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03/10/2017 | FRANCE | N°16PA02142

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 03 octobre 2017, 16PA02142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, en son nom propre et au nom de J...B...-E..., sa fille mineure, de condamner solidairement l'Etat et la commune de Moorea-Maiao à lui verser les sommes de 8 000 000 francs CFP (67 040 euros) au titre de son préjudice économique et 2 000 000 francs CFP (16 760 euros) au titre de son préjudice moral et, à sa fille, les sommes de 8 784 422 francs CFP (73 613, 50 euros) au titre du préjudice économique et 2 000 000 francs CFP (16 760 euros

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, en son nom propre et au nom de J...B...-E..., sa fille mineure, de condamner solidairement l'Etat et la commune de Moorea-Maiao à lui verser les sommes de 8 000 000 francs CFP (67 040 euros) au titre de son préjudice économique et 2 000 000 francs CFP (16 760 euros) au titre de son préjudice moral et, à sa fille, les sommes de 8 784 422 francs CFP (73 613, 50 euros) au titre du préjudice économique et 2 000 000 francs CFP (16 760 euros) au titre du préjudice moral subis du fait de la carence de l'Etat et de la commune à prêter assistance à M.B..., leur compagnon et père.

Par jugement n° 1200550 du 3 juillet 2013, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la commune de Moorea-Maiao à verser, d'une part, à MmeE..., la somme totale de 6 000 000 Francs CFP au titre de ses préjudices, ainsi que la somme de 9 584 422 Francs CFP au titre des préjudices de sa fille mineure J...B...-E..., et d'autre part, à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, la somme de 308 120 Francs CFP, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 2012.

Par un arrêt n° 13PA04068 du 28 mai 2015, la Cour administrative d'appel de Paris, saisie par la commune de Moorea-Maiao, a rejeté sa requête et a fait partiellement droit aux conclusions d'appel incident en condamnant la commune à verser à Mme E...une somme de 10 000 000 francs CFP au titre de ses préjudices propres, une somme de 9 824 582,30 francs CFP au titre des préjudices de son enfantJ..., et a rejeté les conclusions de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Par une décision n° 393182 du 22 juin 2016, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi de la commune de Moorea-Maiao, a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 28 mai 2015 et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 novembre 2013 et 29 janvier 2015, la commune de Moorea-Maiao, représentée par MeF..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française n° 1200550 du 3 juillet 2013 ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes de Mme E...et de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter sa responsabilité à hauteur de 10 % ;

4°) de mettre à la charge in solidum de Mme E...et de toute autre partie succombant la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande présentée par Mme E...devant le Tribunal administratif de Polynésie Française était irrecevable au-delà de la somme de 12 000 000 Francs CFP demandée dans sa réclamation préalable ;

- elle n'avait aucune obligation de signaler le danger dans la zone où s'est déroulé l'accident ;

- cette signalisation était impossible sur des terrains privés ;

- l'accident est survenu au-delà de la bande de 300 mètres du rivage, dans une zone ne relevant pas de l'exercice de ses pouvoirs de police ;

- les services de secours de la commune n'ont pas commis de faute lors de leur intervention ;

- la victime a commis une faute en ne respectant pas les consignes de sécurité ;

- les services de secours de l'Etat ont commis une faute en intervenant tardivement ;

- la responsabilité du loueur de matériel est engagée ;

- aucun texte ne permet le recours subrogatoire de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française au titre du capital-décès versé à l'enfant d'un assuré.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 avril 2014, 2 février 2015 et 11 octobre 2016 Mme C...E..., agissant en son nom propre et au nom de J...B...-E..., sa fille mineure, représentée par MeA..., demande à la Cour par la voie de l'appel incident :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant que celui-ci a limité à la somme de 6 000 000 Francs CFP (50 280 euros) l'indemnité qu'il a condamné la commune de Moorea-Maiao à lui verser en réparation de ses préjudices et à la somme de 9 584 422 francs CFP (80 317,50 euros) l'indemnité réparant les préjudices de sa fille mineure, J...B...-E... ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune de Moorea-Maiao à lui verser la somme globale de 10 000 000 francs CFP (83 801, 22 euros) en réparation de ses préjudices propres, ainsi que la somme globale de 10 784 422 francs CFP (90 374, 78 euros) au titre du préjudice moral et du préjudice économique de sa fille mineure ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Moorea-Maiao la somme de 330 000 francs CFP (2 765, 40 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive ;

- la demande relative à la réparation du préjudice économique de sa fille n'est pas nouvelle en appel ;

- la commune a commis une faute en ne signalant pas la dangerosité de la baignade alors que plusieurs décès ont déjà eu lieu au même endroit pour des causes similaires ;

- la plage au large de laquelle s'est produit l'accident n'est pas privée ;

- la responsabilité de la commune doit également être engagée en raison du délai excessif mis pour organiser les secours, ainsi qu'en raison de leur inadéquation ;

- la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour les mêmes motifs ;

- M. B...n'a commis aucune imprudence.

Par des mémoires enregistrés les 29 avril 2014, 25 mars 2015 et 22 décembre 2016 la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, représentée par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, conclut au rejet de la requête de la commune de Moorea-Maiao et demande à la Cour, par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Moorea-Maiao à lui verser la somme de 959 872 Francs CFP (8 043, 70 euros ) au titre du capital-décès versé à l'enfant J...B...-E... à la suite du décès de son père, M. B...;

2°) de condamner la commune de Moorea-Maiao à lui verser la somme de 959 872 Francs CFP (8 043,70 euros) au titre du capital-décès versé à l'enfant J...B...-E... en janvier 2014, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 2012 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) en cas de partage de responsabilité, de condamner également l'Etat à lui rembourser les sommes qu'elle a versées aux ayants-droit de l'assuré ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Moorea-Maiao la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou, le cas échéant, de mettre à la charge de la commune de Moorea-Maiao et de l'Etat le versement de cette même somme au prorata de leur responsabilité.

Elle soutient que :

- la responsabilité de la commune de Moorea-Maiao est engagée à raison des fautes commises ;

- la plage au large de laquelle a eu lieu l'accident appartient au domaine public ;

- la responsabilité de la commune peut être engagée au titre de la police des baignades même sans aménagement de la plage pour la baignade dès lors qu'elle était régulièrement fréquentée par des baigneurs et notoirement dangereuse ;

- la distance de l'accident par rapport au rivage est sans incidence sur l'existence de cette faute ;

- M. B...n'a commis aucune faute ;

- en Polynésie française, les prestations ouvrant droit à recours des tiers payeurs sont prévues par l'article 3 de l'ordonnance n° 92-1146 du 12 octobre 1992 et elle a par suite droit au remboursement du montant du capital décès qu'elle a versé.

Par un mémoire enregistré le 30 juin 2017, le ministre des Outre-Mer conclut au rejet de la requête d'appel et des conclusions de MmeE....

Il soutient que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée dès lors que les secours sont intervenus dans un délai normal, avec des moyens adaptés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française, et la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

- l'ordonnance n° 92-1146 du 12 octobre 1992 portant extension et adaptation dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna de certaines dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, modifiée ;

- la délibération n° 87-11 AT du 29 janvier 1987 modifiée portant institution du régime de retraite des travailleurs salariés de la Polynésie française ;

- la délibération n° 95-178 AT du 26 octobre 1995 portant modification de la délibération n° 82-33 du 15 avril 1982 portant institution d'un minimum vieillesse ;

- l'arrêté n° 886/AEM du 9 décembre 2010 portant organisation de la recherche et du sauvetage des personnes en détresse en mer dans les eaux placées sous responsabilité de la France au large des îles de la Polynésie française ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., pour la commune de Moorea-Maiao,

- et les observations de MeH..., pour la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Une note en délibéré, enregistrée le 20 septembre 2017, a été présentée par Me I...pour la commune de Moorea-Maiao.

1. Considérant que M. D...B...s'est noyé le 23 novembre 2011 alors qu'il faisait de la planche à bras sur le lagon aux abords de la passe de Tauotaha, au droit du territoire de la commune associée de Haapoti, sur le territoire de la commune de Moorea-Maiao ; que MmeE..., compagne de M. B...et mère de leur enfant J...B...-E... recherche la responsabilité tant de cette commune que de l'Etat ; que saisie par la commune de Moorea-Maiao du jugement par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française l'a condamnée à verser, d'une part, à Mme E...la somme totale de 6 000 000 francs CFP au titre de ses préjudices, ainsi que la somme de 9 584 422 Francs CFP au titre des préjudices de sa fille mineure et, d'autre part, à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française (CPS) la somme de 308 120 francs CFP, la Cour administrative d'appel de Paris a porté les condamnations prononcées au profit de Mme E...et de sa fille aux sommes respectives de 10 000 000 francs CFP et 9 824 582, 30 Francs CFP, et a rejeté les conclusions incidentes de la CPS tenant à la condamnation de la commune à lui verser une somme supplémentaire de 959 872 Francs CFP au titre du capital-décès versé au bénéfice de J...B...-E... ; que par une décision n° 393182 du 22 juin 2016 le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête de la commune de Moorea-Maiao ;

Sur la recevabilité de la demande présentée par Mme E...devant le Tribunal administratif de Polynésie Française :

2. Considérant que si, dans sa demande indemnitaire préalable, Mme E...a sollicité une somme globale de 12 000 000 francs CFP (100 561, 46 euros) au titre de ses préjudices et de ceux de sa fille mineure en raison du décès de leur compagnon et père, elle était recevable à augmenter ses prétentions indemnitaires devant le Tribunal administratif de la Polynésie française jusqu'à ce que celui-ci se fût prononcé sur sa demande ;

Sur la responsabilité de la commune de Moorea-Maiao :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales, applicable aux communes de la Polynésie française : " Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Cette police s'exerce en mer jusqu'à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux. Le maire réglemente l'utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance. Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés. Le maire est tenu d'informer le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il incombe au maire d'une commune sur le territoire de laquelle sont situés des lieux de baignade qui, sans avoir été aménagés à cet effet, font l'objet d'une fréquentation régulière, notamment pour la pratique de sports nautiques, de prendre les mesures nécessaires pour signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir et pour assurer le sauvetage des baigneurs et des pratiquants de ces sports en cas d'accident ; que contrairement à ce que soutient la commune, il résulte de l'instruction et notamment de l'audition de Mme E...que M. B...se trouvait à l'intérieur du lagon et dans la bande littorale des 300 mètres lorsqu'il a manifesté les premiers signes de détresse, qui étaient visibles depuis le rivage ; que par suite l'accident a eu lieu dans une zone relevant de la responsabilité de la commune, laquelle devait dès lors pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que bien que trois noyades s'étaient déjà produites aux abords de la passe de Tauotaha, aucune signalisation n'indiquait l'existence du danger présenté par les courants puissants existant aux abords de cette passe dans la barrière de corail, lequel excède ceux contre lesquels les baigneurs en mer doivent normalement se prémunir, alors même que le lieu de l'accident, s'il n'est pas aménagé pour la baignade, est fréquenté tant par des pêcheurs que par des associations sportives, ainsi que par des clients des établissements hôteliers riverains du lagon ; que la commune n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été dans l'impossibilité de procéder à cette signalisation, dès lors qu'elle n'établit pas que le rivage du lagon ferait l'objet de titres de propriété privée ; que, dans ces conditions, cette absence de signalisation est constitutive d'une faute du maire de Moorea-Maiao de nature à engager la responsabilité de cette commune ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les services de secours de la commune situés dans la caserne de pompiers de Paopao à une centaine de mètres de la plage où se trouvait MmeE..., malgré une arrivée rapide sur la plage n'ont pas pu commencer les opérations de secours en mer avant 11 heures 20, soit près de 30 minutes après l'appel de MmeE..., à raison du caractère non opérationnel de leur bateau de sauvetage depuis de nombreuses semaines ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. B...n'aurait pas eu une chance d'être sauvé si les opérations de secours, qui ont finalement été réalisées avec l'embarcation d'un riverain, avaient débuté plus rapidement ; qu'en outre, la commune admet qu'il n'existait aucune rampe de mise à l'eau pour son bateau de sauvetage ; que, dans ces conditions, l'organisation défaillante des secours dans la conduite de l'opération de sauvetage de M. B...constitue également une faute du maire de Moorea-Maiao dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales, qui est de nature à engager la responsabilité de la commune ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux dressés lors de l'enquête de gendarmerie, que les prévisions météorologiques pour la matinée du 23 novembre 2011 faisaient état d'un ciel nuageux, d'une houle d'un mètre 50 à 2 mètres, et d'un vent variable à faible ne rendant pas la pratique de la planche à bras spécialement dangereuse dans le lagon ; que M. B...était à la date de l'accident âgé de 40 ans, savait nager et présentait une bonne condition physique ; que résidant sur une autre île, il ne connaissait pas les lieux et a attaché le cordon de sécurité à sa cheville ; que dès lors la commune n'est pas fondée à soutenir que M. B...aurait commis des imprudences fautives de nature à l'exonérer de sa responsabilité à l'égard de Mme E...et de Mme J...B...-E... ;

7. Considérant enfin qu'il ne résulte pas plus de l'instruction que le loueur du matériel utilisé par M.B..., entendu lors de l'enquête pénale et qui n'a pas méconnu la réglementation maritime en ne proposant pas à M. B...de gilet de sauvetage, aurait commis une faute de nature à exonérer la commune de sa responsabilité ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que dès la réception de l'appel de détresse de MmeE..., les gendarmes de la brigade de Moorea ont prévenu les services de secours communaux en charge de la sécurité des baignades et des activités nautiques ; que dès que la brigade de Moorea a constaté la défaillance des services communaux de secours, elle a prévenu le Centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG) qui, vers 11h 30, a mobilisé le Centre opérationnel de recherche et de sauvetage en mer (MRCC), dont l'hélicoptère a décollé à

11h41 ; qu'arrivé sur zone à 11h58, il a repêché le corps sans vie de M. B...; que, dans ces conditions, alors même que les sapeurs-pompiers de la caserne de Paopao n'ont pas sollicité l'aide immédiate du MRCC dès la réception de l'appel de détresse de Mme E...et nonobstant les circonstances que l'hélicoptère aurait eu quelques minutes de retard en survolant dans un premier temps une passe voisine de celle de Tauotaha, et qu'à la suite de cet accident, le haut-commissaire de la République en Polynésie française a pris des mesures tendant à améliorer la coordination entre les différents services de secours, les services de l'Etat n'ont commis aucune faute dans la conduite des opérations de sauvetage de M. B...;

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne le préjudice économique :

9. Considérant que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu de ses propres revenus ; que l'indemnité allouée aux enfants de la personne décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de vingt-cinq ans ; que ce préjudice est déterminé en tenant compte des prestations à caractère indemnitaire susceptibles d'avoir été perçues par les membres survivants du foyer en compensation du préjudice économique qu'ils subissent ;

10. Considérant que le foyer de M. B...comprenant sa compagne, qui n'exerçait pas d'activité professionnelle à la date de son décès et un seul enfant, il y a lieu d'évaluer la part de revenu consommée par la victime à 25 % du revenu du foyer ; qu'il résulte de l'instruction que M. B..., titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, percevait à la date de son accident un revenu mensuel net de 259 286, 50 francs CFP ; qu'eu égard à l'âge de ce dernier lors de son décès et à la durée prévisible de son activité professionnelle, le préjudice économique de MmeE..., qui doit être regardée comme ayant été privée de 45 % du revenu du foyer, doit être fixé à la somme de 8 000 000 francs CFP qu'elle demande ;

11. Considérant que compte tenu de la composition du foyer, J...B...-E..., alors âgée de onze mois au décès de son père, doit être regardée comme ayant été privée, jusqu'à l'âge de 25 ans, de 30 % du revenu du foyer ; que le préjudice économique qu'elle subit, dont il y a lieu de déduire le capital décès d'un montant de 959 872 francs CFP versé par la CPS, doit donc être fixé à la somme de 8 784 422 francs CFP que demande en son nom MmeE... ;

En ce qui concerne le préjudice moral :

12. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par

Mme E...du fait du décès de son compagnon en portant à la somme de 2 000 000 francs CFP l'indemnité de 1 200 000 francs CFP allouée par les premiers juges ;

13. Considérant qu'il sera également fait une juste appréciation du préjudice moral subi par J...B...-E... du fait du décès de son père en lui octroyant la somme demandée 2 000 000 francs CFP ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme de 6 000 000 francs CFP que la commune de Moorea-Maiao a été condamnée à verser à Mme E... au titre de ses préjudices doit être portée à la somme de 10 000 000 francs CFP ; que la somme de 9 584 422 francs CFP allouée pour le compte de l'enfant mineure J...B...-E... doit être portée à 10 784 422 francs CFP ;

Sur les droits de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française :

15. Considérant qu'aux termes de l'article 1249 du code civil : " La subrogation dans les droits du créancier au profit d'une tierce personne qui le paie est ou conventionnelle ou légale " ; que la délibération n° 87-11 AT du 29 janvier 1987 modifiée portant institution d'un régime de retraite des travailleurs salariés de la Polynésie française dispose en son article 12 relatif à l'assurance-décès que : " Il est garanti au conjoint et aux enfants à charge au sens des prestations familiales de toute personne décédée ayant cotisé au régime, le paiement d'un capital égal à trois mois de la part du dernier salaire pris en considération dans le présent régime. / Ce capital sera éventuellement majoré de 15 % par enfant à charge, sans toutefois excéder 200 % du capital défini à l'alinéa précédent.(...) " ; que, toutefois, aucune disposition de cette délibération ni aucune autre disposition applicable en Polynésie française, hormis celles énoncées par l'ordonnance du

12 octobre 1992 applicable aux seuls dommages consécutifs à un accident de la circulation, ne prévoit l'existence d'un recours subrogatoire au profit de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française en cas de versement d'un capital-décès aux ayant droits de la victime d'une faute commise par un tiers ; que, dès lors, les conclusions incidentes de la CPS tendant à la condamnation de la commune de Moorea-Maiao à lui verser une somme de 959 872 francs CFP, assortie des intérêts au taux légal, correspondant au capital-décès qu'elle a versé au bénéfice de J...E...-B..., doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Moorea-Maiao, Mme E...et la CPS demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Moorea-Maiao une somme de 2 000 euros à verser à MmeE... sur le fondement des mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Moorea-Maiao est rejetée.

Article 2 : La somme de 6 000 000 francs CFP (50 280 euros) que la commune de

Moorea-Maiao a été condamnée à verser à Mme E...est portée à la somme de 10 000 000 francs CFP.

Article 3 : La somme de 9 584 422 francs CFP (80 317, 50 euros) que la commune de

Moorea-Maiao a été condamnée à verser pour le compte de l'enfant mineure J...B...-E... est portée à la somme de 10 784 422 francs CFP.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française n° 1200550 du 3 juillet 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : La commune de Moorea-Maiao versera à Mme E...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 6 : Le surplus de conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Moorea-Maiao, à Mme C...E..., à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française et au ministre des Outre-mer.

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 octobre 2017.

Le rapporteur,

P. HAMONLe président,

B. EVEN

Le greffier,

S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre des Outre mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 16PA02142


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02142
Date de la décision : 03/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : DUMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-10-03;16pa02142 ?
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