Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société L'Abattoir de Dammarie-les-Lys a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 9 juin 2015 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de travail ainsi que la somme de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue à l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un jugement n° 1506348/9 du 5 octobre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2016, la société L'Abattoir de Dammarie-les-Lys, représentée par MeE..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1506348/9 du 5 octobre 2016 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en considérant qu'il existe un lien de subordination entre les salariés et l'établissement ;
- le contenu des procès-verbaux ne saurait être pris en compte dès lors que les salariés ne maîtrisaient pas bien la langue française, que la gérante ne maitrisait pas le langage juridique et qu'elle n'était pas assistée par un avocat ;
- la sanction est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'OFII n'a pas pris en compte les importantes sanctions été prononcées par le procureur de la République à l'encontre de la gérante et de son établissement ;
- l'OFII a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant au montant de la sanction en retenant la contribution la plus élevée alors que la gérante était de bonne foi concernant le salarié ayant un titre de séjour européen, qu'elle l' a déclaré et qu'elle a versé l'ensemble des cotisations le concernant ; ces éléments justifient ainsi une réduction de la contribution.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 2 800 euros soit mis à la charge de la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient notamment que :
- le procès-verbal qui lui a été transmis par les corps de contrôle habilité à l'établir est suffisant pour permettre de conclure à la constitution de l'infraction et mettre en oeuvre les contributions spéciale et forfaitaire ; il n'a nullement besoin de rapporter davantage la preuve d'un quelconque lien de subordination entre l'employeur et son employé ;
- la critique des dépositions des salariés au motif qu'ils parlaient imparfaitement le français est sans fondement ;
- la société requérante n'apportant pas la preuve contraire des faits matériellement établis par le procès-verbal de constat, les moyens développés sont dès lors inopérants ;
- la Sarl L'Abattoir de Dammarie-les-Lys ne saurait utilement invoquer d'éventuelles difficultés financières dès lors qu'elle en est à l'origine pour avoir délibérément contrevenu à la loi ;
- c'est à bon droit que l'OFII a mis en oeuvre et appliqué la contribution spéciale de 35 100 euros et la contribution forfaitaire de 4 248 euros à la Sarl L'Abattoir de Dammarie-les-Lys ;
- la société n'entre dans aucune hypothèse permettant d'obtenir une modulation à la baisse du montant des contributions.
Vu :
- les autres pièces du dossier,
- le code pénal,
- le code du travail,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena,
- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.
1. Considérant qu'à l'occasion d'un contrôle effectué le 26 août 2014 au sein de l'établissement de boucherie et abattoir exploité par la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys, 183 quai de Voltaire à Dammarie-les-Lys (77190), les inspecteurs du travail accompagnés des services de police ont constaté que cette dernière employait deux étrangers démunis de titres de séjour et de titres les autorisant à travailler en France ; que par une décision du 9 juin 2015, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une contribution spéciale d'un montant de 35 100 euros au titre de l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi qu'une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un montant de
4 248 euros au titre de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 9 juin 2015 ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / [...] " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-2 dans sa rédaction issue du décret n° 2013-467 du 4 juin 2013 : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article
L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article
L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à
1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / [...] " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) " ;
4. Considérant, en premier lieu, que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys fait valoir qu'aucun lien de subordination n'est établi entre MM. A...G...etB..., et l'établissement et que les déclarations faites tant par ces salariés que par la gérante lors des interrogatoires ne constituent pas un aveu dès lors qu'elles ont été recueillies alors que la gérante n'était pas assistée d'un avocat, qu'elle ne maitrisait pas le langage juridique et que les salariés maitrisaient mal la langue française ; que, toutefois, ces seules allégations ne sauraient utilement contredire les termes du procès-verbal établi le 26 août 2014 par les services de l'inspection du travail, lequel fait foi jusqu'à preuve du contraire, termes selon lesquels M. B...H...était trouvé " derrière le comptoir dans la surface de vente de la boucherie (...) occupé à servir un client " sans pour autant disposer d'un titre de séjour lui permettant de séjourner sur le territoire national ni disposer d'un titre l'autorisant à y travailler ; que ce procès-verbal indique également que des documents au nom de M. A...G...mentionnant notamment qu'il réside à l'adresse de la boucherie ont été retrouvés sous les combles, au-dessus de la boucherie, et que suite à cette découverte, M. A...G...qui se trouvait, lors du contrôle, dans la " salle de repos dédiée au personnel ", a déclaré " résider effectivement à l'étage et travailler à la boucherie derrière dans l'abattoir " sans pour autant disposer d'un titre de séjour lui permettant de séjourner sur le territoire national ni disposer lui non plus d'un titre l'autorisant à travailler en France ; qu'ainsi, les déclarations de la gérante de l'établissement lors de son audition selon lesquelles " M. B...H...travaille 35 heures par semaine, c'est mon boucher, il s'occupe de la boucherie et de la vente. Après il y a Mohammed il m'aide à l'abattoir et à la boucherie. (...) Je lui donne environ 300 euros par mois en liquide (...) ", n'ont fait que confirmer les constatations faites par les contrôleurs du travail ; qu'il résulte ainsi de l'ensemble de ces circonstances, que MM. B...et A...G...exécutaient un travail en échange d'une rémunération sous l'autorité et selon les directives de Mme F...C...épouseD..., gérante de la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys, qui en contrôlait l'exécution ; que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys doit, par suite, être regardée comme l'employeur de ces ressortissants étrangers au sens et pour l'application des dispositions précitées des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que c'est par suite, à bon droit que les premiers juges ont estimé que le lien de subordination entre la gérante et MM. A...G...et B...de même que la matérialité des éléments constitutifs de l'infraction devaient être regardés comme établis ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys ne peut utilement soutenir que l'OFII aurait du tenir compte de la circonstance que la gérante de la société ainsi que l'établissement avaient déjà été pénalement sanctionnés, dès lors que les dispositions des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que les contributions qu'elles instituent peuvent être imposées sans préjudice des poursuites judiciaires susceptibles d'être engagées à l'encontre des employeurs et que le principe général du droit " Non bis in idem " ne concerne que l'impossibilité de poursuivre et condamner pénalement une personne à raison des mêmes faits ayant donné lieu à un jugement d'acquittement ou de condamnation pénale définitive ; que ce principe ne fait en revanche pas obstacle à la possibilité de cumuler une sanction pénale avec une sanction administrative telle que la contribution spéciale instituée par l'article L. 8253-1 du code du travail au bénéfice de l'OFII ;
6. Considérant, en troisième et dernier lieu, que les dispositions précitées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail aménagent une possibilité de minoration du montant de la contribution spéciale, au plus égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti, en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 par l'employeur ; que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys soutient qu'elle se trouverait dans la seconde hypothèse visée par ces dispositions ; que, toutefois, elle n'établit pas s'être acquittée des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7 ; qu'il résulte, par ailleurs, de l'instruction que le procès verbal d'infraction du 26 août 2014 mentionne, outre l'emploi d'étrangers sans titre, l'infraction de travail dissimulé et d'aide au séjour d'étrangers ; qu'il fait ainsi état de deux autres infractions commises à l'occasion de l'emploi des salariés étrangers en cause que la seule méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail ; qu'il suit de là que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a pu légalement fixer le montant de la contribution à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti au titre des infractions relevées pour l'emploi de MM. A... G... et B...; que la circonstance alléguée que la gérante était de bonne foi en estimant que M. B...était autorisé à travailler en France avec son titre de séjour européen est à cet égard sans incidence ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys à l'encontre de l'OFII, qui n'est pas la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys une somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys est rejetée.
Article 2 : La SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys versera à l'OFII une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL L'Abattoir de Dammarie-les-Lys et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 13 février 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 février 2018.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 10PA03855
2
N° 16PA03639