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07/06/2018 | FRANCE | N°17PA01125

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 07 juin 2018, 17PA01125


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 29 mai 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Paris de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a autorisé la société Carmignac Gestion à le licencier.

Par un jugement n° 1513014/3-3 du 17 janvier 2017, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la Cou

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Par une ordonnance n° 1704574 du 31 mars 2017, enregistrée le même jour au greffe ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 29 mai 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Paris de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a autorisé la société Carmignac Gestion à le licencier.

Par un jugement n° 1513014/3-3 du 17 janvier 2017, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la Cour :

Par une ordonnance n° 1704574 du 31 mars 2017, enregistrée le même jour au greffe de la Cour, la présidente du Tribunal administratif de Paris a transmis à la Cour, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la requête de la société Carmignac Gestion enregistrée au greffe du Tribunal le 16 mars 2017.

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 mars 2017, 26 février 2018 et 30 mars 2018, la société anonyme Carmignac Gestion, représentée par Me Bénard, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1513014/3-3 du 17 janvier 2017 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont commis des erreurs de droit en considérant, d'une part, que l'entretien d'évaluation de 2014 de M. D... devait être qualifié de document produit à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement et devait être porté à la connaissance du salarié peu important son caractère déterminant ou non et, d'autre part, que les témoignages recueillis par l'inspectrice du travail comportaient des éléments déterminants et auraient dû être communiqués à M. D... ;

- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2018, la ministre du travail indique s'en remettre à la sagesse de la Cour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2018, appuyés de pièces complémentaires enregistrées au greffe de la Cour le 22 janvier 2018, M. D..., représenté par Me Sintes, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Carmignac Gestion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure pour méconnaissance des droits de la défense, dès lors, d'une part, que son entretien d'évaluation de 2014 avait un caractère déterminant et aurait donc dû lui être communiqué et, d'autre part, que les témoignages, les " éléments d'information " recueillis au cours de l'enquête et les comptes rendus du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avaient également un caractère déterminant et qu'il aurait donc dû être mis en mesure d'en prendre connaissance ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- la décision contestée est entachée d'erreur de fait, dès lors que le grief retenu à son encontre n'est pas établi ;

- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec le mandat qu'il détient et caractérise une discrimination syndicale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeA...,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- les observations de MeE..., substituant Me Bénard, avocat de la société Carmignac Gestion,

- et les observations de Me Sintes, avocat de M.D....

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour la société Carmignac Gestion le 28 mai 2018.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été recruté le 16 mars 2005 par la société Carmignac Gestion. En 2008, il a été nommé directeur de la clientèle privée. Le 3 octobre 2013, il a été désigné représentant d'une section syndicale. Par courrier du 31 mars 2015, la société Carmignac Gestion a demandé l'autorisation de licencier M. D... pour faute grave. Par une décision du 29 mai 2015, l'inspectrice du travail a accordé cette autorisation. Par la présente requête, la société Carmignac Gestion demande l'annulation du jugement du 17 janvier 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspectrice du travail pour vice de procédure.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2421-4 du code du travail, applicable aux représentants de section syndicale en vertu de l'article L. 2142-1-2 du même code : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".

3. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions précitées de l'article R. 2421-4 impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. L'autorité administrative doit également mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'elle a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'autorité administrative doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. Dans sa décision contestée, l'inspectrice du travail a considéré que la société Carmignac Gestion s'était notamment fondée sur l'entretien d'évaluation de 2014 de M. D... pour appuyer sa demande, ce que la société conteste. Il ressort effectivement des pièces du dossier que ce document n'était pas produit au soutien de la demande d'autorisation de licenciement, ni même mentionné dans cette demande. Il apparaît, à cet égard, que c'est l'inspectrice du travail qui a demandé à la société la production de cette pièce au cours d'un entretien mené dans le cadre de son enquête. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ce document, qui constitue en réalité l'évaluation de l'activité de M. D... au cours de l'année 2013, doit être regardé comme l'un des " éléments d'information recueillis à l'occasion de l'enquête contradictoire " sur lesquels l'inspectrice du travail s'est fondée pour considérer que " les relations difficiles entre M. D... et la société Carmignac Gestion existaient avant sa désignation en tant que représentant de section syndicale ", la conduisant à écarter tout lien entre la demande d'autorisation et le mandat détenu par le salarié. Cette pièce doit par suite être regardée comme l'un des éléments déterminants recueillis au cours de l'enquête par l'inspectrice du travail. Celle-ci devait donc mettre à même M. D... de prendre connaissance de cette pièce, quand bien même celui-ci en connaissait le contenu. Or, il n'est pas contesté que tel n'a pas été le cas.

5. Il ressort en outre des termes mêmes de la décision contestée que les témoignages recueillis par l'inspectrice du travail au cours de son enquête ont présenté un caractère déterminant. La décision indique en effet que ces témoignages ont permis de confirmer, d'une part, les " difficultés liées au comportement de M. D... " et, d'autre part, " la dégradation des conditions de travail des collaborateurs placés sous [son] autorité " et, par suite, de regarder l'un des griefs formulés par l'employeur comme suffisamment établi. L'inspectrice du travail aurait donc dû mettre M. D... à même de prendre connaissance de ces témoignages ou l'informer de leur teneur et ce, quand bien même les attestations écrites établies antérieurement par la plupart des personnes entendues pouvaient être connues de M.D.... Or, celui-ci soutient sans être contredit que cette procédure n'a pas été respectée.

6. L'absence de possibilité d'accès à des éléments déterminants recueillis au cours de l'enquête par l'inspectrice du travail, en méconnaissance du caractère contradictoire d'une telle enquête, a privé M. D... d'une garantie et a, par suite, entaché d'illégalité la décision contestée.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Carmignac Gestion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 29 mai 2015 de l'inspectrice du travail.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que la société Carmignac Gestion, partie perdante, demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Carmignac Gestion une somme de 1 500 euros à verser à M. D... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Carmignac Gestion est rejetée.

Article 2 : La société Carmignac Gestion versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Carmignac Gestion, à M. C... D...et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- MmeB..., première conseillère,

- Mme A..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 7 juin 2018.

La rapporteure,

A. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17PA01125


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01125
Date de la décision : 07/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-03-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Modalités de délivrance ou de refus de l'autorisation. Modalités d'instruction de la demande. Enquête contradictoire.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : LLP ORRICK HERRINGTON et SUTCLIFFE (EUROPE)

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-06-07;17pa01125 ?
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