Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 janvier 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de Lecavelier des Étangs, ou à défaut celui de Lecavelier Désétangs, et d'enjoindre à ce ministre de substituer à son nom de Sagot-Dutertre celui de Lecavelier des Etangs, ou à défaut celui de Lecavelier Désétangs.
Par jugement n° 1604058/4-2 du 14 juin 2017 le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 août 2017, M.C..., représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1604058/4-2 du 14 juin 2017 du tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa requête ;
2°) d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice de faire droit à sa demande de changement de nom ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation.
La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 17 avril 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 mai 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Legeai ;
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bertrand, avocat de M.C....
Une note en délibéré a été présentée le 25 mai 2018 pour M.C....
1. Considérant que M. B...C...a pris le nom de son père à sa naissance le 27 septembre 1994 ; que par courrier du 26 février 2013 l'intéressé a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une demande tendant à l'autoriser à substituer à son nom Sagot-Dutertre, celui de Lecavelier des Étangs, ou, à défaut, le nom de sa mère, soit Lecavelier Désétangs ; que, par décision du 21 janvier 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande ; que le requérant a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler ce refus du 21 janvier 2016 ; que par la présente requête M. C...relève régulièrement appel devant la Cour du jugement du 14 juin 2017 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret. " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 susvisé : " Le refus de changement de nom est motivé. (...) " ; que le requérant fait valoir que la décision en cause du 21 janvier 2016 est entachée d'une insuffisance de motivation, dès lors, qu'elle indique par erreur que son père, Paul Sagot-Dutertre, aurait pour identité Jean Amselem ; que cette motivation erronée, alors que l'objet même de la demande concerne un changement de nom, va au-delà d'une erreur de plume et ne permet pas au destinataire de la décision de comprendre la raison pour laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande ; que, par suite, ce moyen doit, en tout état de cause, être accueilli ;
4. Considérant, en second lieu, que M. C...soutient qu'il n'a plus aucun lien avec son père à la suite du divorce de ses parents prononcé alors qu'il avait trois ans, que son père n'a pas versé la contribution mise à sa charge pour son entretien et son éducation, qu'il n'a pas exercé son droit de visite et d'hébergement, et s'est totalement désintéressé de lui, y compris lors de ses longues hospitalisations nécessitées par l'immunodéficience dont il souffre depuis sa naissance ; que ces allégations sont suffisamment établies par les pièces du dossier, et notamment par les attestations nombreuses, précises et circonstanciées émanant de proches, de ses grands-parents maternels, mais aussi d'un psychologue, dont il résulte tant la réalité du comportement paternel critiqué que celle de la souffrance de l'intéressé en relation avec l'abandon matériel et relationnel dont il a été l'objet ; que, dès lors, l'intéressé est fondé à exciper de motifs d'ordre affectif et de circonstances exceptionnelles qui suffisent à caractériser un intérêt légitime, au sens des dispositions de l'article 61 du code civil, pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision querellée est entachée d'une erreur d'appréciation, doit également être accueilli ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M.C... est fondé à demander à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 janvier 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de Lecavelier des Étangs, ou à défaut celui de Lecavelier Désétang ; qu'il y a donc lieu de prononcer l'annulation de ce jugement et de cette décision ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que, dans les circonstances de l'espèce, l'annulation de la décision litigieuse pour le motif retenu au point 4 du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre un projet de décret tendant à autoriser M. B...C...à substituer à son nom celui de Lecavelier des Étangs et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
7. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros à verser à M. C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604058/4-2 du 14 juin 2017 du tribunal administratif de Paris, et la décision du 21 janvier 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à autoriser M. B...C...à substituer à son nom celui de Lecavelier des Etangs.
Article 3 : L'État (ministère de la justice) versera à M. C...une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3
(1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2018.
Le rapporteur,
A. LEGEAI Le président,
S. DIÉMERT Le greffier,
M.A... La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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N° 17PA02824