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29/07/2016 | FRANCE | N°14PA05284

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 29 juillet 2016, 14PA05284


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun, à titre principal, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 450 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des défauts dans l'organisation et le fonctionnement des services du centre hospitalier universitaire de Bicêtre ayant concouru à l'aggravation de son état de santé et, à titre subsidiaire, de désigner un expert, en application des dispositions de l'article


R. 621-2 et suivants du code de justice administrative.

Par un jugement n° 12031...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun, à titre principal, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 450 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des défauts dans l'organisation et le fonctionnement des services du centre hospitalier universitaire de Bicêtre ayant concouru à l'aggravation de son état de santé et, à titre subsidiaire, de désigner un expert, en application des dispositions de l'article

R. 621-2 et suivants du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1203169 du 17 octobre 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2014, MmeA..., représentée par

Me Adjalian, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1203169 du 17 octobre 2014 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de déclarer le centre hospitalier universitaire de Bicêtre responsable de l'aggravation de l'embolie pulmonaire dont elle est victime et de le condamner à lui verser la somme de 450 000 euros en réparation des préjudices physiologiques et moraux qu'elle a subis ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bicêtre le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bicêtre aux entiers dépens ;

5°) à titre subsidiaire, d'ordonner que soit diligentée une expertise complémentaire visant à la production de l'enregistrement des appels adressés au SAMU 94 dans la nuit du 31 mai 2009 et de la radiographie du thorax qui a été pratiquée au centre hospitalier du Kremlin-Bicêtre et à ce que le médecin généraliste d'exercice libéral qui lui a été envoyé par le SAMU 94 dans la nuit du 31 mai 2009 soit interrogé, l'expert désigné devant accomplir sa mission conformément aux dispositions des articles R. 621-2 et suivants du code de justice administrative et devant, sauf conciliation des parties, déposer son rapport au greffe de la cour dans un délai de deux mois à compter de sa désignation ;

6°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bicêtre aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bicêtre est engagée en ce qu'il lui a fait perdre une chance sérieuse d'éviter les séquelles dont elle souffre au regard de sa pathologie et de son état de santé antérieur en raison, d'une part, de l'erreur de diagnostic commise par le médecin généraliste d'exercice libéral qui lui a été envoyé par le SAMU 94 dans la nuit du 31 mai 2009 et, d'autre part, en ce que l'angiographie pulmonaire demandée en urgence vitale le 10 juin 2009 n'a été pratiquée que le 12 juin 2009, ce qui constitue une faute dans l'organisation du service hospitalier ; c'est à tort que le jugement attaqué a estimé que ce retard fautif n'était pas de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bicêtre ;

- du fait des fautes commises par le centre hospitalier universitaire de Bicêtre, elle ne peut plus mener une vie normale et devra à l'avenir vivre avec un traitement continu et sous une surveillance médicale constante, avec une importante contrainte alimentaire, sans espoir de guérison ; il convient de lui allouer une indemnité de 450 000 euros en réparation du préjudice subi.

Une mise en demeure a été adressée le 30 septembre 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2015, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsoudéros, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que le montant de la demande, si la Cour devait faire droit à la requête de Mme A..., soit ramenée à de plus justes proportions, et à ce que le versement la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- d'une part, la responsabilité du service public hospitalier ne saurait être engagée du fait de l'erreur de diagnostic commise par le médecin généraliste d'exercice libéral qui lui a été envoyé par le SAMU 94 dans la nuit du 31 mai 2009, qui ne peut être regardé comme un collaborateur occasionnel du service public ; d'autre part, ces fautes ne peuvent être appréciées que par les juridictions de l'ordre judiciaire ;

- les autres moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- les observations de Me Adjalian, avocat de MmeA...,

- et les observations de Me Tsouderos, avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Considérant ce qui suit :

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :

1. En premier lieu, les fautes commises par un praticien à l'occasion d'actes accomplis dans le cadre du service public engagent la responsabilité de ce service public. En revanche, il appartient au patient de rechercher devant le juge judiciaire la responsabilité d'un médecin à raison des actes médicaux accomplis à titre de praticien libéral.

2. Les dispositions de l'article L. 6311-2 du code de la santé publique organisent un service d'aide médicale d'urgence dont les missions, décrites à l'article R. 6311-2, sont d'assurer un accueil téléphonique permanent des patients et de déterminer et déclencher, dans les meilleurs délais, la réponse médicale adéquate aux appels reçus. Ce service public, dont le fonctionnement relève du juge administratif, dispose, à cette fin, le cas échéant, de la possibilité de recourir à l'intervention des médecins qui, en application des dispositions de l'article R. 6315-4 du code de la santé publique, se sont portés volontaires pour participer à la permanence des soins. Les interventions effectuées par ces médecins, à la demande du patient ayant contacté le centre régulateur du SAMU, ne constituent pas par elles mêmes une mission de service public, mais une modalité d'exercice de la profession libérale de médecin. Il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires, en conséquence, de connaître des litiges entre un patient et le médecin participant à la permanence de soins et sollicité par le centre régulateur du SAMU.

3. Il suit de là que Mme A...n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris au titre de l'erreur de diagnostic qu'aurait commise le médecin généraliste d'exercice libéral qui lui a été envoyé par le SAMU 94 dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des courriers médicaux des médecins du centre hospitalier universitaire de Bicêtre (services de cardiologie et de médecine interne) qui ont suivi Mme A...après l'embolie pulmonaire bilatérale avec de petits infarctus pulmonaires dont elle a été atteinte le 31 mai 2009 et pour laquelle elle a été hospitalisée dans cet hôpital du 12 juin au 26 juin 2009, et qui relatent les différents examens qu'elle a subis postérieurement à son hospitalisation, que cette embolie pulmonaire n'a pas eu de séquelle, ni sur le plan cardio-vasculaire, ni sur le plan respiratoire grâce à plusieurs séances de kinésithérapie pleurale, hormis une séquelle pleurale droite minime dont le lien avec le retard de prise en charge au centre hospitalier universitaire de Bicêtre n'est pas établi. En outre, le traitement médicamenteux à vie qui lui a été prescrit (traitement AVK), accompagné d'un régime alimentaire, vise à traiter non d'éventuelles séquelles de cette embolie pulmonaire comme le soutient à tort la requérante, mais le déficit en protéine S dont elle est atteinte, cause de thrombophilie.

6. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'après l'intervention, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, du médecin généraliste d'exercice libéral qui lui avait été envoyé par le SAMU 94, qui n'a pas prescrit d'électrocardiogramme et n'a pas examiné ses membres inférieurs mais a prescrit un antalgique, une radiographie pulmonaire et une échographie hépatique à réaliser en ville, Mme A...s'est rendue le 1er juin 2009 aux urgences du centre hospitalier universitaire de Bicêtre où une radio du thorax a été pratiquée et où une échographie abdominale a été réalisée le 3 juin, dont les résultats ont été normaux, et a fait effectuer le 2 juin 2009 un bilan sanguin (NFS, plaquettes, TPCO2, D-dimères) qui a révélé un taux de D-dimères quatre fois supérieur à la normale. Le 10 juin 2009, Mme A...a consulté un médecin du service de médecine interne du centre hospitalier universitaire de Bicêtre qui a prescrit un scanner thoraco-abdominal, en indiquant qu'il s'agissait d'une urgence vitale. Cependant, cet angioscanner ne sera réalisé que le 12 juin 2009. Il a mis en évidence une embolie pulmonaire bilatérale, avec de petits infarctus pulmonaires algiques, nécessitant que la patiente soit hospitalisée en urgence ; le traitement médicamenteux de cette embolie pulmonaire a consisté d'une part en un traitement anticoagulant et d'autre part en un traitement de la douleur afin d'atténuer les douleurs thoraciques liées à l'embolie pulmonaire et peut-être à une crise vaso-occlusive thoracique d'évolution variable.

7. Ce retard dans la réalisation, le 12 juin 2009, de l'angioscanner prescrit le 10 juin 2009 avec l'indication d'urgence vitale doit être regardé comme une faute dans l'organisation du service public hospitalier. Si ce retard fautif de prise en charge de 48 heures n'a eu, comme il a été dit ci-dessus au point 5, aucune conséquence sur l'état de santé de MmeA..., il a été la cause de souffrances (douleurs thoraciques liées à l'embolie pulmonaire) que Mme A...a endurées pendant 48 heures supplémentaires.

Sur le préjudice :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'expert a évalué les souffrances endurées par Mme A...à 2 sur une échelle de 7. Toutefois, la double circonstance que, d'une part, MmeA..., qui était pharmacienne hospitalière, praticien hospitalier des hôpitaux attachée au centre hospitalier universitaire de Bicêtre, n'a pas suivi de traitement médicamenteux anticoagulant (AVK) à compter de 2007, lorsqu'elle a eu connaissance de sa thrombophilie, et, d'autre part, qu'elle n'a pas fait diligence pour se faire soigner en urgence à compter du moment, le 2 juin 2009, où elle a eu connaissance des résultats du bilan sanguin qu'elle avait fait effectuer, qui révélait un taux de D-dimères de quatre fois la normale, qu'eu égard à sa profession elle était capable d'interpréter et qui aurait dû la conduire à consulter en urgence, exonère l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de toute responsabilité dès lors que le retard de prise en charge de la patiente entre le 10 et le 12 juin 2009, et par voie de conséquence les souffrances qu'elles a endurées pendant 48 heures, ne peut être dissocié du retard de prise en charge plus général, à compter du 2 juin 2009, qui est intégralement imputable à l'inertie de MmeA....

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 17 octobre 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 450 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des défauts dans l'organisation et le fonctionnement des services du centre hospitalier universitaire de Bicêtre. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...le paiement à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par Mme A...tendant à ce que soit diligentée une expertise complémentaire :

10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que l'expertise complémentaire sollicitée par Mme A... ne présenterait pas d'utilité pour la solution du présent litige et aurait dès lors un caractère frustratoire. Par suite, les conclusions susvisées, présentées à titre subsidiaire, tendant à ce que soit diligentée une expertise complémentaire doivent être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, du fait de la faute dans l'organisation du service public hospitalier qui a été commise, et nonobstant la circonstance que les fautes propres de Mme A... exonèrent intégralement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de sa responsabilité, les frais de l'expertise ordonnée par le juge du Tribunal administratif de Melun, taxés et liquidés à la somme de 2 800 euros, doivent être mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Mme A...versera à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés, à la somme de 2 800 euros, sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 juillet 2016.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADELe greffier,

A. CLEMENTLa République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA05284


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA05284
Date de la décision : 29/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Existence d'une faute - Retards.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice - Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : ADJALIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2016-07-29;14pa05284 ?
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