La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2018 | FRANCE | N°16PA03786

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 21 mars 2018, 16PA03786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL United Kitchen a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 21 octobre 2015 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de travail et celle de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de

réacheminement prévue à l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL United Kitchen a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 21 octobre 2015 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de travail et celle de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue à l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à titre subsidiaire, d'ordonner la décharge de ces contributions ou, à défaut, d'en réduire le montant et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1520524/3-2 du 19 octobre 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2016, sous le n° 16PA03786 et un mémoire en réplique, enregistré le 7 septembre 2017, la SARL United Kitchen, représentée par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 octobre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser ainsi qu'à

M. D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;

- la procédure est irrégulière dès lors que le gérant de la société n'a pas été destinataire des rapports de service de police et de l'URSSAF, lesquels sont entachés de nombreuses incohérences ;

- la décision attaquée méconnaît l'autorité de chose jugée dès lors que le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la relaxe du gérant de la société lors d'une audience du

14 octobre 2015 ;

- la décision contestée est entachée d'erreurs de fait, M. C...n'étant pas salarié de la société ; il ne participait pas aux activités du restaurant mais était venu pour un contrat de prestations de services informatiques en tant que représentant de la société Goal Seo ;

- M. C...bénéficiait d'une autorisation provisoire de séjour lui permettant de résider régulièrement sur le territoire français ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la société a fait l'objet de nombreux contrôles effectués par les services de l'URSSAF chaque année et n'a jamais fait l'objet d'infractions ;

- le montant des contributions mises à sa charge est manifestement disproportionné et génèrera des difficultés financières.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée est suffisamment motivée et qu'elle n'est pas entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;

- la communication des procès-verbaux n'est pas prévue par les textes ;

- l'OFII n'est pas tenu par les termes d'un jugement de relaxe, ni par les qualifications juridiques du juge répressif ;

- les faits reprochés étaient établis ; M. C...était dépourvu de titre de séjour au moment du contrôle ; la société United Kitchen était l'employeur de M. C...;

- la décision d'imposer la contribution spéciale à hauteur de 17 600 euros à la SARL United Kitchen, fixée à cinq mille fois le taux horaire du minimum garanti, est parfaitement justifiée, les taux minorés ne pouvant s'appliquer en l'espèce ; la contribution forfaitaire a été fixée conformément aux dispositions de l'article R. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les difficultés financières de la société sont sans incidence sur le recouvrement de la contribution spéciale ; en tout état de cause, la société aurait pu solliciter auprès de la direction générale des finances publiques, chargée du recouvrement, des délais de paiement adaptés à sa situation.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code pénal ;

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena ;

- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.

1. Considérant qu'à l'issue d'un contrôle effectué le 12 mai 2015 au sein du restaurant à l'enseigne " Best of India " exploité par la SARL United Kitchen, les inspecteurs du travail accompagnés des services de police ont constaté la présence, en situation de travail, de

M.C..., de nationalité sri-lankaise non autorisé à travailler en France et démuni de titre de séjour ; que par un courrier du 26 août 2015, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a indiqué à la SARL United Kitchen qu'il envisageait de mettre à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la suite de cette infraction ; que le gérant de la SARL United Kitchen a formulé des observations par deux courriers des 10 septembre et du 22 octobre 2015 ; que par une décision en date du 21 octobre 2015, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale et la contribution forfaitaire, respectivement pour des montants de 17 600 euros et de 2 309 euros ; que la SARL United Kitchen relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du

21 octobre 2015 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 aujourd'hui codifié à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ; que la décision contestée se réfère expressément aux textes applicables, au procès-verbal établi à la suite du contrôle du 12 mai 2015 au cours duquel les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été constatées ; que la décision précise le montant des sommes dues et mentionne en annexe le nom du salarié concerné ; que, par suite, la décision du 21 octobre 2015 comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; qu'elle est ainsi suffisamment motivée ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'OFII n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de la société requérante ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a écarté les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier ;

3. Considérant que la société requérante reprend en appel le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure du fait de l'absence de communication du dossier de procédure; qu'il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris, d'écarter ce moyen ;

4. Considérant que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ; qu'il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative ;

5. Considérant que, par un jugement du 14 octobre 2015, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé la société United Kitchen prévenue des chefs d'exécution d'un travail dissimulé par personne morale et d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié ; que toutefois, il ne résulte pas des motifs de ce jugement correctionnel que les faits reprochés à la société United Kitchen ne sont pas établis ; qu'ainsi, l'autorité de la chose jugée au pénal ne fait pas obstacle à ce que les contributions litigieuses soient mises à la charge de la société United Kitchen ; que le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaît l'autorité de la chose jugée doit, dès lors, être écarté ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, que lors du contrôle effectué le 12 mai 2015, il a été constaté que M. C...était occupé à disposer de la sauce dans des assiettes ; qu'aucune explication plausible n'a été donnée à cette action qui pourrait exclure la relation de travail qu'elle permet à l'inverse de présumer ; qu'en outre le gérant a reconnu avoir versé 600 euros en liquide à M.C... ; que, dans ces conditions, l'existence d'une relation de travail, proscrite par les dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, est établie et était de nature à justifier la contribution spéciale mise à la charge de la société United Kitchen pour l'emploi de M. C...; qu'enfin, l'absence d'élément intentionnel est, en tout état de cause, sans influence sur le bien-fondé de la contribution spéciale mise à la charge de l'employeur qui a contrevenu aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine " ; qu'aux termes de l'article R. 626-1 du même code : " I. - La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui, en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail, a embauché ou employé un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour " ; que ces dispositions ne subordonnent pas la mise à la charge de l'employeur de la contribution représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine qu'elles prévoient à la justification par l'administration du caractère effectif de ce réacheminement ; qu'elles ne sont, toutefois, applicables qu'à l'égard de l'employeur d'un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier ;

8. Considérant que la société United Kitchen soutient qu'elle ne saurait se voir appliquer les frais de réacheminement de l'étranger en cause vers son pays d'origine, dès lors que celui-ci était titulaire d'un récépissé de demande d'asile valant autorisation de séjour à la date où le contrôle a été effectué ; que l'office français de l'intégration et de l'immigration, qui se borne à déclarer que le récépissé ne serait pas valable et que la contribution en litige peut être mise à la charge du requérant indépendamment de la preuve du réacheminement effectif du travailleur étranger, ne rapporte pas la preuve de ce que M.C... ne se trouvait pas en situation régulière sur le territoire français lors du contrôle effectué le 12 mai 2015 dans l'établissement Best of India alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il avait déposé une demande d'asile le 16 janvier 2015, valable jusqu'au 28 juillet de la même année ; que, dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a appliqué la contribution forfaitaire représentative des frais d'un réacheminement qui, en l'état, demeure purement éventuel ; que, par suite, il y a lieu de la décharger de la somme de 2 309 euros ;

9. Considérant que les dispositions précitées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail aménagent une possibilité de minoration du montant de la contribution spéciale, au plus égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti, en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 par l'employeur ; que la SARL United Kitchen soutient qu'elle se trouverait dans la première hypothèse visée par ces dispositions ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que le procès verbal d'infraction du 12 mai 2015 mentionne, outre l'emploi d'étranger sans titre, l'infraction de travail dissimulé ; qu'il fait ainsi état d'une autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la seule méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail ; qu'en outre, elle n'établit pas s'être acquittée des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles

R. 8252-6 et R. 8252-7 ; qu'il suit de là que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a pu légalement fixer le montant de la contribution à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti au titre des infractions relevées pour l'emploi de

M. C...sans en minorer le montant ; que la circonstance alléguée que la société a toujours respecté ses obligations fiscales et sociales et que le montant de la contribution spéciale risquerait de mettre en péril sa situation financière est à cet égard sans incidence ;

10. Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société United Kitchen est uniquement fondée à demander à être déchargée de la somme de 2 309 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par l'OFII doivent, dès lors, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La SARL United Kitchen est déchargée de la somme de 2 309 (deux mille trois cent neuf) euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL United Kitchen et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 21 mars 2018.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 16PA03786


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03786
Date de la décision : 21/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Eléonore PENA
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : SCP BOLLING DURAND et LALLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-03-21;16pa03786 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award