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22/02/2018 | FRANCE | N°17PA00783

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 22 février 2018, 17PA00783


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 14 décembre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'admission sur le territoire français au titre de l'asile.

Par un jugement n° 1621545/8 du 16 décembre 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er mars 2017, le ministre de l'intérieur, représenté par MeB..., demande à la Cour :>
1°) d'annuler le jugement n° 1621545/8 du 16 décembre 2016 du tribunal administratif de Paris ;

2°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 14 décembre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'admission sur le territoire français au titre de l'asile.

Par un jugement n° 1621545/8 du 16 décembre 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er mars 2017, le ministre de l'intérieur, représenté par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1621545/8 du 16 décembre 2016 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de MmeD....

Il soutient que :

- c'est à tort que, compte tenu des éléments du dossier, le premier juge a estimé que la demande d'admission sur le territoire national au titre de l'asile n'était pas manifestement infondée ;

- les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision du 14 décembre 2016 doivent être écartés : la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ne fait pas obligation à l'Etat membre d'informer l'étranger sur la possibilité de contacter un représentant du Haut commissariat aux réfugiés, mais l'oblige seulement à ne pas faire obstacle à ce qu'il le fasse ; la décision litigieuse n'est pas entachée d'un vice de procédure résultant de la violation du principe de confidentialité des éléments de la demande d'asile ou de la privation de la présence d'un tiers au cours de son entretien avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; les conditions matérielles de l'entretien avec l'agent de l'OFPRA étaient satisfaisantes ; il ne s'est pas livré à un examen approfondi de la situation de Mme D...et n'a pas commis l'erreur de droit qui lui est reprochée ni d'erreur manifeste d'appréciation ; il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée à MmeD..., qui n'a pas présenté d'observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- et les observations de Me A...C...représentant le ministre de l'intérieur.

1. Considérant que MmeD..., ressortissante ghanéenne née le 20 novembre 1991, a été contrôlée par les services de la police aux frontières le 10 décembre 2016, à son arrivée à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en provenance de Grande-Bretagne ; qu'ayant sollicité son admission au séjour au titre de l'asile, elle a été placée en zone d'attente ; que, par une décision du 14 décembre 2016, prise après avis de non-admission de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) intervenu le même jour, le ministre de l'intérieur a estimé que sa demande était manifestement infondée et décidé en conséquence de lui refuser l'entrée sur le territoire français en prescrivant son réacheminement vers tout pays où elle serait légalement admissible ; que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 16 décembre 2016 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située (...) dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 213-9 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile peut, dans les quarante-huit heures suivant la notification de cette décision, en demander l'annulation, par requête motivée, au président du tribunal administratif " ; qu'en vertu des articles R. 213-2 et R. 213-3 du même code, la décision visée à l'article L. 213-9 précité est prise par le ministre chargé de l'immigration, après consultation de l'OFPRA qui procède à l'audition de l'étranger ;

3. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que ce droit implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande ; que c'est seulement dans le cas où celle-ci est manifestement infondée que le ministre chargé de l'immigration peut, après consultation de l'OFPRA, lui refuser l'accès au territoire ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er A. (2) de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;

5. Considérant que pour justifier sa demande d'asile, Mme D... a, dans son entretien avec un agent de l'OFPRA, fait état de ce qu'elle est issue d'une famille royale, qu'elle est tombée enceinte hors mariage une première fois et que, du fait de la tradition, son bébé et le père ont été sacrifiés en 2013, que, revenue au Ghana en 2016 après trois ans de résidence à Dubaï, elle est de nouveau tombée enceinte hors mariage et a été séquestrée quand sa mère l'a appris, qu'une des femmes qui la gardaient l'a néanmoins aidée à s'enfuir, qu'ainsi elle craint pour sa vie car du fait de la fuite du père, elle pense qu'elle serait sacrifiée à sa place ; que son récit, peu circonstancié quant à l'existence de la tradition invoquée, des modalités de sa fuite à Dubaï ou de l'identité de ses ravisseurs est manifestement incohérent quant à l'organisation de son village et à la place et au rôle de sa famille dans celui-ci ; qu'ainsi le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision attaquée, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a considéré que celle-ci était entachée d'une erreur d'appréciation quant au caractère manifestement infondé de la demande d'asile présentée par MmeD... ;

6. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme D...devant le tribunal administratif de Paris ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la directive 2013/32/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. En ce qui concerne les procédures prévues au chapitre III, les États membres veillent à ce que tous les demandeurs bénéficient des garanties suivantes : a) ils sont informés, dans une langue qu'ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. Ils sont informés du calendrier, des moyens dont ils disposent pour remplir leur obligation de présenter les éléments visés à l'article 4 de la directive 2011/95/UE, ainsi que des conséquences d'un retrait explicite ou implicite de la demande. Ces informations leur sont communiquées à temps pour leur permettre d'exercer les droits garantis par la présente directive et de se conformer aux obligations décrites à l'article 13 ; / b) ils bénéficient, en tant que de besoin, des services d'un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes (...) / c) la possibilité de communiquer avec le HCR ou toute autre organisation qui fournit des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs conformément au droit de l'État membre concerné ne leur est pas refusée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 221-4 du même code : " L'étranger maintenu en zone d'attente est informé, dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. Il est également informé des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 213-2 du même code dans sa rédaction résultant du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 pris pour l'application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 qui a assuré la transposition de la directive 2013/32/UE : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande (...) " ;

8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile doit être informé du déroulement de la procédure dont il fait l'objet et des moyens dont il dispose pour satisfaire à son obligation de justifier du bien-fondé de sa demande ; que ces dispositions impliquent notamment que l'étranger soit informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, de la possibilité de communiquer tant avec un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) qu'avec les organisations qui fournissent des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs ; qu'à cet égard, sont sans incidence sur l'obligation d'information qui incombe à l'administration les circonstances que l'étranger n'a pas spontanément fait part de sa volonté d'avoir de tels contacts et qu'il n'a pas été privé des conditions matérielles qui lui auraient permis de les demander ;

9. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D...a été informée dans une langue qu'elle comprend de la possibilité de communiquer, préalablement à la décision litigieuse, avec un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) ; qu'ainsi, et quand bien même le HCR n'a pas pour mission première de donner des conseils juridiques aux demandeurs d'asile placés en zone d'attente et que la liste des associations susceptibles de lui fournir une assistance aurait été affichée dans cette zone, la décision du ministre a été prise au terme d'une procédure irrégulière ; que ce vice de procédure, qui a privé l'intéressée d'une garantie, suffit à justifier, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande de première instance, l'annulation de la décision litigieuse ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement en date du 16 décembre 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 14 décembre 2016 ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme E...D....

Délibéré après l'audience du 8 février 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Legeai, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 février 2018.

Le rapporteur,

A. LEGEAILa présidente,

S. PELLISSIERLe greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA00783


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00783
Date de la décision : 22/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : SCP SAIDJI et MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-02-22;17pa00783 ?
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