Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté en date du 23 septembre 2016 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a décidé sa remise aux autorités italiennes en charge de sa demande d'asile et lui a donné un mois pour quitter volontairement le territoire français.
Par un jugement n° 1610345 en date du 6 janvier 2017, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 23 septembre 2016 du préfet de Seine-et-Marne.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2017, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610345 du 6 janvier 2017 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Melun ;
Il soutient que :
- M. B...n'a pas soulevé devant le premier juge le moyen tiré de l'absence de saisine des autorités italiennes d'une demande de transfert ;
- il produit devant la Cour l'accusé de réception Dublinet attestant qu'il a saisi les autorités italiennes d'une demande de transfert de M.B... ;
- son arrêté est suffisamment motivé ;
- il a procédé à l'examen de la situation personnelle de M.B... ;
- la procédure prévue par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été respectée ;
- la demande d'asile de M. B...relève de la compétence des autorités italiennes en application de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- M. B...n'établit pas avoir fait l'objet de mauvais traitements en Italie, ni avoir été dans l'impossibilité de bénéficier des garanties attachées à l'exercice du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2017, M.B..., représenté par Me Aslanian, conclut au rejet de la requête du préfet de Seine-et-Marne et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que le préfet de Seine-et-Marne ne justifie pas, par la production d'une pièce ne mentionnant pas son nom, avoir saisi les autorités italiennes d'une demande de transfert, ni la date de cette saisine.
Par des nouveaux mémoires, enregistrés les 7 décembre 2017 et 14 janvier 2018, M. B..., représenté par Me Aslanian, demande à la Cour de prononcer un non-lieu à statuer sur la requête du préfet de Seine-et-Marne.
Il soutient que :
- le préfet de Seine-et-Marne a finalement considéré que sa demande d'asile relevait de la compétence des autorités françaises, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant enregistré sa demande d'asile le 10 mars 2017 ; qu'ainsi, à la date d'enregistrement de la présente requête le 13 mars 2017, celle-ci était dépourvue d'objet ;
- les autorités italiennes ne sauraient être regardées comme ayant donné le 12 septembre 2016 un accord implicite tendant à son transfert, la plus ancienne de leurs réponses à la demande du préfet de Seine-et-Marne étant datée du 16 septembre 2016.
Par un mémoire, enregistré le 11 décembre 2017, le préfet de Seine-et-Marne maintient ses conclusions.
Il soutient, en outre, que la demande d'asile de M. B...relève désormais de la compétence des autorités françaises, le délai de six mois courant à compter de l'accord de l'Etat-membre pour prendre en charge M. B...étant expiré.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 13 juin 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Larsonnier a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.B..., ressortissant soudanais, né en 1992, entré en France selon ses déclarations le 6 juin 2016, s'est présenté le 4 juillet 2016 à la préfecture de Seine-et-Marne pour déposer une demande d'asile ; que la consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient déjà été relevées par les autorités italiennes le 25 mai 2016 ; que, par un arrêté en date du 23 septembre 2016, le préfet de Seine-et-Marne a pris à son encontre une décision de remise aux autorités italiennes en application de l'article 26 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et du règlement d'exécution du 30 janvier 2014 susvisés ; que le préfet de Seine-et-Marne relève appel du jugement du 6 janvier 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté ;
Sur les conclusions aux fins de non lieu à statuer :
2. Considérant que si le préfet de Seine-et-Marne a admis M. B... à séjourner en France dès lors que le délai pour remettre l'intéressé aux autorités italiennes était expiré et que sa demande d'asile a ensuite été instruite par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ces seules circonstances ne rendent toutefois pas sans objet l'appel du préfet de Seine-et-Marne ; que les conclusions aux fins de non-lieu à statuer présentées par M. B...doivent par suite être rejetées ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 777-3 du code de justice administrative : " Sont présentés, instruits et jugés selon les dispositions des articles L. 742-4 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les recours en annulation formés contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, le cas échéant, contre les décisions d'assignation à résidence prises en application de l'article L. 561-2 de ce code au titre de ces décisions de transfert. " ; qu'aux termes de l'article R. 777-3-2 du même code : " (...) Le second alinéa de l'article R. 411-1 n'est pas applicable et l'expiration du délai de recours contentieux n'interdit pas au requérant de soulever des moyens nouveaux, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent. " ;
4. Considérant qu'il ressort des mentions du jugement attaqué que M. B...a soulevé à l'audience, comme il était autorisé à le faire par les dispositions de l'article R. 777-3-2 du code de justice administrative, le moyen nouveau tiré de ce que le préfet de Seine-et-Marne n'établissait pas avoir saisi les autorités italiennes d'une demande de réadmission ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun se serait fondé sur un moyen qui n'était pas soulevé par M. B...pour annuler l'arrêté en litige doit être écarté ;
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. " ; qu'aux termes de l'article L. 742-3 du même code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend " ;
6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) " ;
7. Considérant que le préfet de Seine-et-Marne produit pour la première fois en appel la copie d'un courrier électronique daté du 16 septembre 2016 constituant la " réponse automatique accusant réception " de sa demande de transfert de M. B...formulée au moyen de l'application " DubliNet " dans le cadre du règlement Dublin III ; que ce document comporte la même référence FRDUB17703115226770 que celle figurant sur le document non daté émis par les services de la préfecture de Seine-et-Marne et adressé au ministère de l'intérieur italien constatant " l'accord implicite et confirmation de reconnaissance de responsabilité " des autorités italiennes s'agissant de la prise en charge de la demande d'asile de M.B... ; que, dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté en date du 23 septembre 2016 décidant de la remise de M. B...aux autorités italiennes au motif qu'il n'établissait pas avoir préalablement saisi ces dernières d'une demande de transfert ;
8. Considérant que, toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant devant le Tribunal administratif de Melun que devant la Cour ;
9. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 (...) équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée (...) " ;
10. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, dans sa rédaction issue du règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 et applicable à l'arrêté contesté : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique "DubliNet" établi au titre II du présent règlement / (...) / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse " ;
11. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la " réponse automatique accusant réception " de la demande de transfert de M. B...envoyée aux autorités italiennes par le préfet de Seine-et-Marne au moyen de l'application " DubliNet " que cette demande a été réceptionnée le 16 septembre 2016 ; que le préfet de Seine-et-Marne n'établit pas qu'une décision d'acceptation des autorités italiennes serait intervenue avant l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et courant à partir du 16 septembre 2016 ; qu'ainsi, une décision implicite d'acceptation des autorités italiennes est née le 16 novembre 2016 ; que n'ayant donc pas encore obtenu l'accord des autorités italiennes pour la prise en charge de M. B...le 23 septembre 2016, le préfet de Seine-et-Marne ne pouvait pas, à cette date, prendre l'arrêté de transfert contesté ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur ses autres moyens, M. B... est fondé à soutenir que, pour le motif ci-dessus énoncé, l'arrêté contesté est entaché d'illégalité ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 23 septembre 2016 ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Aslanian, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Aslanian de la somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Seine-et-Marne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Aslanian, avocat de M.B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Aslanian renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. A...B....
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Lescaut, premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er février 2018.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
S.-L. FORMERYLe greffier,
C. RENE MINE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00875