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04/04/2016 | FRANCE | N°14PA02765

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 04 avril 2016, 14PA02765


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Autogrill gares métropoles a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision en date du 23 juillet 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 décembre 2011, retiré sa décision implicite de rejet née le 27 juin 2012 et refusé d'autoriser le licenciement de M. B...D...et, d'autre part, d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 27 décem

bre 2011 et la décision implicite de rejet du ministre.

Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Autogrill gares métropoles a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision en date du 23 juillet 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 décembre 2011, retiré sa décision implicite de rejet née le 27 juin 2012 et refusé d'autoriser le licenciement de M. B...D...et, d'autre part, d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 27 décembre 2011 et la décision implicite de rejet du ministre.

Par un jugement n° 1217037/3-1 du 29 avril 2014, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre chargé du travail du 23 juillet 2012 et rejeté le surplus des conclusions de la société Autogrill gares métropoles.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juin 2014, appuyée d'une pièce complémentaire enregistrée au greffe de la Cour le 11 septembre 2015, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1217037/3-1 du 29 avril 2014 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci a annulé la décision du ministre chargé du travail du 23 juillet 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas pris en compte la circonstance que la société Autogrill gares métropoles n'avait pas justifié d'une concertation avec le comité d'établissement pour l'élaboration du manuel des procédures administratives et comptables du 26 mars 1996 ;

- les faits qui lui sont reprochés n'étaient pas de nature à justifier une sanction à son encontre et, par suite, le refus d'accepter cette sanction ne justifiait pas son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2014, la société Autogrill gares métropoles, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernard,

- et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été engagé le 10 février 1982 par la société Buffet Est, ultérieurement reprise par la société Autogrill gares métropoles. Il exerçait les fonctions de responsable d'un point de vente (statut agent de maîtrise) depuis mars 2001 dans l'une des sandwicheries " Pains à la ligne " située gare de l'Est. Il avait été élu délégué du personnel suppléant le 9 juin 2011. Son employeur ayant constaté d'importantes erreurs d'encaissement, laissant penser que M. D... avait détourné des fonds, a notifié à celui-ci sa rétrogradation au poste d'employé polyvalent de restauration. M. D... a refusé d'accepter cette modification de son contrat de travail. La société Autogrill a alors demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour faute. Par une décision du 27 décembre 2011, l'inspecteur du travail de la section 10 C de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée aux motifs qu'il existait un doute sur la réalité des faits reprochés et que le refus d'accepter une modification du contrat de travail n'était pas fautif. La société Autogrill a formé un recours hiérarchique. Par décision du 23 juillet 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 27 juin 2012, a également annulé la décision de l'inspecteur du travail au motif que celui-ci avait méconnu l'étendue de son contrôle en indiquant que le refus d'accepter une modification du contrat de travail n'était pas fautif et, enfin, a refusé d'autoriser le licenciement au motif, d'une part, qu'il existait un doute sur la réalité des faits survenus lors du contrôle effectué par l'employeur le 23 août 2011 et, d'autre part, que les faits antérieurs n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement. M. D... relève appel du jugement du Tribunal administratif de Paris du 29 avril 2014 en tant que, par ce jugement, celui-ci a annulé la décision du ministre chargé du travail du 23 juillet 2012.

Sur les conclusions de M. D...dirigées contre le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1221-1 du code du travail " Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter " et aux termes du premier alinéa de l'article 1134 du code civil " Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ". Le principe général du droit dont s'inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord à la fois de l'employeur et du salarié. Le refus opposé par un salarié protégé à une sanction emportant modification de son contrat de travail ne constitue pas une faute. Cependant, lorsqu'un employeur se heurte au refus, par un salarié protégé, d'une sanction impliquant une modification de son contrat de travail et qu'il demande, dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire, à l'inspecteur du travail de l'autoriser à prononcer un licenciement pour faute en lieu et place de la sanction refusée, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Lorsque la demande d'autorisation fait suite au refus, par le salarié protégé, d'accepter une sanction de moindre gravité au motif qu'elle entraîne une modification de son contrat de travail, il lui revient de prendre en compte cette circonstance.

3. En premier lieu, M. D... soutient, sans être contredit, que son employeur n'a procédé à aucune concertation avec le comité d'établissement pour l'élaboration du " manuel des procédures administratives et comptables " du 26 mars 1996, lequel fixe la procédure de caisse et notamment la procédure d'annulation des erreurs, ainsi que celle des " offerts " au sein de l'entreprise. Toutefois, M. D... ne soutient pas qu'il ignorait l'existence des procédures en cause. Il ressort d'ailleurs des pièces du dossier que l'intéressé, qui exerçait les fonctions de responsable d'un point de vente depuis plus de dix ans, respectait habituellement ces procédures.

4. En deuxième lieu, il ressort des documents produits par l'employeur que, s'agissant des mois de mars à juin 2011, M. D... a, dans la majorité des cas, respecté la procédure d'annulation prescrite par l'employeur. En outre, le montant de chacun des tickets pour lesquels la procédure n'a pas été entièrement respectée était en général très modique. Quant au montant cumulé des annulations non justifiées, il n'était que de l'ordre de 100 euros par mois. S'agissant du mois de février 2011, la situation est identique, à l'exception d'un ticket annulé d'un montant d'évidence erroné de 407 euros pour lequel le ticket d'annulation n'avait pas été joint à la feuille de caisse. S'agissant du mois de janvier 2011, les annulations non justifiées étaient d'un faible montant cumulé et ne concernaient que des tickets de montants modiques. Par ailleurs, il ressort des documents élaborés par l'employeur et produits devant le tribunal administratif par le ministre chargé du travail, que si M. D... était le responsable de point de vente de la gare de l'Est qui respectait le moins la procédure d'annulation des tickets de caisse, l'une de ses collègues avait toutefois des taux d'annulations non justifiées très proches des siens. Dans ces conditions, les pratiques de M. D... en matière d'annulation de tickets de caisse au cours des mois de janvier à juin 2011 doivent être regardées comme normales.

5. En revanche, il ressort de ces mêmes documents, dont l'exactitude n'est pas contestée par le requérant, qu'au cours du mois de juillet 2011, M. D... n'a, dans plus de la moitié des cas, pas respecté la procédure d'annulation prescrite par son employeur. Or, les annulations non justifiées représentent un montant cumulé de près de 200 euros, bien plus élevé qu'au cours des mois précédents. En outre, alors que le montant moyen des tickets annulés sans justification par M. D... était habituellement de 4,50 euros, ce montant est de 10,50 euros en juillet 2011. Ainsi, les pratiques de M. D... en matière d'annulation de tickets de caisse au cours du mois de juillet 2011 doivent être regardées comme anormales, tant par rapport à ses pratiques habituelles que par rapport à celles de ses collègues.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, depuis septembre 2009, M. D... utilisait fréquemment la touche " offert bus " de sa caisse enregistreuse. Aucun autre de ses collègues n'utilisait cette touche, laquelle n'a pas d'objet dans une gare. M. D... fait valoir qu'il utilisait la touche " offert bus " en lieu et place de la touche " offert personnel ", qu'il n'utilisait que de manière exceptionnelle et qui permet de la même manière d'opérer une sortie de marchandises sans contrepartie financière. A cet égard, il ressort des statistiques établies par l'employeur que les autres responsables d'un point de vente " Pains à la ligne " de la gare de l'Est utilisaient la touche " offert personnel " pour un montant mensuel stable d'environ 260 euros, correspondant à des repas de 6 euros en moyenne. Ces statistiques révèlent également que le montant mensuel total des " offerts " de M. D..., via l'utilisation des touches " offert bus " et " offert personnel ", s'élevait jusqu'en avril 2011 à des montants comparables à celui de ses collègues.

7. En revanche, il ressort de ces mêmes documents, dont l'exactitude n'est pas contestée par le requérant, que M. D... a utilisé la touche " offert bus " pour un montant total de 386 euros en mai 2011 et pour un montant total de 670 euros en juin 2011. S'agissant plus particulièrement de ce dernier mois, M. D... n'a en outre utilisé la touche en cause que trente-cinq fois, ce qui correspond ainsi à un repas moyen d'un montant tout à fait inhabituel de 19 euros. Ces montants apparaissent anormaux, tant par rapport aux pratiques habituelles de M. D... que par rapport à celles de ses collègues.

8. Ainsi, il ressort des pièces du dossier que M. D... n'a, en juillet 2011, pas respecté la procédure d'annulation des tickets prescrite par son employeur pour des tickets d'un montant anormalement élevé et pour un montant total d'environ 100 euros supérieur au montant dont il ne justifiait pas habituellement. En outre, M. D... a, en mai et juin 2011, utilisé la touche " offert bus " pour des montants respectifs d'environ 120 et 400 euros supérieurs au montant habituel des offerts et, en outre, pour des tickets d'un montant anormalement élevé en juin. A cet égard, l'employeur fait valoir, d'une part, que l'absence de justification des annulations a permis à M. D... de détourner les fonds de transactions annulées de manière fictive et, d'autre part, que l'utilisation impropre de la touche " offert bus " a permis à M. D... de détourner les sommes en espèces versées par des clients. Or, M. D... n'a, à aucun moment de la procédure, fait valoir d'explication sérieuse concernant ces anomalies, pourtant graves et inhabituelles. Dans ces conditions, il est établi que M. D... a détourné une somme totale d'environ 600 euros au cours des mois de mai, juin et juillet 2011. Le détournement de fonds d'un montant de cette importance par le responsable d'un point de vente notamment chargé de respecter les procédures d'encaissement est d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 23 juillet 2012 par laquelle le ministre chargé du travail avait refusé d'autoriser son licenciement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... le versement de la somme que la société Autogrill gares métropoles demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Autogrill gares métropoles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à la société Autogrill gares métropoles et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 avril 2016.

Le rapporteur,

A. BERNARDLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA02765


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA02765
Date de la décision : 04/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : DELEDALLE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-04-04;14pa02765 ?
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