Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, les conseils coutumiers de trois aires géographiques, six grands chefs de district, ainsi que vingt-deux chefs de clans et présidents du conseil des chefs de clans ont demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2014 par lequel le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a modifié l'arrêté du 12 janvier 2010 créant et organisant la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières de la Nouvelle-Calédonie.
Par un jugement n° 1500049 du 26 novembre 2015, le Tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie a annulé l'arrêté attaqué.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 février 2016,
24 mars 2016 et 17 janvier 2017, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représentée par
MeAO..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 1500049 du
26 novembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le Sénat coutumier et autres devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
3°) de mettre à la charge des défendeurs le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable dès lors que l'arrêté attaqué qui constitue une mesure d'organisation des services de la Nouvelle-Calédonie est insusceptible de recours et n'a pas reçu d'exécution ;
- le Sénat Coutumier, s'il constitue un organe consultatif participant au processus normatif en matière d'affaires coutumières, n'est pas investi d'un monopole d'initiative en la matière, l'initiative des délibérations et lois de pays étant conférée au Gouvernement et au Congrès de Nouvelle Calédonie ;
- l'observatoire des affaires coutumières, quel que soit le nombre de ses membres, est dépourvu de pouvoir normatif et décisionnel et n'est investi d'aucune mission d'assistance ou d'avis dans le cadre d'un processus normatif ;
- sa création ne porte pas atteinte à l'organisation institutionnelle de la
Nouvelle-Calédonie ;
- l'exception d'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 créant et organisant la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières (DGRAC) est inopérante, cet arrêté ne constituant pas la base légale de l'arrêté attaqué ;
- l'organisation des services relevant des compétences propres du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en application de l'article 127 de la loi organique, l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'incompétence ;
- le contreseing de M. T...n'entache pas d'illégalité l'arrêté attaqué ;
- le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité est inopérant faute de compétence décisionnelle, normative ou consultative de l'observatoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2016, le Sénat coutumier de la
Nouvelle-Calédonie, le conseil coutumier de l'aire Ajie Aro, le conseil coutumier de l'aire Hoot Ma Whaap, le conseil coutumier de l'aire Nengone, M. AN...P...grand chef du district de Medu, M. Q... AP...chef de la tribu de Eni, M. C...AH..., grand chef du district de Tadine, M. AC... F..., grand chef du district de Weneki, M.AR..., grand chef du district de Gwei, M. I...R..., grand chef du district de Banout, M. V...X..., grand-chef du district de Wetr, M. AU...AL...O..., chef du clan Ouë, M. AL...AB..., chef du clan Tho Tohi, M. W... J..., chef du clanJ..., M. Y...K..., chef du clan Sohoo, M. AD...AG..., chef du clanAG..., M. U...AM..., chef du clan Tentio, M. S...L..., chef du clan et porte-parole de la chefferie de Mouli, M. Reia Moimburu, président du conseil des chefs de clans de la tribu Ouessoin, M. Maxime-Xavier Moainao, président du conseil des chefs de clan de la tribu de Pothe, M. Louis Niandou, président du conseil des chefs de clans de Nepou,
M. Josserand Tevesou, président du conseil des chefs de clans de Ouengo, M. Charles Hoveureux, président du conseil des chefs de clans de la Tribu de Table Unio, M. Julien Boehe, président du conseil des chefs de clans de la tribu de Ouakaya-Neoua, M. AE...AQ..., chef du clan Ayawa-Yari, M. D...AK..., chef du clanAK..., M. B...AT...chef du clan Mereureu-Yari, M. M...A..., chef du clanA..., M. AJ...AI..., chef du clan Mororheu, M. H...AF..., chef du clan Boai/AF..., M. N...G..., chef du clan G...et M. Z...E..., porte-parole du clan Faou, représentés par MeAS..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle constitue la reprise pure et simple des moyens soulevés en première instance et ne comporte aucune critique du jugement attaqué ;
- la demande de première instance était recevable dès lors que l'arrêté attaqué fait grief aux requérants puisqu'il porte atteinte à l'ensemble des autorités coutumières, nonobstant son absence de mise en oeuvre effective ;
- l'arrêté attaqué a bien pour effet de créer une institution au sens de l'article 2 de la loi organique du 19 mars 1999 ;
- cet arrêté remet en cause l'équilibre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie dès lors qu'il empiète sur les compétences du Sénat coutumier ;
- il est entaché d'incompétence, le Gouvernement ne disposant pas, aux termes de l'article 22 de la loi organique, compétence pour agir en la matière ;
- l'arrêté attaqué du 2 décembre 2014 méconnaît les dispositions de l'article 126 de la loi organique du 19 mars 1999 qui précise que " le Gouvernement prépare et exécute les délibérations du Congrès et de sa commission permanente " et " prend, sur habilitation du Congrès ou de sa commission permanente, les arrêtés réglementaires ou non réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre de leurs actes " ;
- l'arrêté du 12 janvier 2010 créant la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières est lui-même illégal, le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie n'étant pas compétent pour créer des services ;
- le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie ne dispose d'aucune compétence, aux termes de l'article 18 de la loi organique du 19 mars 1999, pour réglementer en matière d'affaires coutumières ;
- l'arrêté attaqué porte atteinte au principe d'égalité dès lors que les représentants du monde coutumier sont en minorité dans la composition de l'observatoire qu'il crée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relatives à la
Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- les observations de MeAA..., pour la Nouvelle-Calédonie,
- et les observations de MeAS..., pour les défendeurs.
Une note en délibéré, enregistrée le 7 juin 2017, a été présentée par MeAO..., pour le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
1. Considérant que, par un arrêté du 12 janvier 2010, le Gouvernement de la
Nouvelle-Calédonie a créé la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières (DGRAC) ; que, par un arrêté du 2 décembre 2014, modifiant celui du 12 janvier 2010, a été créé auprès de la DGRAC un observatoire des affaires coutumières ; que le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, saisi par le Sénat coutumier, ainsi que par les conseils coutumiers de trois aires, six grands chefs de district, ainsi que vingt-deux chefs de clans et présidents de conseil des chefs de clans, a annulé cet arrêté du 2 décembre 2014 ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs à la requête d'appel ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " Les institutions de la Nouvelle-Calédonie comprennent le congrès, le Gouvernement, le sénat coutumier, le conseil économique, social et environnemental et les conseils coutumiers. Le haut-commissaire de la République est dépositaire des pouvoirs de la République. Il représente le Gouvernement. (. . .) " ; que l'article 143 de cette loi organique précise que le Sénat coutumier, composé de seize membres désignés par chaque conseil coutumier, est consulté, selon les cas, par le président du Gouvernement, par le président du Congrès ou par le président d'une assemblée de province sur les projets ou propositions de délibération intéressant l'identité kanak et peut être consulté par les mêmes autorités, ou par le haut-commissaire, sur tout autre projet ou proposition de délibération ; que l'article 145 de cette même loi organique prévoit qu'à son initiative ou sur la demande d'un conseil coutumier, le Sénat coutumier peut saisir le Gouvernement, le congrès ou une assemblée de province de toute proposition intéressant l'identité kanak ;
3. Considérant que l'article 1er de l'arrêté du 2 décembre 2014 attaqué dispose
que : "... Il est créé auprès de la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières du Gouvernement, un observatoire des affaires coutumières. 1- L'observatoire des affaires coutumières favorise la mutualisation des connaissances sur la coutume kanak et ses valeurs, sa traduction dans le droit positif, son inscription dans la formation d'un droit coutumier kanak. Il apporte sa réflexion sur la législation et la réglementation coutumière à élaborer dans le cadre de la mise en oeuvre des politiques publiques en Nouvelle-Calédonie. 2 - Il participe par son analyse à une prise en compte de l'identité kanak dans l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. Il contribue par sa réflexion à une meilleure valorisation des aires coutumières et par sa recherche à assurer une reconnaissance du rôle des autorités coutumières notamment dans la prévention sociale et la médiation pénale. 3 - L'observatoire des affaires coutumières: / - Initie, participe et recense les études portant sur la coutume et l'identité kanak; / -Répertorie et suit l'actualité juridique portant sur l'identité kanak ou en lien avec elle ; / - Suggère des améliorations de la législation et de la réglementation coutumière en vigueur. (. . .) " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions énoncées par l'arrêté du 2 décembre 2014 attaqué que l'observatoire des affaires coutumières a vocation à connaître des projets de législation et de réglementation coutumière intéressant l'identité kanak, qui entrent également dans le champ de compétence du Sénat coutumier ; que cet observatoire comprend, dans chacune de ses trois formations, intitulées " terres coutumières ", " statut civil et droit civil coutumier " et " résolution de conflit en milieu coutumier", au moins un membre issu de l'administration de l'Etat, le premier président de la Cour d'appel ou le président du Tribunal de grande instance de Nouméa, ou le haut- commissaire de la République, ainsi que des personnalités qualifiées désignées par la DGRAC, et les représentants du Sénat coutumier et des conseils d'aires y étant minoritaires ; que les articles 6 et 8 de cet arrêté disposent en outre que le directeur de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières exerce les fonctions de secrétaire général de cet observatoire et, à ce titre, arrête l'ordre du jour et le calendrier des séances ;
5. Considérant que l'arrêté attaqué du 2 décembre 2014 porte création par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d'un service administratif dénommé " observatoire des affaires coutumières ", qui est notamment chargé de proposer des modifications de la législation et de la réglementation coutumière en vigueur, alors que la loi organique a attribué au Sénat coutumier un pouvoir consultatif concernant l'identité kanak ; que la circonstance que cette décision n'a pas encore été mise en oeuvre est sans incidence sur sa nature ; qu'eu égard à son objet, il ne s'agit pas d'une simple mesure d'ordre intérieur, mais d'une décision faisant grief aux défendeurs, qui porte atteinte à l'équilibre institutionnel défini par la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie a annulé l'arrêté du 2 décembre 2014 attaqué ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des défendeurs, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie une somme de 50 euros à verser à chacun des défendeurs sur le fondement des mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est rejetée.
Article 2 : Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie versera au Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, au conseil coutumier de l'aire Ajie Aro, au conseil coutumier de l'aire Hoot Ma Whaap, au conseil coutumier de l'aire Nengone, à M. AN...P..., à M. Q...AP..., à M. C...AH..., à M. AC... F..., à M.AR..., à M. I...R..., à M. V...X..., à
M. AU...AL...O..., à M. AL...AB..., à M. W...J..., à M. Y...K..., à
M. AD...AG..., à M. U...AM..., à M. S...L..., à M. Reia Moimburu, à
M. Maxime-Xavier Moainao, à M. Louis Niandou, à M. Josserand Tevesou, à M. Charles Hoveureux, à M. Julien Boehe, à M. AE... AQ..., à M. D...AK..., à M. B...AT..., à M. M...A..., à M. AJ... AI..., à M. H...AF..., à M. N...G...et à M. Z...E..., chacun, une somme de 50 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, au conseil coutumier de l'aire Ajie Aro, au conseil coutumier de l'aire Hoot Ma Whaap, au conseil coutumier de l'aire Nengone, à M. AN...P..., à M. Q... AP..., à M. C...AH..., à M. AC...F..., à M.AR..., à M. I...R..., à M. V...X..., à M. AU...AL...O..., à M. AL...AB..., à M. W...J..., à M. Y...K..., à M. AD...AG..., à M. U...AM..., à M. S...L..., à M. Reia Moimburu, à M. Maxime-Xavier Moainao, à M. Louis Niandou, à M. Josserand Tevesou, à M. Charles Hoveureux, à M. Julien Boehe, à M. AE...AQ..., à M. D...AK..., à M. B... AT..., à M. M...A..., à M. AJ...AI..., à M. H...AF..., à M. N... G...et à M. Z...E.... Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2017.
Le rapporteur,
P. HAMONLe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA00806