Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Télévision France 1 (TF1), représentée par son représentant légal en exercice, a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande, en date du 20 décembre 2013, tendant au versement de la somme de 230 millions d'euros en réparation du préjudice résultant pour elle de l'extinction anticipée de la diffusion analogique des services de télévision terrestre, de condamner l'Etat à lui verser cette même somme en réparation dudit préjudice et d'ordonner, avant dire droit, une expertise sur l'évaluation du préjudice.
Par un jugement n° 1406423/5-1 du 29 janvier 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 avril 2015, la société Télévision France 1 (TF1), représenté par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 29 janvier 2015 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car insuffisamment motivé ;
- les premiers juges ont méconnu leur office au regard des dispositions de l'article R. 621-1 du code de justice administrative en ne prescrivant pas l'expertise sollicitée ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'abrogation par la loi du 15 novembre 2013 des articles 103 et 104 de la loi du 30 septembre 1986 ;
- elle a subi un préjudice anormal et spécial en raison de cette abrogation, dès lors qu'il a ainsi été porté atteinte à l'autorisation de diffuser qui lui avait été accordée par la loi du 9 juillet 2004 ;
- son préjudice consiste, d'une part, en un trouble excessif dans l'exercice de son activité et, d'autre part, en un coût financier ;
- elle est spécialement touchée par l'extinction de la diffusion analogique en tant qu'éditeur de services de télévision " historique " ;
- trois méthodes permettent de démontrer le préjudice subi par elle, l'une fondée sur le " modèle britannique ", l'autre fondée sur la valorisation d'un canal TNT et la dernière fondée sur la prise en compte du caractère progressif du basculement de l'analogique vers le numérique ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, son préjudice a en réalité commencé à se constituer dès le mois de février 2010 ;
- il est nécessaire d'ordonner une expertise avant dire droit afin de parfaire le montant de ce préjudice.
Par un mémoire, enregistré le 3 septembre 2015, le Premier ministre s'associe aux observations présentées par le ministre de la culture et de la communication.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2015, le ministre de la culture et de la communication conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- les premiers juges n'ont en rien méconnu leur office en ne prescrivant pas l'expertise sollicitée ;
- la société TF1 ne saurait se prévaloir d'un quelconque précédent d'indemnisation d'un éditeur de services au titre de l'extinction du signal analogique ;
- elle ne démontre pas avoir subi un préjudice grave et spécial du fait de l'interruption anticipée de la diffusion en mode analogique de la télévision ;
- aucune des trois méthodes d'évaluation du préjudice proposée par l'appelante n'est fondée.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
- la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;
- la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ;
- la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena, rapporteur,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de Me Briard, avocat de la société TF1.
1. Considérant que l'Etat, par l'article 128 de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, avait prorogé de cinq ans l'autorisation de diffusion en mode analogique accordée à la société Télévision France 1 (TF1), fixant ainsi le terme de cette autorisation au 29 février 2012 ; qu'en vertu de l'article 99 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007, l'expiration de cette autorisation de diffusion en mode analogique a été fixée, de manière anticipée, au 30 novembre 2011 ; que la société TF1 relève appel du jugement du 29 janvier 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice ayant résulté, selon elle, de cette extinction anticipée ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges, qui ne sont pas tenus de répondre à tous les arguments développés par le requérant à l'appui de ses moyens, ont suffisamment répondu à ceux contenus dans la requête et le mémoire en réplique produits par la société TF1 en indiquant, qu'au vu des éléments apportés, la réalité du préjudice ne pouvait être considérée comme établie puis en écartant les deux méthodes d'évaluation du préjudice proposées ; que la société TF1 n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité ;
3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. " ;
4. Considérant que la société TF1 soutient que les premiers juges auraient méconnu leur office en ne prescrivant pas l'expertise sollicitée aux fins de chiffrage exact du préjudice ; qu'en estimant qu'ils n'avaient pas besoin d'ordonner une telle mesure alors que la requérante n'apportait pas d'éléments tangibles quant à la réalité même de son préjudice, le tribunal, qui a fait usage d'un pouvoir qui lui est propre, n'a pas davantage entaché d'irrégularité son jugement à ce titre ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;
6. Considérant que la société TF1 recherche la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ; que les dispositions des articles 103 et 104 de la loi du 30 septembre 1986 organisant un mécanisme spécial de compensation des conséquences de l'interruption anticipée de l'analogique par l'attribution d'un " canal compensatoire " et excluant tout autre droit à réparation, ont été abrogées par l'article 30 de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public ; qu'à la suite de cette abrogation, la loi n'exclut pas toute indemnisation des éditeurs nationaux de télévision concernés par cette interruption anticipée ;
7. Considérant que la société TF1 persiste à soutenir en appel que l'extinction anticipée de la diffusion de programmes de télévision en mode analogique a généré, pour elle, un préjudice grave et spécial ; qu'elle fait ainsi valoir qu'elle s'est trouvée particulièrement touchée par ladite extinction dès lors que l'autorisation prorogée accordée par la loi du 9 juillet 2004 ne bénéficiait qu'aux trois éditeurs de services de télévision dits " historiques " dont elle-même fait partie ; qu'elle fait également valoir que le préjudice subi excède, au regard du trouble excessif dans l'exercice de son activité et du coût financier qui en a résulté, les sujétions qu'elle pouvait avoir normalement à supporter ; que toutefois, la société appelante n'apporte, pas davantage en appel qu'en première instance, d'éléments permettant d'établir la réalité de ces coûts ou le manque à gagner, notamment dû à la perte de recettes publicitaires, qu'aurait entraîné pour elle, l'abrogation par l'effet de la loi, quelques mois seulement avant la date initialement prévue, de son autorisation d'émettre en mode analogique ; qu'à cet égard, la circonstance au demeurant contredite par les pièces du dossier, selon laquelle les premiers juges auraient commis une erreur de fait quant à la date d'extinction anticipée, est sans incidence sur l'établissement de la preuve de l'existence du préjudice allégué ; qu'en outre, il est constant qu'une autorisation d'émettre sur la télévision numérique terrestre, valable jusqu'en 2022, s'est simultanément substituée à l'autorisation abrogée ; que les différentes méthodes d'évaluation du préjudice développées par la société TF1 fondées, pour la première, sur une comparaison des durées du recouvrement des diffusions par mode analogique et numérique en France et au Royaume-Uni, pour la deuxième sur la valorisation d'un canal TNT, et pour la troisième, sur un basculement progressif de l'analogique vers le numérique ne sont pas, en tout état de cause, de nature à davantage établir la réalité du préjudice dont elle demande réparation ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, la société TF1 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de réparation du préjudice résultant pour elle de l'extinction anticipée de la diffusion analogique des services de télévision terrestre ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société TF1 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société TF1 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Télévision France 1, au ministre de la culture et de la communication et au Premier ministre.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- Mme Julliard, premier conseiller,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 octobre 2016.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA01353