution technique à adopter, le TNAD a notifié à l'entreprise Boyer un ordre de service n° 6 du 7 juillet 2017, rejetant son devis et lui ordonnant de communiquer les études d'exécution de la solution définie au cahier des clauses techniques particulières du marché, dans un délai de quinze jours. L'entreprise a signé cet ordre de service en émettant des réserves expresses. Considérant, comme elle le rappelait dans un courrier du 28 juillet 2017 au maître d'oeuvre, que la solution prévue au marché était dangereuse et que l'obligation générale de sécurité ainsi que l'interdiction de mise en danger d'autrui faisaient obstacle au caractère exécutoire de l'ordre de service, la société Boyer a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande d'expertise. Elle interjette appel de l'ordonnance du 5 octobre 2017 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) " .
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire en défense du TNAD, maître d'ouvrage délégué, a été communiqué au conseil de la société Boyer le
2 octobre 2107. Celui de la Polynésie française, maître d'ouvrage, l'a été le 5 octobre. Or c'est à cette même date que le juge des référés a pris son ordonnance rejetant la demande d'expertise que lui avait adressée la société Boyer. Si cette dernière invoque une méconnaissance, de ce fait, du principe du contradictoire et de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, d'une part ces dernières dispositions ne s'appliquent pas à la procédure de référé, laquelle est entièrement régie par le livre V du code, d'autre part, il résulte des dispositions de l'article R. 532-2 du même code, selon lesquelles : " notification de la requête présentée au juge des référés est immédiatement faite au défendeur éventuel, avec fixation d'un délai de réponse ", que l'ordonnance de référé est rendue à la suite d'une procédure particulière adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'assurer une décision rapide. En tout état de cause, par le mémoire du 5 octobre, la Polynésie française se bornait à s'associer sans réserve aux écritures du TNAD. L'ordonnance attaquée n'est donc pas entachée d'irrégularité.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance :
4. Pour solliciter une expertise sur la solution technique à adopter, la société Boyer expose qu'elle " s'inscrit dans une démarche préventive, cherchant à éviter tout dommage aux avoisinants consécutifs aux travaux de pompage, conformément à l'obligation générale de sécurité qui s'impose à elle ". Il en résulte donc clairement que les dommages évoqués ne sont qu'éventuels alors que sa demande ne s'inscrit pas, devant le juge administratif, dans le cadre du référé préventif, à la différence de la démarche qu'elle a suivie devant le juge judiciaire pour le même chantier. Surtout, et en tout état de cause, ainsi que le font valoir les défendeurs, au cas où de tels dommages se réaliseraient, l'entreprise ne pourrait voir sa responsabilité engagée dès lors que le maître d'ouvrage délégué, le TNAD, a pris l'entière responsabilité des choix techniques de réalisation de l'ouvrage et que l'entreprise Boyer, pour sa part, a émis des réserves expresses à l'ordre de service n° 6. La seule circonstance qu'elle est tenue, en application de l'article 2.2.2 du cahier des clauses techniques particulières, de " tenir compte des avoisinants " ne saurait, pas plus que son obligation générale de sécurité, démontrer l'utilité de l'expertise sollicitée.
5. Il résulte ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que la société Boyer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées, de même que sa demande tendant à ce que la cour ordonne une expertise.
Sur les frais de l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Boyer le versement, à la Polynésie française ainsi qu'à l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement, de la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Boyer est rejetée.
Article 2 : La société Boyer versera à l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement et à la Polynésie française la somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article L. 761- 1 du code justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Boyer, à l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au ministre des Outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 8 juin 2018 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- M. Auvray, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 22 juin 2018.
Le président-rapporteur,
M. HEERSL'assesseur le plus ancien,
B. AUVRAYLe greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03618