Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 928 921,90 euros en réparation des préjudices résultant de l'aléa thérapeutique dont elle a été victime à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 10 septembre 2003.
Par un jugement n° 1305704/6-2 du 7 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2015, et un mémoire enregistré le 3 février 2017, Mme E...A..., représentée par Me Pitcho, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1305704/6-2 du 7 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 929 001,71 euros en réparation des préjudices résultant de l'aléa thérapeutique dont elle a été victime à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 10 septembre 2003 ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance, en application de l'article R. 761-1 du même code comprenant les frais d'expertise.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a refusé de qualifier le dommage d'anormal, eu égard à la faiblesse de la fréquence statistique du dommage subi, égale à 0,49 % des patients ;
- rien ne permet de connaître la rapidité d'évolution de son état de santé en l'absence d'exérèse du méningiome, même si l'indication opératoire était incontestable ;
- le dommage subi a été accéléré par la réalisation de cet acte ;
- la circonstance que certains actes médicaux permettent d'éviter la mort certaine du patient ne doit pas aboutir à écarter le principe de l'anormalité des dommages ;
- il convient de tenir compte de l'acceptation des risques par le patient lui-même afin de déterminer le caractère anormal du dommage ;
- il revient de réparer les troubles qu'elle a subis par le régime de la solidarité nationale ;
- les frais de santé restés à sa charge s'élèvent à la somme de 1 785,25 euros et incluent les frais de séjour pour un montant de 1 198,66 euros, des frais divers médicaux pour un montant de 586,59 euros ;
- elle souffre d'incontinence urinaire et doit porter continuellement des protections dont le coût doit être évalué à la somme capitalisée de 79 068,25 euros ;
- les frais liés au handicap doivent être indemnisés à hauteur de 11 339,40 euros ;
- les frais liés à l'assistance d'une tierce personne doivent être indemnisés à hauteur de 1 113 685,30 euros ;
- ses pertes de gains professionnels doivent être indemnisés à hauteur de 76 738,76 euros ;
- les souffrances endurées, évaluées à 5 sur une échelle de 1 à 7, doivent être indemnisées à hauteur de 50 000 euros ;
- les troubles dans les conditions d'existence, incluant le déficit fonctionnel temporaire de 75 % pendant ses périodes d'hospitalisation, doivent être indemnisés à hauteur de 23 170 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent, dont le taux a été fixé à 65 % par l'expert, doit être indemnisé à hauteur de 390 000 euros ;
- le préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de 100 000 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire et permanent, évalué à 4 sur une échelle de 1 à 7, doit être indemnisé à hauteur de 35 000 euros ;
- le préjudice sexuel doit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2016, l'ONIAM, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conditions d'intervention de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies car si la thrombose veineuse post-opératoire est constitutive d'un accident médical non fautif, celui-ci n'a pas entraîné de dommages présentant le caractère d'anormalité exigée par l'article L. 1142-1, II du code de la santé publique ;
- Mme A... présentait une tumeur cérébrale extrêmement envahissante exigeant une intervention chirurgicale difficile mais nécessaire dès lors que l'importance de cette tumeur l'exposait à des conséquences très graves ;
- elle a été victime d'un accident médical connu et redouté, le risque de complication étant de 7 % selon l'expert ;
- les caractéristiques de la tumeur rendaient son extraction particulièrement délicate et augmentait le risque moyen de thrombose veineuse bien au-delà de la moyenne de 7 % ;
- les dommages qu'elle a subis en raison de l'accident post-opératoire ne sont donc pas anormaux au regard de son état de santé comme de son évolution prévisible.
L'ONIAM a produit un mémoire enregistré le 3 mars 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de Me Pitcho, avocat de Mme A..., et de Me Britz, avocat de l'ONIAM.
1. Considérant que Mme E...A..., née le 15 octobre 1947, a été victime au cours de l'été 2003 de deux crises d'épilepsie partielle ; qu'elle a été hospitalisée à l'hôpital Lariboisière à Paris où un scanner, complété par une angio IRM et une artériographie, ont révélé un méningiome para sagittal gauche volumineux et envahissant le sinus longitudinal supérieur, avec l'apparition d'anastomoses entre le système veineux superficiel et profond ; qu'elle s'est vue proposer une intervention chirurgicale qu'elle a subie le 10 septembre 2003, au cours de laquelle a été pratiquée l'exérèse de la tumeur ; qu'à son réveil, elle présentait une hémiplégie droite et une aphasie ; que des examens pratiqués dans les jours suivant l'opération ont montré la présence d'un oedème cérébral persistant dans l'hémisphère gauche traité par administration d'anti-coagulant ; que, si après rééducation, Mme A... a retrouvé la motricité de son membre supérieur droit et récupéré de ses importants troubles du langage, elle conserve un déficit du membre inférieur droit à la fois moteur et sensitif qui fait obstacle à la marche et à la station debout sans aide et souffre d'incontinence urinaire et d'un manque du mot ; qu'elle relève appel du jugement du 7 avril 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à prendre en charge, au titre de la solidarité nationale, la réparation de l'intégralité des préjudices subis suite à l'exérèse de la tumeur en lui versant une somme totale de 1 928 921,90 euros ;
Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) " ; qu'en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation est assurée par l'ONIAM ; que l'article D. 1142-1 du même code définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 ; que la condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu'ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage ;
4. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les troubles neurologiques dont Mme A...reste atteinte à la suite à l'intervention chirurgicale pratiquée le 10 septembre 2003 sont la conséquence directe d'une thrombose veineuse, post-opératoire, constitutive d'un accident médical non fautif ; que si elle soutient en appel que rien ne permet de connaître la rapidité d'évolution de son état de santé en l'absence d'exérèse du méningiome et que ses troubles neurologiques ont été accélérés par la réalisation de cet acte chirurgical, il résulte de l'instruction que dans les semaines précédant l'opération, Mme A... avait subi deux crises d'épilepsie avec une hémiparésie droite temporaire et souffrait de céphalées et de sinusites ; que l'expert indique que " le sinus longitudinal supérieur était envahi sans être occlus complètement et les anastomoses, territoire superficiel, territoire profond, commençaient à être visibles et fonctionnels " et que " l'indication opératoire était peu discutable compte tenu du volume de la lésion et de la clinique présentée par la patiente " ; que selon l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) " l'importance de cette tumeur exposait Mme A...à des conséquences très graves et imposait d'intervenir " ; que cette assertion n'a pas été utilement contestée ; que l'AP-HP a indiqué, sans être contredite, que sans intervention, les épisodes épileptiques se seraient indubitablement reproduits, intensifiés et prolongés et que Mme A...était exposée à des conséquences bien plus graves que celles présentées à la suite de l'accident intervenu ; qu'enfin, il résulte également de l'instruction que Mme A...s'est vue proposer une intervention soit dans les 15 jours suivant les examens, soit le surlendemain et qu'elle a choisi la seconde option ; qu'ainsi, elle n'est pas fondée à soutenir que les troubles dont elle reste atteinte seraient notablement plus graves que ceux auxquels, à brève échéance, elle aurait été exposée de manière suffisamment probable en l'absence d'intervention chirurgicale ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il appartient à la Cour d'apprécier si, dans les conditions où l'exérèse du méningiome a été accomplie, la survenance du dommage qui en est résulté présentait ou non une probabilité faible ; qu'il résulte de l'instruction que Mme A... était particulièrement exposée au risque d'un accident veineux, qualifié par l'expert de " complication connue et redoutée ", en raison de l'envahissement du sinus longitudinal supérieur par la tumeur qui rendait difficile sa dissection du réseau veineux cortical ; que l'expert a estimé à 7 % la fréquence des thromboses veineuses post-opératoires dans le traitement chirurgical des méningiomes para sagittaux ; que s'il a également estimé que 7 à 10 % des patients conservaient des séquelles neurologiques consécutives à ces accidents veineux, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la fréquence statistique du risque de thrombose veineuse serait de 0,49 % ; qu'ainsi, comme l'a à juste titre estimé le tribunal, le risque qui s'est réalisé ne pouvait être regardé comme faible ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dommages subis par Mme A... à la suite de l'intervention chirurgicale du 10 septembre 2003 ne peuvent être regardés comme anormaux au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci, au sens des dispositions précitées de l'article L. 1142-1-II du code de la santé publique ; que Mme A... n'est donc pas fondée à demander leur indemnisation par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale ;
Sur les dépens :
7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante, sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens " ; qu'il résulte de ces dispositions que les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 000 euros, doivent être mis à la charge définitive de Mme A... ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Mme A... une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 000 euros, sont mis à la charge définitive de Mme A....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...A...et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Copie en sera adressée pour information à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- Mme Julliard, première conseillère,
- MmeB..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 24 mars 2017.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA02271