Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 octobre 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser son changement de nom de E...en " A...E... ".
Par un jugement n° 1520755 du 3 février 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 avril 2017, M. D...E..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1520755 du 3 février 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 19 octobre 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser son changement de nom de E...en " A...E... " ;
3°) de l'autoriser à porter le nom deF... ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'absence de concordance entre son nom à l'état civil tunisien, F..., et son nom à l'état civil français, E..., est susceptible de lui poser de réelles difficultés notamment lors de la transmission de son patrimoine à ses enfants ;
- il justifie d'un intérêt légitime à reprendre le nom deF..., en raison tant de l'aspect identitaire du nom, qui est au nombre des considérations qui doivent être prises en compte au titre du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que de sa volonté de mettre en harmonie ce nom avec celui d'autres membres de sa famille.
La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas présenté d'observations en défense.
Une mise en demeure a été adressée le 16 octobre 2017 au garde des sceaux, ministre de la justice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant que, le 28 août 1943, est né à Midoun Jerba (Tunisie), Chedli, de M. G... A...E...et de Mme H...A...I..., son épouse ; que l'intéressé a pris le nom deA... E... ; qu'à l'occasion de sa naturalisation, par décret du 20 avril 1994, M. A... E... a, conformément à sa demande de francisation de son nom, pris le patronyme deE... ; que par un courrier en date du 2 décembre 2011, il a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de substituer à ce nouveau nom celui de " A... E... " en faisant valoir, d'une part, les discordances entre son nom, également porté par ses deux filles, lesquelles ont saisi l'autorité administrative de demandes de changement de nom tendant aux mêmes fins que la sienne, et le nom porté par son épouse et son fils, d'autre part, son attachement à son nom d'origine ; qu'il relève régulièrement appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 octobre 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser ce changement de nom ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant, en premier lieu, que M.E..., qui ne pouvait ignorer cette circonstance lorsqu'il a demandé la francisation de son nom lors de sa naturalisation, ne peut utilement se prévaloir de ce que la loi tunisienne ne permet pas de modification de son état civil en Tunisie ; qu'en tout état de cause, une telle situation ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle requise par la loi pour déroger au principe d'immutabilité et de fixité du nom ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que M.E..., qui est ressortissant français, n'établit pas, par ses seules allégations dépourvues de tout élément probant, que la discordance de son état civil français et de son état civil tunisien serait susceptible de provoquer des difficultés lors de la transmission de son patrimoine à ses enfants ; qu'au demeurant, un tel motif n'est pas davantage de nature à constituer, par lui-même, une circonstance exceptionnelle requise par la loi pour déroger au principe d'immutabilité et de fixité du nom ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte tant des dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aux termes desquelles " Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance (...) ", que de celles des articles 225-1 et 264 du code civil en vertu desquelles les époux ont, simplement, l'usage du nom de leur conjoint, que chacun des époux conserve dans le mariage son propre nom ; qu'ainsi, M. E... ne peut utilement faire valoir que son épouse ne porte pas son nom ; qu'au surplus, si l'épouse du requérant porte le nom deA... E..., identique au nom de naissance du requérant, la discordance entre les noms des époux résulte de ce que, lors de leur naturalisation, le requérant a demandé la francisation de son nom à la différence de son épouse qui, comme cela lui était loisible, n'a pas formulé une telle demande ; que de même, la discordance entre le nom du requérant et celui de son fils Hakeim résulte de ce que ce dernier, qui a acquis la nationalité française par déclaration souscrite au titre de l'article 52 du code de la nationalité française, alors applicable et qui, né le 15 avril 1975, était majeur à la date précitée à laquelle son père a été naturalisé, a décidé de conserver le nom deA... E... ; qu'ainsi, les discordances de noms dont le requérant fait état résultent de choix différents effectués par les membres de la famille ;
6. Considérant, compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4 et alors que le souhait " identitaire " exprimé par l'intéressé de reprendre son nom de naissance ne saurait, dans les circonstances particulières de l'espèce, marquées par la démarche volontaire de l'intéressé de procéder, en toute connaissance de cause, à la francisation de son patronyme à l'occasion de sa naturalisation, constituer une circonstance exceptionnelle caractérisant l'intérêt légitime requis par la loi pour déroger aux principes d'immutabilité et de fixité du nom qu'elle établit, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article 61 du code civil doit être écarté ; que la décision litigieuse n'a pas, eu égard aux buts en vue desquels elle a été prise, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D...E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que sa requête doit donc être rejetée, en ce comprises ses conclusions à fin d'injonction et celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que l'État n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Legeai, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 janvier 2018.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01372