Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 mars 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom en Guedj et d'enjoindre à ce ministre d'autoriser le changement de son nom, ainsi que celui de ses deux enfants, mineurs, B...etD..., en Guedj.
Par jugement n° 1610897/4-1 du 1er juin 2017 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er août 2017, M.E..., représenté par Me Jeaurat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610897/4-1 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Paris qui a rejeté son recours ;
2°) d'annuler la décision du 23 mars 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom en Guedj et d'enjoindre à ce ministre d'autoriser le changement de son nom, ainsi que celui de ses deux enfants, mineurs, B...etD..., en Guedj ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice d'autoriser son changement de nom et celui de ses enfants en Guedj, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un mois après la notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que, c'est à tort que le tribunal n'a pas considéré que la décision du
23 mars 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom en Guedj méconnaît les dispositions de l'article 61 du code civil, dès lors qu'il justifie d'un intérêt légitime à solliciter le changement de son nom, et des articles 61-2 et 61-3 du code civil, car il a obtenu l'accord de son épouse et de ses enfants mineurs pour le changement de leur propre nom.
La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 11 avril 2018 la clôture de l'instruction a été fixée au 3 mai 2018 à 12 heures.
Des documents complémentaires ont été enregistrés le 4 mai 2018 pour M.E....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Legeai,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- et les observations de Me Jeaurat, avocat de M. A...E....
Une note en délibéré, a été présentée pour M.E..., le 1er juin 2018.
1. Considérant que M. A...E..., né le 20 août 1973, a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice le changement de son nom, hérité de son père, par l'attribution du patronyme maternel de Guedj ; que par une décision en date du 23 mars 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de M.E... ; que par un jugement du
1er juin 2017 le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. E...tendant à l'annulation de cette décision ; queE... relève appel de ce jugement devant la Cour ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ; qu'aux termes de l'article 61-2 du code civil : " Le changement de nom s'étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu'ils ont moins de treize ans. " ; que l'article 61-3 du même code dispose que : " Tout changement de nom de l'enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation. L'établissement ou la modification du lien de filiation n'emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement. " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant que M. E...soutient, à l'appui de sa demande, que lui-même et son frère jumeau David ont été l'objet d'un désintérêt affectif et matériel complet de leur père, depuis la séparation de ses parents qui, mariés 3 août 1972, ont divorcé le 26 novembre 1976, que son père a quitté le domicile conjugal dès 1974, qu'il ne s'est plus jamais occupé de ses enfants après cette date ni n'a assumé les obligations résultant du jugement de divorce, et que sa mère pourvoyant seule à leur éducation, aidée par son propre père et par son frère ; que le requérant produit, outre des attestations nombreuses, précises, et circonstanciées de proches, un document manuscrit établi par son père en 1979 aux termes duquel celui-ci " atteste (...) après examen de (la) situation commune avec (son) ex-épouse (...) celle-ci étant prête à (lui) dispenser une révision de la pension alimentaire avec effet rétroactif sur trois ans, renoncer formellement à exercer (son) droit de garde sur (ses) enfants (...) " ; que, dès lors, M. E...est fondé à invoquer des motifs d'ordre affectif pouvant, dans des circonstances exceptionnelles, caractérisant un intérêt légitime pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom prévus par la loi ; que, par suite, le moyen de M. E...tiré de ce que la décision du 23 mars 2016 est entachée d'erreur d'appréciation et méconnait les dispositions de l'article 61 du code civil, doit être accueilli ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a par le jugement attaqué rejeté, sa demande d'annulation de la décision en date du 23 mars 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice ; qu'il y a donc lieu d'annuler ce jugement et cette décision ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que, dans les circonstances de l'espèce, l'annulation de la décision litigieuse pour le motif retenu au point 4 du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre un projet de décret tendant à autoriser M. E...à substituer à son nom celui de Guedj et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
6. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros à verser à M. E...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er: Le jugement n° 1610897/4-1 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Paris et la décision en date du 23 mars 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à autoriser M. A...E...à substituer à son nom celui de Guedj.
Article 3 : L'État (ministère de la justice) versera à M. A...E...une somme de
1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A...E...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement, en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2018.
Le rapporteur,
A. LEGEAI Le président,
S. DIÉMERT Le greffier,
M.C... La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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N° 17PA02701