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19/01/2017 | FRANCE | N°15PA00293

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 janvier 2017, 15PA00293


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 72 971,84 euros en réparation du préjudice subi fondé sur l'illégalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 1er juin 2006 lui refusant un titre de séjour, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2012, avec capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1300457/8 du 18 novembre 2014, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somm

e de 1 500 euros, tous intérêts échus à la date de son prononcé.

Procédure devant la Cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 72 971,84 euros en réparation du préjudice subi fondé sur l'illégalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 1er juin 2006 lui refusant un titre de séjour, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2012, avec capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1300457/8 du 18 novembre 2014, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 1 500 euros, tous intérêts échus à la date de son prononcé.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 janvier 2015, 12 février 2015 et 8 novembre 2016, MmeB..., représentée par Me Saoudi, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Melun du 18 novembre 2014 en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 1 500 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 108 129,18 euros en réparation du préjudice subi fondé sur l'illégalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 1er juin 2006 lui refusant un titre de séjour, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2012, avec capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Saoudi, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce règlement emportant renonciation à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, l'illégalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 1er juin 2006 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à compter du refus de délivrance du titre jusqu'au 6 avril 2009, date de notification de l'arrêt de la présente Cour reconnaissant son illégalité ;

- le préjudice matériel subi est constitué d'une impossibilité de toucher les prestations sociales, notamment l'allocation pour jeune enfant, les allocations familiales, l'aide personnalisée au logement, l'allocation de soutien familial et le revenu de solidarité active ; ces différents chefs de préjudice doivent être indemnisés à hauteur respective de 5 590,95 euros, 5 734,21 euros, 14 705,28 euros, 7 083,06 euros et 35 976,36 euros ;

- le préjudice matériel est également constitué de l'impossibilité de se loger décemment, et de travailler ; ils doivent être indemnisés à hauteur respective de 10 000 et 19 039,32 euros ;

- elle a également subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dès lors qu'elle s'est sentie, durant cette période, dans l'inconfort et l'insécurité ; il doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.

Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2015/004078 du 27 février 2015 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.

1. Considérant que MmeB..., née le 9 novembre 1970 à Oran, de nationalité algérienne, est entrée sur le territoire français le 18 mars 2001 ; qu'elle a, le 8 septembre 2001, épousé M. A...E..., un compatriote titulaire d'un certificat de résidence ; que de cette union sont nés, les 20 juin 2002 et 23 mars 2005, deux enfants ; qu'à la suite de violents conflits conjugaux, Mme B...a introduit une demande de divorce le 26 août 2005 ; que, par un jugement du 18 novembre 2005 du Tribunal correctionnel de Melun, son mari a été condamné à raison des violences exercées à son encontre à trois mois de prison avec sursis ; qu'une ordonnance de non-conciliation a été rendue par le juge aux affaires familiales le 11 janvier 2006 ; que, par un arrêté du 1er juin 2006, le préfet de Seine-et-Marne a refusé de délivrer à Mme B... un certificat de résidence algérien sur le fondement de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien ; que, par jugement du 3 mai 2007, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la requête de Mme B...dirigée contre l'arrêté du 1er juin 2006 ; que, toutefois, par un arrêt n° 08PA00139 du 6 avril 2009, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement au motif que l'exécution de l'arrêté attaqué aurait pour effet de priver les deux filles de Mme B...de la présence de leur mère pour le cas où les enfants resteraient en France auprès de leur père qui y réside régulièrement, soit de la présence de leur père dans le cas inverse où les filles accompagneraient leur mère en Algérie, alors que le juge aux affaires familiales, tout en confiant la garde des enfants à la mère, a réservé des droits de visite étendus au père et qu'ainsi, l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; qu'un titre de séjour valable à compter du 12 juin 2009 a été délivré par le préfet de Seine-et-Marne à MmeB... ; que, par une ordonnance n° 1300463 du 18 juin 2013, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à Mme B...une provision de 1 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 1er juin 2006 ; que Mme B...relève appel du jugement du 18 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et demande à la Cour que cette somme soit portée à celle de 108 129,18 euros au titre de l'ensemble des préjudices subis du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour en cause ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant que l'illégalité de l'arrêté du 1er juin 2006 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a causés à MmeB... ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice matériel :

S'agissant de l'impossibilité de toucher les prestations sociales :

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'historique des prestations de la caisse d'allocations familiales daté du 2 février 2015, que Mme B...a bénéficié jusqu'au 20 juin 2005, pour sa fille née le 20 juin 2002, de l'allocation de base pour jeune enfant remplacée par la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) en 2004 ; que pour sa deuxième fille née le 23 mars 2005, elle n'a touché ladite prestation que jusqu'au mois de juin 2005 pour un montant mensuel de 165,22 euros alors qu'elle pouvait en bénéficier jusqu'aux trois ans de son dernier enfant, soit jusqu'en mars 2008 ; que si Mme B...n'a toutefois pu bénéficier de cette prestation durant une année complète, entre le mois de juin 2005 et celui de juin 2006, cette absence de versement ne peut, en tout état de cause, trouver sa cause dans le refus qui lui a été opposé le 1er juin 2006 ; que, par suite, compte tenu des revalorisations annuelles de la prestation d'accueil du jeune enfant, Mme B...est en droit de prétendre au versement de la somme de 3 758,63 euros pour la période allant du 1er juin 2006 au 1er mars 2008 ;

4. Considérant que Mme B...et son époux ont perçu, au titre des allocations familiales, la somme mensuelle de 115,07 euros entre les mois d'avril et juin 2005 ; que, compte tenu de la constitution de son foyer et de la revalorisation annuelle de cette allocation, la requérante a droit, pour la période allant du 1er juin 2006 à juin 2009, à la somme de 4 455,24 euros ;

5. Considérant que l'allocation de soutien familial est versée pour élever un enfant privé de l'aide de l'un ou de ses deux parents ou pour compléter une pension alimentaire au faible montant ; qu'il résulte de l'instruction que Mme B...a touché cette prestation à compter de juillet 2009 pour un montant de 174,27 euros par mois ; que le jugement de divorce du 24 mai 2007, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 juin 2009, ayant exonéré le père des enfants de la requérante de toute contribution mensuelle à l'éducation et à l'entretien des enfants, Mme B... pouvait prétendre au versement de cette allocation pour la période allant de l'ordonnance de non-conciliation rendue par le juge aux affaires familiales près le Tribunal de grande instance de Melun le 11 janvier 2006 jusqu'au mois de juin 2009 ; que, compte tenu de son montant mensuel et de sa revalorisation annuelle, ce montant s'élève à la somme de 7 083,06 euros ;

6. Considérant que si Mme B...n'a plus perçu l'allocation personnalisée au logement à compter du mois de juillet 2005, il ressort du jugement du Tribunal d'instance de Melun du 10 octobre 2006 que le contrat de bail du couple a été résilié à compter du 18 décembre 2005 pour cause d'impayés ; qu'en l'absence de preuve d'occupation d'un logement en tant que locataire durant la période contestée, et alors qu'il ressort des pièces versées au dossier qu'en 2008 et 2009, l'intéressée n'était pas titulaire d'un contrat de bail qui lui aurait permis de percevoir l'allocation personnalisée au logement puisqu'elle a bénéficié de plusieurs aides financières destinées au règlement de frais d'hôtel, Mme B...n'est pas fondée à solliciter le versement d'une quelconque somme d'argent à ce titre ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...a perçu le revenu de solidarité active à compter du mois de juillet 2010 pour un montant mensuel de 190,63 euros ; que si elle sollicite le versement de cette prestation sociale accordée aux personnes sans ressources pour la période allant du mois de janvier 2006 à celui de juin 2009, elle ne saurait en tout état de cause y prétendre, celle-ci s'étant substituée au revenu minimum d'insertion et n'a été versée aux personnes concernées qu'à compter du 1er juin 2009 ; que les conclusions présentées par l'appelante sur ce fondement ne peuvent par suite qu'être rejetées ;

S'agissant de l'impossibilité de se loger décemment :

8. Considérant que Mme B...persiste à soutenir que le refus de séjour illégal qui lui a été opposé le 1er juin 2006 l'a privée d'une chance sérieuse de bénéficier d'un logement décent ; que, toutefois, en se bornant à produire un jugement du Tribunal d'instance de Melun du 10 octobre 2006 ordonnant l'expulsion de sa famille du logement en raison de loyers impayés, des factures d'hôtel du mois de novembre 2007, divers courriers du conseil général de Seine-et-Marne et du centre communal d'action sociale de la commune de Dammarie-les-Lys attribuant à l'intéressée diverses aides en matière notamment de restauration scolaire, de dépense d'énergie et de frais d'hôtel ainsi qu'un certificat d'une association du 4 août 2009 attestant qu'elle héberge Mme B...depuis le 3 août 2009, un contrat de séjour de la même association daté du 5 février 2010 pour une prise en charge d'une durée d'un mois renouvelable ainsi qu'un bail d'une durée d'un mois renouvelable prenant effet à compter du 12 janvier 2010, elle n'établit pas davantage devant la Cour qu'en première instance, que la privation du bénéfice d'un logement décent à compter du mois de juin 2006 jusqu'au mois de juin 2009 serait directement et certainement imputable à l'arrêté du 1er juin 2006 ; qu'elle ne saurait valablement soutenir, dans ces conditions, qu'elle a été privée, du fait de l'illégalité de l'arrêté annulé, d'une chance sérieuse de bénéficier d'un logement décent et solliciter le versement d'une indemnité à ce titre ;

S'agissant de l'impossibilité de travailler :

9. Considérant que, pour tenter de justifier que le refus de séjour illégal qui lui a été opposé par le préfet de Seine-et-Marne l'a privée d'une chance de travailler, Mme B...se borne à produire des contrats à durée indéterminée pour une période allant du 1er août 2009 au 31 janvier 2010, un contrat à durée déterminée à temps partiel daté du 30 mai 2011 et prenant effet à compter du 1er juin 2011 ainsi que des bulletins de paie des mois d'août 2009 à juin 2011 et des mois d'août 2012 à novembre 2012 ; qu'elle n'établit toutefois pas avoir bénéficié, avant le refus litigieux, de promesses d'embauche qui n'auraient pas eu de suite faute pour elle d'être autorisée à exercer une activité professionnelle sur le territoire français ; que, dans ces conditions, elle n'est pas davantage fondée à soutenir qu'elle aurait été privée, du fait du refus de titre annulé, d'une chance d'être engagée ni d'ailleurs, à la supposer établie, que la privation de cette chance pour la période considérée serait directement et certainement imputable audit refus ; que les conclusions de Mme B...présentées sur un tel fondement ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

10. Considérant que Mme B...demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre des préjudices résultant d'une dépression, de troubles du sommeil et d'une réelle atteinte à sa vie familiale ; que, toutefois, et ainsi que l'a estimé le tribunal, elle ne justifie pas, par la production de certificats médicaux postérieurs à l'arrêt de la Cour du 6 avril 2009, du lien de causalité adéquate entre lesdits problèmes de santé et l'arrêté annulé ; que, néanmoins, en lui accordant la somme de 1 500 euros tous intérêts échus, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant de l'irrégularité de la situation administrative dans laquelle elle a été illégalement maintenue jusqu'à l'annulation définitive de l'arrêté du 1er juin 2006 ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de porter de 1 500 à 16 796,93 euros, tous intérêts échus, le montant de l'indemnisation due par l'Etat à Mme B...au titre des préjudices subis et de réformer, dans cette mesure, le jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

12. Considérant que Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle ; qu'ainsi, son avocat, Me Saoudi, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Saoudi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme de 1 500 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat versera à Mme B...la somme de 16 796,93 euros, tous intérêts échus à la date du présent arrêt.

Article 2 : L'article 1er du jugement du 18 novembre 2014 du Tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Saoudi, avocat de MmeB..., une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Saoudi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- Mme Julliard, premier conseiller,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 janvier 2017.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 15PA00293


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA00293
Date de la décision : 19/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Eléonore PENA
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : SAOUDI

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-01-19;15pa00293 ?
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