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10/04/2018 | FRANCE | N°16PA01822

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 10 avril 2018, 16PA01822


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, puis de condamner la société Orange à lui verser la somme totale de 113 000 euros au titre des préjudices de déficit fonctionnel partiel et permanent, de la douleur, des préjudices esthétiques, temporaires et permanents, du préjudice sexuel et du préjudice d'agrément, de juger que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de

la demande indemnitaire préalable et de l'anatocisme des articles 1153 et 115...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, puis de condamner la société Orange à lui verser la somme totale de 113 000 euros au titre des préjudices de déficit fonctionnel partiel et permanent, de la douleur, des préjudices esthétiques, temporaires et permanents, du préjudice sexuel et du préjudice d'agrément, de juger que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire préalable et de l'anatocisme des articles 1153 et 1154 du code civil, si plus d'une année d'intérêts de retard était due, de condamner en outre la société Orange à lui verser une rente annuelle de 2 819,02 euros pour faire face à ses besoins en matière d'aide d'une tierce personne, ladite somme étant actualisable en fonction de l'évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance, de condamner en outre la société Orange à lui verser la somme de 37 377,66 euros en réparation du préjudice lié à l'interruption prématurée de sa carrière, de condamner également la société Orange à lui verser la somme de

89 564,76 euros en réparation du préjudice lié au manque à gagner sur sa pension de retraite, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 4 556 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 13 433,20 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement avant dire droit du 23 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a ordonné une expertise en vue d'apprécier le préjudice de la requérante.

Le rapport d'expertise a été déposé au greffe du Tribunal, le 2 décembre 2015.

Par un jugement n° 1302390/5-2 du 7 avril 2016, le Tribunal administratif de Paris a condamné la société Orange à verser à Mme D...la somme de 61 000 euros, assortie des intérêts échus sur la somme de 41 500 euros à compter du 14 février 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, ces intérêts devant être capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts, plus une rente de 1 800 euros par an, cette rente devant être revalorisée au 1er janvier de chaque année par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale et la somme de 4 303,20 euros au titre des frais d'expertise.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juin 2016, la société Orange représentée par MeC..., demande à la Cour :

1°) à titre principal, de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris

n° 1302390/5-2 du 7 avril 2016 en tant qu'il condamne la société Orange à verser à Mme D...une rente de 1 800 euros par an ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1302390/5-2 du 7 avril 2016 en réduisant à hauteur de 19 500 euros le montant de l'indemnité que la société Orange a été condamnée à verser à MmeD... ;

3°) en tout état de cause, de réduire le montant des indemnités versées à Mme D...en réparation de ses préjudices personnels à leur juste proportion ;

4°) et d'annuler le jugement n° 1302390 du 7 avril 2016 en tant qu'il met à la charge de la société Orange le paiement des frais d'expertise.

Elle soutient :

- qu'elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité lors de l'entretien et la maintenance de l'ascenseur litigieux, et au moment de la prise en charge de Mme D...à la suite de l'accident de service qu'elle a subi ;

- que, par conséquent, Mme D...pouvait uniquement bénéficier du versement de l'indemnité forfaitaire prévue aux articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, même en l'absence de faute, de l'indemnisation de ses souffrances physiques ou morales, et des préjudices esthétiques ou d'agrément ;

- qu'en revanche, elle ne pouvait pas bénéficier des frais de tierce personne et du préjudice de carrière qui sont liés à son intégrité physique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2016, Mme D...conclut au rejet de la requête de la société Orange et, à titre incident, à ce que les déficits fonctionnel temporaire et permanent soient portés respectivement de 7 000 euros à 12 000 euros et de 30 000 euros à 80 000 euros, soit au total à une somme de 116 000 euros.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un mémoire en réplique a été enregistré le 22 mars 2018 pour la société Orange.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires,

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat,

- le décret n° 2004-765 du 29 juillet 2004,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour MmeD....

1. Considérant que le 6 juillet 2009, MmeD..., alors fonctionnaire de France Télécom, a été victime d'une chute de plusieurs mètres entre le second étage et un niveau compris entre le rez-de-chaussée et le sous-sol du bâtiment où elle travaillait, à la suite du décrochage d'une cabine d'ascenseur ; que sa chute a entrainé un traumatisme crânien, une syncope et des contusions de la tête, du bras et de la colonne vertébrale ; que, le 31 août 2009, elle a été déclarée temporairement inapte au travail et placée en arrêt maladie jusqu'au 1er mars 2010 ; qu'elle a ensuite été placée en arrêt de travail ; qu'à la suite de la réunion de la commission de réforme le

10 mars 2011, Mme D...a repris une activité à temps partiel thérapeutique sur un poste aménagé, à compter du 1er avril 2011 ; que France Télécom lui a versé, le 13 août 2012, une allocation temporaire d'invalidité sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 37 %, et l'a mise en retraite pour une invalidité, fixée à 39 %, à compter du 1er octobre 2014 ; que, par une réclamation préalable dont la société Orange a accusé réception le 14 février 2013, Mme D...a demandé à France Télécom l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis ; que, par un jugement avant dire droit du 23 avril 2015, le tribunal administratif a jugé que la responsabilité pour faute de la société Orange était engagée et a ordonné une expertise aux fins de statuer sur la requête en indemnisation présentée par Mme D...; que le rapport d'expertise a été déposé le 2 décembre 2015 ; que, par un jugement du 7 avril 2016, dont la société Orange relève appel, le Tribunal administratif de Paris a condamné cette société à verser à Mme D...une somme globale de 61 000 euros, assortis des intérêts de droit eux-mêmes capitalisés, plus une rente annuelle de 1 800 euros revalorisée annuellement, et a mis à sa charge les frais d'expertise et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité de la société Orange :

2. Considérant, qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité, cumulable avec la pension rémunérant les services ;

3. Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à

celle-ci ;

4. Considérant que MmeD..., à qui en sa qualité de demandeur il incombait la charge d'établir l'existence d'une faute commise par la société Orange, fait grief à cette dernière de s'être rendue coupable, comme employeur, de deux fautes de nature à engager sa responsabilité en n'assurant pas suffisamment l'entretien et la maintenance de l'ascenseur méconnaissant ainsi son obligation de sécurité et en ne lui imposant pas de se rendre aux urgences hospitalières à la suite de son accident ;

5. Considérant, en premier lieu, que Mme D...se borne à soutenir que la société Orange n'aurait pas respecté son obligation de sécurité, méconnaissant ainsi l'article 23 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 aux termes duquel " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail " ; que, toutefois, elle n'assortit ces allégations d'aucun commencement de preuve, alors même, contrairement à ce qu'elle soutient, qu'il ne s'agissait pas d'une preuve impossible dans la mesure où elle pouvait se rapprocher du comité d'hygiène, de sécurité des conditions de travail pour obtenir des informations sur le respect par la société Orange de ses obligations en matière de santé et de sécurité, ou encore de recueillir des témoignages d'employés de cette société indiquant qu'elle était négligente dans l'entretien de ses ascenseurs et notamment celui en litige ; que la société Orange, qui produit quant à elle le relevé des visites de contrôle et d'entretien de l'appareil, qui indique qu'il a fait l'objet entre le 23 avril et le 15 juin 2009, de six visites de contrôle et d'entretien, établit qu'elle a respecté son obligation de sécurité ; que, dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la société Orange d'avoir, à ce titre, commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise judiciaire du 23 avril 2015, que Mme D...a été prise en charge au moment de l'extraction de la cabine par les pompiers et non uniquement par les services internes de la société Orange ; que ce sont les pompiers qui ont estimé qu'il n'était pas nécessaire de conduire l'intéressée dans un service d'urgence hospitalier ; que le médecin généraliste qui l'a auscultée le soir même, s'est lui-même borné à lui prescrire le port d'une minerve, mais n'a pas estimé utile de faire réaliser une radiographie ou de prescrire un traitement ; que, dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la société Orange, qui s'est bornée à suivre des avis médicaux des services compétents, une négligence constitutive d'une faute lors de la prise en charge de MmeD... ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont reconnu l'existence de fautes commises par la société Orange ;

Sur l'indemnisation des préjudices :

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de faute de la société Orange, Mme D...est uniquement fondée, outre la pension perçue, à percevoir une indemnité complémentaire réparant les souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément lesquels ne relèvent pas d'une atteinte à l'intégrité physique ;

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

9. Considérant, ainsi qu'il a été précisé aux points 4 et 5 ci-dessus, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'accident dont a été victime Mme D...soit imputable à une faute de la société Orange ; qu'ainsi, Mme D...n'est pas fondée à demander le versement complémentaire d'une indemnité pour les frais de tierce personne, ainsi que pour le préjudice de carrière qu'elle a subi du fait de son accident, qui étant directement liés à l'atteinte à son intégrité physique sont couverts par la pension perçue ; que, par suite, les premiers juges ont commis une erreur de droit en accordant à Mme D...une somme de 2 500 euros au titre des frais d'assistance aux opérations d'expertise, une somme de 17 000 euros au titre de sa perte de revenus et une rente de 1 800 euros par an pour les frais de tierce personne ;

En ce qui concerne les préjudices personnels :

10. Considérant, en revanche, que même en l'absence de faute, Mme D...est en droit d'être indemnisée des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, qu'elle a endurés du fait de son accident de service, ces chefs de préjudice étant distincts de l'atteinte à l'intégrité physique ; qu'en appel, la société Orange conteste uniquement les montants mis à sa charge par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent ;

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

11. Considérant qu'il résulte de l'expertise que Mme D...a subi depuis son accident du 6 juillet 2009, et jusqu'à la consolidation de son état de santé le 15 septembre 2015, soit pendant une durée de 6 ans ou 72 mois, une incapacité temporaire partielle de 40 % ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté de ce déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à la somme de 12 000 euros ;

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire, que Mme D...demeure atteinte, depuis la consolidation de son état de santé à l'âge de 59 ans, d'une incapacité permanente partielle de 32 % ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice inhérent au déficit fonctionnel permanent en lui allouant, à ce titre, une somme de 54 000 euros ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Orange est seulement fondée à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué ; que l'article 1er du jugement doit quant à lui être réformé pour porter de 61 000 euros à 66 000 euros l'indemnité due à

MmeD... ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

14. Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1153 du code civil,

Mme D...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme due au titre de son préjudice personnel, soit sur la somme de 66 000 euros, à compter du 14 février 2013 date de réception de sa demande préalable ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts pour la première fois dans sa demande contentieuse enregistrée le 20 février 2013 ; que les intérêts échus à la date du 14 février 2014 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle suivante ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par les parties en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : La société Orange versera à Mme D...une somme de 66 000 euros assortie des intérêts de droit au titre des préjudices personnels.

Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'article 2 du jugement attaqué est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange et à Mme A...D....

Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 avril 2018.

Le rapporteur,

L. d'ARGENLIEULe président,

B. EVENLe greffier,

I. BEDR

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 16PA01822


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01822
Date de la décision : 10/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-04-01-03 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Congés. Congés de maladie. Accidents de service.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : MC DERMOTT WILL et EMERY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-04-10;16pa01822 ?
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