Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 mai 2012 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom en " D... " ou " D...-C... ".
Par une ordonnance n° 1303724 du 22 octobre 2014, le président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 25 novembre 2014 et le 8 mars 2016, Mme C..., représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1303724 du 22 octobre 2014 du président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée a estimé à tort que sa demande était tardive ;
- la décision querellée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait, dès lors qu'il ne peut lui être reproché d'avoir, avant sa majorité, fait usage du nom de sa mère sous deux orthographes différentes ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur un texte inapplicable au litige, qui emporte, contrairement à ce qui est affirmé, des obligations pour les Etats adhérents ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle a considéré d'une part, que Mme C...ne justifiait pas d'un intérêt légitime à cesser de porter le nom de son père, d'autre part, que le nom " D... " n'était pas menacé d'extinction, enfin que la preuve d'une possession de nom n'était pas suffisamment ancienne et constante pour constituer un intérêt légitime à obtenir sa substitution ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen et constitue une discrimination fondée sur le sexe et l'âge.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande de première instance était tardive, la requérante n'ayant pas informé l'administration de son changement d'adresse ;
- la requérante ne justifie pas d'un usage public, constant et ininterrompu sur une période suffisamment longue du nom de sa mère pour en revendiquer la possession acquisitive ;
- l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnus.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ;
- le code civil ;
- la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- et les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant que Mme B...C..., née le 15 août 1977, a demandé, le 9 juillet 2006, à substituer à son patronyme le nom maternel " D... " ou, en second choix, " D...-C... " ; que, par une décision du 20 mars 2008, le ministre a rejeté sa demande ; que cette décision, confirmée par le tribunal administratif de Paris, a été annulée par la cour administrative d'appel de Paris, à la demande de MmeC..., par un arrêt devenu définitif du 19 mai 2011 ; que le ministre a procédé à un nouvel examen du dossier et a rejeté la demande de l'intéressée par une décision du 3 mai 2012 ; que, par une ordonnance du 22 octobre 2014, dont la requérante relève régulièrement appel, le président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté comme étant tardive la demande de Mme C...tendant à l'annulation de la décision du 3 mai 2012 ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) " ;
3. Considérant que le président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris a estimé que la demande présentée par Mme C..., enregistrée au greffe du tribunal le 16 mars 2013, était tardive dès lors que la décision litigieuse lui avait été notifiée le 11 mai 2012 par courrier recommandé avec accusé de réception à l'adresse indiquée à l'administration dans le cadre de sa demande de changement de nom et que la requérante n'avait ni informé l'administration de son changement d'adresse ni pris les dispositions nécessaires pour faire suivre son courrier ; que le premier juge en a conclu que le second envoi de la décision à la nouvelle adresse de la requérante, par courrier recommandé reçu le 17 janvier 2013, n'avait pu avoir pour effet de faire courir un nouveau délai de recours contentieux à l'encontre de la décision attaquée ;
4. Considérant, toutefois, que la décision litigieuse a été prise à l'issue de la nouvelle instruction à laquelle a procédé l'administration pour l'exécution de l'arrêt du 19 mai 2011 annulant, à la demande de MmeC..., la décision de rejet prise sur sa demande initialement déposée en 2006 ; que l'avocat de Mme C...avait saisi le ministère de la justice, par un courrier en date du 14 février 2012, d'une demande tendant à l'exécution de cet arrêt de la Cour et que ce courrier mentionnait expressément la nouvelle adresse de la requérante ; que cette nouvelle adresse, qui au demeurant figurait également dans les visas de l'arrêt de la Cour, était donc connue des services du ministère de la justice, auxquels il appartenait d'en tenir compte à l'occasion de la notification de la nouvelle décision rendue nécessaire après un nouvel examen de la situation de l'intéressée, en application de l'arrêt dont s'agit ; qu'il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, Mme C... doit être regardée comme ayant effectivement informé l'administration de son changement d'adresse ; que, dès lors, sa demande devant le tribunal administratif de Paris, présentée dans le délai de deux mois suivant la notification qui lui en a été faite à l'adresse qu'elle avait indiquée, n'était pas tardive ; que, par suite, c'est à tort que le président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi ; que son ordonnance du 22 octobre 2014 doit donc être annulée ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par MmeC... ;
Au fond :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ;
En ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse :
7. Considérant que si Mme C...soutient que la décision litigieuse se réfère à tort à l'article 16 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lequel, relatif à l'activité politique des étrangers, est sans rapport avec sa situation, il ressort des pièces du dossier que la mention critiquée doit être lue comme renvoyant en réalité à l'article 16, qu'elle avait invoqué, de la convention des Nations Unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ; que cette erreur matérielle n'est pas de nature à caractériser un défaut de motivation de la décision du 3 mai 2012, qui comporte de façon suffisamment précise les motifs de droit et de fait qui la fondent ;
En ce qui concerne la légalité interne de la décision litigieuse :
8. Considérant, en premier lieu, que comme dit au point précédent et comme le fait valoir la requérante elle-même, la décision litigieuse ne peut être regardée comme ayant été prise en application de l'article 16 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi l'éventuelle erreur de droit commise sur la force juridique de cet article est sans influence sur la légalité de cette décision ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des documents produits par l'intéressée que le nom de " D... " ou " D...-C... " ait fait l'objet sur une période suffisamment longue d'un usage constant, public et ininterrompu de nature à lui conférer un intérêt légitime au changement de nom sollicité ; qu'il ressort des pièces produites que le ministre n'a pas commis d'erreur de fait en notant que le nom revendiqué avait été utilisé sous deux orthographes différentes, l'intéressée ayant d'ailleurs, contrairement à ce qu'elle soutient, employé la forme " du Vauferrrier " bien après sa majorité ;
9. Considérant, en troisième lieu, que si Mme C...invoque, au soutien de sa demande tendant soit à substituer le patronyme de sa mère au sien, soit à accoler le nom de sa mère à celui de son père, un motif d'ordre affectif tenant à ce que le divorce de ses parents aurait été prononcé en 1986 aux torts exclusifs de son père et que celui-ci a été condamné pour violences sur son épouse, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... aurait manifesté un désintérêt pour ses enfants ni qu'il aurait été totalement absent de leur vie ni qu'il aurait gravement méconnu ses devoirs parentaux à son égard ; que, dans les circonstances de l'espèce, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pu sans erreur d'appréciation estimer que le motif ainsi invoqué ne justifiait pas le changement de nom sollicité ;
10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces produites que le nom " D... " dont il est demandé par la requérante qu'il soit substitué ou adjoint à son patronyme serait en voie d'extinction ;
11. Considérant, en cinquième lieu, que si Mme C...invoque la méconnaissance par la décision litigieuse des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, elle ne démontre pas en quoi cette décision aurait porté atteinte à son droit à mener une vie privée et familiale normale et, d'autre part, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le refus de changement de nom qui lui est opposé sur le fondement de l'article 61 du code civil révèlerait une discrimination liée au sexe ou à l'âge ; que la circonstance qu'elle n'a pu bénéficier, du fait de sa date de naissance, des dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille qui permettent aux parents de choisir de transmettre à leurs enfants le nom de la mère aussi bien que celui du père n'est pas de nature à lui ouvrir droit au changement de nom sollicité ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que la décision querellée serait entachée d'illégalité ; que sa demande tendant à l'annulation de cette décision ne peut qu'être rejetée ;
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à Mme C...la somme qu'elle demande au titre des frais exposés pour sa requête ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1303724 du 22 octobre 2014 du président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gouès premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 avril 2016.
Le rapporteur,
S. DIEMERTLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
E. CLEMENT
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA04749