Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 643 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime.
Par un jugement n° 1502165/5-1 du 11 février 2016, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 24 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2014 et de la capitalisation de ces intérêts, et a rejeté le surplus des conclusions de M.B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2016, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1502165/5-1 du 11 février 2016 et de rejeter la demande présentée par M.B....
Elle soutient que :
- le protocole transactionnel signé par M. B...le 18 mai 2014, relatif au même accident et pas seulement aux souffrances endurées, fait obstacle à sa demande indemnitaire ;
- s'agissant d'un accident de service dont la victime est agent public, et en l'absence de toute faute de l'Etat, le droit à indemnisation de M. B...est limité aux préjudices extra patrimoniaux distincts de l'atteinte à son intégrité physique ;
- ces préjudices ont déjà été indemnisés.
Par un mémoire enregistré le 10 novembre 2016, M. A...B..., représenté par
MeC..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement attaqué pour porter l'indemnisation mise à la charge de l'Etat de la somme de 24 500 euros à celle de 789 724 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande amiable, et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'Etat a commis une faute d'organisation et de surveillance à l'origine de l'accident ;
- il a droit à la réparation de l'ensemble de ses préjudices ;
- la transaction du 18 mai 2014 ne portait que sur l'indemnisation de ses souffrances ;
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire total et reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 3 % et d'un préjudice esthétique et a perdu une chance sérieuse de devenir
sous-officier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- et les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., caporal au sein du régiment d'infanterie de chars de marine de Poitiers, affecté sur la base opérationnelle avancée de Zouar au Tchad, a été blessé par des éclats de balles à la tête, le 7 avril 2012, à l'âge de 26 ans, à la suite d'une erreur de manipulation de son arme par le caporal L., lequel a été reconnu coupable des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, d'usage illicite de stupéfiants et de violation de consignes par militaire par un jugement correctionnel du Tribunal de grande instance de Paris du
1er avril 2014. Ce même tribunal s'étant déclaré incompétent sur l'action civile, M. B...a adressé au ministre de la défense une demande préalable d'indemnisation à laquelle une décision implicite de rejet a été opposée. M. B...a alors formé, le 8 septembre 2014, un recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires, auquel le ministre de la défense a opposé, le 17 mars 2015, une décision de rejet. Le Tribunal administratif de Paris, saisi par M. B...a, par un jugement du 11 février 2016, condamné l'Etat à verser à
celui-ci une somme totale de 24 500 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant pour lui de cet accident. La ministre des armées relève appel de ce jugement et sollicite le rejet des demandes de M.B..., ce dernier demandant par la voie de l'appel incident que le montant de la condamnation prononcée à son profit soit porté à la somme totale de 789 724 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande amiable, et de leur capitalisation.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes des articles 2048 et 2049 du code civil, les transactions sont d'interprétation stricte et ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris. Si M. B...et le ministre des armées ont signé, le 6 juin 2014, un protocole transactionnel aux termes duquel l'Etat a alloué à
M. B...une indemnité de 3 000 euros en réparation des souffrances causées par l'accident de service dont il a été victime, et si par ce protocole l'intéressé s'est engagé à renoncer à " toute action, prétention et à tout recours à l'encontre de l'Etat relatifs aux mêmes faits " et à se désister " de toute instance ou action en cours engagée contre l'Etat ", il résulte des termes de ce même protocole qu'il n'est relatif qu'aux conséquences de la responsabilité sans faute de l'Etat à raison de cet accident. En conséquence, il n'a pas eu pour effet de rendre irrecevables les conclusions indemnitaires présentées par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris, dès lors qu'elles sont fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.
4. Il est constant que l'accident dont a été victime M. B...trouve sa cause dans la faute commise par le caporal L., qui a procédé au nettoyage d'une arme sans respecter les consignes de sécurité applicables. Cette faute, commise sur les lieux et durant le temps du service, avec une arme de service, présente malgré sa gravité un lien avec ce service qui suffit à engager la responsabilité de l'Etat, ainsi que l'ont relevé les premiers juges.
Sur les préjudices :
5. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont fait une juste appréciation des déficits fonctionnels, temporaires et permanents, subis par M. B...du fait de son accident en condamnant l'Etat à lui verser à ce titre, respectivement, les sommes de 3 000 euros et 6 000 euros. Le préjudice esthétique subi par M.B..., compte tenu de l'ampleur et de la localisation de la cicatrice sur le cuir chevelu dont il reste atteint, a également fait l'objet d'une juste appréciation par l'allocation d'une indemnité de 500 euros.
6. M. B...établit, compte tenu de l'appréciation portée sur sa manière de servir par sa hiérarchie et de son incapacité physique définitive à l'accès à ce grade, qu'il a perdu une chance de devenir sous-officier. Cette perte de chance ne peut toutefois être indemnisée par l'allocation d'une indemnité équivalente à la différence entre le salaire maximal de sous-officier, déduction faite de la pension d'invalidité qui lui est servie, et le traitement qu'il perçoit en sa qualité de caporal, dès lors qu'une perte de chance ne peut donner lieu qu'à l'indemnisation d'une fraction du préjudice financier qui en résulte, en fonction de l'ampleur de la chance perdue. M. B...n'établissant pas que la chance perdue était proche de 100 %, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à le réparer à hauteur de 15 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées et M.B..., sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de son appel incident, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à l'intéressé la somme de 24 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2014 et de la capitalisation de ces intérêts, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les frais de justice :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la ministre des armées et les conclusions incidentes de M. B...sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A...B....
Délibéré après l'audience du 22 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juin 2018.
Le rapporteur,
P. HAMONLe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01283