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27/04/2017 | FRANCE | N°15PA01986

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 27 avril 2017, 15PA01986


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Centre culturel islamique bangladais de France " a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur du 18 juin 2012 portant application des articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier et imposant une mesure de gel de ses fonds, instruments financiers et ressources économiques.

Par un jugement n° 1215633 du 6 mars 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédu

re devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 mai 2015, l'association " Cen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Centre culturel islamique bangladais de France " a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur du 18 juin 2012 portant application des articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier et imposant une mesure de gel de ses fonds, instruments financiers et ressources économiques.

Par un jugement n° 1215633 du 6 mars 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 mai 2015, l'association " Centre culturel islamique bangladais de France ", représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1215633 du 6 mars 2015 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 juin 2012 du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance.

Elle soutient que la décision attaquée :

- est insuffisamment motivée ;

- est entachée d'erreur de fait, l'organisation des collectes qui lui est imputée n'étant pas prouvée, et d'erreur d'appréciation, car les organisations bangladaises que l'administration lui reproche de soutenir ne sont pas des organisations terroristes ;

- est entachée d'erreur de droit car le ministre commet une confusion entre islamisme politique et terrorisme ;

- est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 août 2015, le ministre de l'économie et des finances conclut à ce que la Cour constate qu'il n'y a plus lieu de statuer, ou rejette la requête.

Il soutient :

- que la décision ayant été prise pour une durée de six mois, elle ne produit plus aucun effet ;

- qu'aucun des moyens de la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement n° 2580/2001 du Conseil de l'Union européenne du 27 décembre 2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ;

- la position commune du Conseil de l'Union européenne du 27 décembre 2001 relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (2001/931/PESC) ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Amat,

- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.

1. Considérant que, sur le fondement des dispositions des articles L. 562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier, le ministre des finances et des comptes publics a pris, le 18 juin 2012, un arrêté, publié au journal officiel du 27 juin 2012, à l'encontre de M. A...E...B...et de l'association " Centre culturel islamique bangladais de France ", imposant une mesure de gel de leurs fonds, instruments financiers et ressources économiques, et interdisant les mouvements ou transferts de fonds, instruments financiers et ressources économiques à leur bénéfice ; que l'association Centre culturel islamique bangladais de France a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de cette décision ;

2. Considérant que par jugement n° 1215633 du 30 mai 2014, le tribunal administratif de Paris a, avant dire droit, ordonné au ministre des finances et des comptes publics et au ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique de produire les pièces et éléments d'information qui peuvent être versés au dossier permettant de se prononcer sur le bien fondé des motifs retenus à l'appui de l'arrêté attaqué ; qu'en exécution de ce jugement, le ministre a communiqué trois notes de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) datées des 17 avril 2012, 17 juin 2014 et 19 novembre 2014 ; que l'association Centre culturel islamique bangladais relève appel du jugement du 6 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 juin 2012 ;

Sur l'exception de non lieu à statuer invoquée en défense :

3. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie et des finances, la seule circonstance que l'arrêté attaqué ait cessé de produire ses effets depuis le 18 décembre 2012 ne prive pas le recours de la requérante de tout objet ; que, par suite, l'exception de non lieu à statuer invoquée par le ministre de l'économie et des finances doit être écartée ;

Sur la légalité externe :

4. Considérant que l'arrêté du 18 juin 2012, après avoir visé les dispositions des articles L. 562-1, L. 562-3 du code monétaire et financier, indique que l'association Centre culturel islamique bangladais de France offre délibérément une tribune à M.B..., qui tient des propos publics légitimant la violence terroriste, et est un lieu de collecte de fonds destinés à des entités terroristes, Jamaat-e-islami Bangladesh et Islami Chhatra Shibir ; qu'ainsi la décision attaquée mentionne les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle est fondée ; que, dès lors le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté ;

Sur la légalité interne :

5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Sans préjudice des mesures restrictives spécifiques prises en application de règlements du Conseil de l'Union européenne et des mesures prononcées par l'autorité judiciaire, le ministre chargé de l'économie peut décider le gel, pour une durée de six mois, renouvelable, de tout ou partie des fonds, instruments financiers et ressources économiques détenus auprès des organismes et personnes mentionnés à l'article L. 562-3 qui appartiennent à des personnes physiques ou morales qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, définis comme il est dit au 4 de l'article 1er du règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les facilitent ou y participent et à des personnes morales détenues par ces personnes physiques ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles au sens des 5 et 6 de l'article 1er du règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, précité. Les fruits produits par les fonds, instruments et ressources précités sont également gelés " ;

6. Considérant, d'autre part, que l'article 1er du règlement 2580/2001 renvoie pour la définition de " l'acte de terrorisme " à l'article 1er paragraphe 3 de la position commune 2001/931/ PESC du 27 décembre 2001 relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme ; que cet article 1er dispose : " (...) 3. Aux fins de la présente position commune, on entend par "acte de terrorisme", l'un des actes intentionnels suivants, qui, par sa nature ou son contexte, peut gravement nuire à un pays ou à une organisation internationale, correspondant à la définition d'infraction dans le droit national, lorsqu'il est commis dans le but de : i) gravement intimider une population, ou ii) contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque, ou iii) gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale : a) les atteintes à la vie d'une personne, pouvant entraîner la mort ; b) les atteintes graves à l'intégrité physique d'une personne ; (...) f) la fabrication, la possession, l'acquisition, le transport, la fourniture ou l'utilisation d'armes à feu, d'explosifs d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques (...) g) la libération de substances dangereuses, ou la provocation d'inondations ou d'explosions ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines (...) k) la participation aux activités d'un groupe terroriste, y compris en lui fournissant des informations ou des moyens matériels, ou toute forme de financement de ses activités, en ayant connaissance que cette participation contribuera aux activités criminelles du groupe. Aux fins du présent paragraphe, on entend par "groupe terroriste", l'association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des actes terroristes (...) " ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, qui fait référence au règlement 2580/2001 du 27 décembre 2001, faisant lui-même référence à la position commune du même jour, que les mesures qu'elles prévoient ne peuvent légalement être mises en oeuvre que pour des faits mentionnés au paragraphe 3 de l'article 1er de cette position commune, à la condition que ces faits soient susceptibles de se rattacher à la définition d'une infraction en droit national, les motifs retenus par l'autorité administrative devant par ailleurs être fondés sur des informations précises ou des éléments de dossier basés sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles ;

8. Considérant que les notes de renseignement des 17 avril 2012, 18 juin 2014 et 19 novembre 2014 produites par le ministre de l'économie et des finances comportent des informations et des analyses sur les collectes d'argent organisées entre 2008 et 2013 au sein de la mosquée de Stains (Seine-Saint-Denis), gérée par l'association requérante ; que les notes rapportent des prêches faisant l'apologie du djihad armé dans plusieurs pays, prônant le soutien aux combattants islamistes en Palestine, en Libye, en Egypte, en Afghanistan et au Bangladesh et l'emploi de la violence pour l'instauration d'un califat mondial, et indiquent que des collectes ont été organisées sous la supervision du mouvement " Islamic forum Europe ", vitrine européenne du parti politique bangladais Jamaat-E-Islami Bangladesh ; que les rédacteurs de la note du 18 juin 2014 indiquent que " la salle de prière du centre culturel islamique bangladais (...) est un lieu de collecte de fonds destinés au djihad ", que " le 7 août 2009 (...) un membre de l'association a sollicité les participants pour qu'ils versent mensuellement la somme de cinq euros dans le but de rétablir la situation financière de la Jamaat Islami Bangladesh et de financer le djihad en Afghanistan " ; qu'une communication téléphonique entre le vice-président de l'association et un responsable londonien a indiqué que le produit des collectes du premier semestre 2012, remis en juin à Londres pour être acheminé clandestinement au Pakistan, servirait à financer la défense de trois militants radicaux poursuivis au Bangladesh pour avoir dirigé des camps djihadistes ;

9. Considérant, d'une part, que l'association Centre culturel islamique bangladais de France soutient que les constatations résultant des notes précitées sont en contradiction avec la circonstance qu'elle a été conviée à une réunion de prévention du radicalisme organisée par la préfecture de Seine-Saint-Denis le 30 janvier 2015 ; que, toutefois, l'invitation à une telle réunion, qui au demeurant revêtait une portée générale puisqu'elle réunissait l'ensemble des imams et présidents d'associations cultuelles musulmanes du département, postérieure de deux ans et demi à la décision attaquée, ne saurait démontrer qu'aucune activité en lien avec le terrorisme ne pourrait être reprochée à l'association ;

10. Considérant, d'autre part, que si la requérante soutient qu'une partie des fonds collectés devait financer les charges de fonctionnement de la mosquée, les informations transmises par les services de renseignement ne concernent que les collectes présentées comme destinées à soutenir des organisations politiques bangladaises ou la lutte armée ; que la circonstance que les notes de renseignement précisent que les collectes de fonds avaient à la fois pour cadre des commerces gérés par des membres de la diaspora bangladaise et la mosquée de Stains ne rend pas les documents transmis par l'administration imprécis et mettent en revanche en évidence l'existence d'un réseau de collecte ; que si l'association fait valoir que les montants demandés aux donateurs sont modiques, cette seule circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la crédibilité des informations qu'a réunies l'administration ;

11. Considérant, enfin, que la circonstance que les organisations politiques bangladaises financées ne seraient pas inscrites sur les listes des organisations terroristes établies par le Conseil de l'Union européenne ou les organismes internationaux ne suffit pas à démontrer que les fonds collectés, y compris pour la défense de prisonniers, ne serviraient pas au soutien d'activités terroristes ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre des l'économie et des finances aurait commis une erreur de fait ou de droit en estimant que l'association " Centre culturel islamique bangladais de France " facilitait la commission d'actes de terrorisme au sens de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, renvoyant au 4 de l'article 1er du règlement du 27 décembre 2001 et à la définition qui figure à l'article 1er, paragraphe 3, de la position commune du même jour ; que dans les circonstances de l'espèce, il a pu sans erreur d'appréciation geler ses avoirs en application des dispositions précitées du même article ;

13. Considérant, en second lieu, que le détournement de pouvoir allégué par l'association Centre culturel islamique bangladais de France ne ressort pas des pièces du dossier ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association Centre culturel islamique bangladais de France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'ainsi sa requête d'appel, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association " Centre culturel islamique bangladais de France " est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Centre culturel islamique bangladais de France et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Amat, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 avril 2017.

Le rapporteur,

N. AMATLa présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M. C...La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 15PA01986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 15PA01986
Date de la décision : 27/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Libertés publiques et libertés de la personne.

Police - Étendue des pouvoirs de police.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Nathalie AMAT
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : CHERGUI

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-04-27;15pa01986 ?
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