La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/03/2016 | FRANCE | N°15PA02655

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 25 mars 2016, 15PA02655


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Boyer a saisi le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'un recours en contestation de la validité du marché, relatif à la construction du poste 8 en prolongement du grand quai du port de Nouméa, conclu le 23 juin 2014 entre le port autonome de la

Nouvelle-Calédonie et la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie.

Par un jugement n°1400235 du 2 avril 2015, le tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie, d'une part, a annulé ce marché et, d'autre part, a ordonné une ex

pertise avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la SARL Boyer.

Procédure devant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Boyer a saisi le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'un recours en contestation de la validité du marché, relatif à la construction du poste 8 en prolongement du grand quai du port de Nouméa, conclu le 23 juin 2014 entre le port autonome de la

Nouvelle-Calédonie et la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie.

Par un jugement n°1400235 du 2 avril 2015, le tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie, d'une part, a annulé ce marché et, d'autre part, a ordonné une expertise avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la SARL Boyer.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juillet, 26 août 2015 et 29 février 2016, le port autonome de la

Nouvelle-Calédonie, représenté par MeA..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la SARL Boyer ;

3°) de mettre à la charge de la SARL Boyer la somme de 25 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le port autonome de la Nouvelle-Calédonie soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le marché litigieux était entaché d'un vice tiré de la méconnaissance de l'article 27-2 de la délibération n°136/CP du 1er mars 1967 modifiée ;

- la société Boyer n'avait pas de chance sérieuse d'obtenir le marché litigieux.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 janvier et 3 mars 2016, la SARL Boyer, représentée par MeB..., demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête et, à titre subsidiaire, d'annuler le marché en litige ou, à défaut, de prononcer sa résiliation à compter de la notification du présent arrêt ;

2°) annuler le jugement attaqué en tant qu'il a ordonné une expertise avant de statuer sur ses demandes indemnitaires ;

3°) condamner le PANC à lui verser les sommes de 289 737 francs CFP TTC, de

576 300 francs CFP TTC et de 7 721 730 francs CFP TTC, sommes assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge du PANC la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL Boyer soutient que :

- l'appel présenté par le PANC est tardif et a méconnu l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- les moyens soulevés par le port autonome de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés ;

- l'offre de la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie était irrecevable ;

- le PANC a méconnu l'obligation de publicité relative aux critères de sélection des offres et de leurs conditions de mise en oeuvre ;

- le PANC a méconnu l'intangibilité des critères de sélection des offres ;

- le PANC a commis une erreur manifeste dans le jugement de son offre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relatives à la

Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 modifiée portant réglementation des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Boissy, rapporteur,

- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour la SARL Boyer.

Une note en délibéré, enregistrée le 11 mars 2016, a été présentée par Me B...pour le port autonome de Nouvelle-Calédonie.

1. Considérant qu'au cours du mois de janvier 2014, le port autonome de la Nouvelle-Calédonie (PANC) a lancé un appel d'offres ouvert, sur le fondement des articles 24 à 28 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 modifiée, pour la construction du poste 8 en prolongement du grand quai du port de Nouméa ; que cinq entreprises se sont portées candidates à l'attribution de ce marché, dont la SARL Boyer et la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie ; que, le 16 mai 2014, le PANC a informé la SARL Boyer du rejet de son offre et, le 23 juin 2014, a attribué ce marché à la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie ; que, par un jugement du 2 avril 2015, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, d'une part, a annulé ce marché et, d'autre part, a ordonné une expertise avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la SARL Boyer ; que le PANC relève appel de l'intégralité de ce jugement et la SARL Boyer relève appel de ce jugement en tant qu'il a ordonné une expertise ;

Sur les fins de non recevoir opposées par la SARL Boyer :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige " ; que tout jugement par lequel un tribunal administratif ne statue que sur une partie des conclusions dont il est saisi et ordonne pour le surplus une mesure d'instruction constitue un jugement avant-dire-droit au sens des dispositions précitées ; qu'il peut dès lors être interjeté appel d'un tel jugement même après l'expiration du délai de deux mois qui suit sa notification aux parties et jusqu'à l'expiration du délai de recours contentieux applicable au jugement qui met fin à l'instance ;

3. Considérant que le jugement du 2 avril 2015 analysé au point 1 constitue un jugement avant-dire-droit au sens des dispositions de l'article R. 811-6 du code de justice administrative ; que le jugement qui met fin à l'instance n'étant pas intervenu, le PANC était dès lors recevable à faire appel sans que lui soit opposable les délais spécialement prévus par les dispositions combinées des articles R. 811-4 et R. 811-5 du code de justice administrative ; que, dès lors, et en tout état de cause, la fin de non-recevoir opposée par la SARL Boyer, tirée de la tardiveté de l'appel, doit être écartée ;

4. Considérant, en second lieu, que la requête sommaire présentée par le PANC le

6 juillet 2015 comportait l'exposé de faits, de moyens et de conclusions conformément à

l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que la fin de non-recevoir opposée à ce titre par la SARL Boyer doit dès lors, et en tout état de cause, être écartée ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation, tendant à la contestation de la validité du marché et aux fins de condamnation :

5. Considérant qu'il appartient au juge, saisi de conclusions contestant la validité d'un contrat administratif, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu'en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci ; qu'il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés ;

En ce qui concerne la contestation de la validité du contrat :

S'agissant des vices entachant la validité du marché litigieux :

Quant au vice tiré de la méconnaissance de l'article 27-2 de la délibération n°136/CP du 1er mars 1967 modifiée :

6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 22 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : (...) 17° Règles relatives à la commande publique, dans le respect des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures, d'efficacité de la commande publique et de bon emploi des deniers publics (...) " ; que, pour assurer le respect de ces principes, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ;

7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 27-2 de la délibération du congrès n° 136/CP du 1er mars 1967 modifiée, dans sa rédaction applicable au marché en litige : " La commission d'appel d'offres arrête la liste des soumissionnaires admis à concourir, élimine les offres non conformes à l'objet du marché et propose d'attribuer le marché au candidat dont l'offre correspond le mieux aux besoins exprimés, en tenant compte des critères suivants : - prix des prestations, - coût d'utilisation,- valeur technique, - références et garanties professionnelles et financières du candidat, - délai d'exécution, - conditions du recours à la sous-traitance, et de ceux stipulés dans le règlement particulier d'appel d'offres (...) " ; que si ces dispositions prévoient l'application d'au moins six critères susceptibles d'être complétés par d'autres critères, le respect des principes fondamentaux de la commande publique implique, dans tous les cas, que le pouvoir adjudicateur fournisse aux candidats l'information appropriée sur les conditions de mise en oeuvre des critères d'attribution, y compris lorsque les six critères prévus par

l'article 27-2 ne sont pas complétés par d'autres critères spécifiques au marché en cause, en indiquant la hiérarchisation ou la pondération de ces critères, même lorsque leur est attribuée une égale importance ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article 4.1 du règlement particulier d'appel d'offres (RPAO) du marché en cause : " Critères de jugement et agrément des offres / Conformément à l'article 27.2 de la Délibération n° 136 du 1er mars 1967 modifiée, les critères à prendre en compte pour l'analyse des offres sont : / - prix des prestations / - coût d'utilisation / - valeur technique - / références et garanties professionnelles et financières du candidat / - délai d'exécution / - conditions du recours à la sous-traitance. / Les critères "coût d'utilisation", "délai d'exécution" et "conditions du recours à la sous-traitance" ne peuvent être retenus dans le cadre du présent appel d'offres aux motifs suivants : - coût d'utilisation : dépourvu d'objet au regard de l'infrastructure en cause / - délai d'exécution : fixé par le maitre d'ouvrage / - conditions du recours à la sous-traitance : inopérantes car inhérentes à un marché dévolu à une entreprise générale. En conséquence, les critères retenus pour le jugement des offres sont les " prix des prestations ", " valeur technique " et " références et garanties professionnelles et financières du candidat ", pondérés de la manière suivante : valeur technique de l'offre : sur

55 points, soit 55 % de la note finale / sous-critère n° 1 : qualité du mémoire technique, comptant pour 60 % du critère valeur technique / sous-critère n° 2 : moyens humains mis en oeuvre pour exécuter l'opération, jugé à partir de la note méthodologique remise par le candidat, comptant pour 20 % du critère valeur technique / sous critère n° 3 : moyens matériel mis en oeuvre pour exécuter l'opération, jugé à partir de la note méthodologique remise par le candidat, comptant 20 % du critère valeur technique / Prix de l'offre : sur 40 points, soit 40 % de la note finale / références et garanties professionnelles du candidat : sur 5 points, soit 5 % de la note finale (...) " ;

9. Considérant qu'en jugeant les offres des candidats en se fondant uniquement sur trois des six critères figurant à l'article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967, le PANC a directement méconnu les règles de la commande publique alors applicables sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et vicié la procédure d'attribution du marché en litige ;

Quant aux autres vices :

10. Considérant, en premier lieu, que l'article III-4.2. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en cause a notamment prévu que les index de référence appliqués pour la révision des prix des prestations relatives à la " chaussée " et aux " revêtements " seraient respectivement les indices TP05 et TP07 ; que si la société

Jean Lefebvre Pacifique, l'un des sous-traitants proposés par la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie, a indiqué avoir construit certains prix rémunérant les travaux réalisés sur la " chaussée " et pour les " revêtements " en se fondant sur d'autres indices, cette circonstance reste par elle-même sans incidence sur la régularité de l'offre de la société

Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie dès lors qu'il résulte de l'instruction que celle-ci a signé l'acte d'engagement et le CCAP sans apporter aucune modification à la clause de révision de prix, de sorte que les prix du marché concernant les prestations de " chaussée " et de " revêtements " devaient bien être révisés conformément aux stipulations de l'article III-4.2. du CCAP ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que le pouvoir adjudicateur doit informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation ; que si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ; que le pouvoir adjudicateur définit par ailleurs librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics et n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres ; que, toutefois, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ;

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour apprécier la valeur de chacun des trois sous-critères annoncés pour juger la valeur technique des offres remises par les candidats, le PANC a seulement mis en oeuvre une méthode de notation adaptée à chacun de ces sous-critères sans introduire, à cette occasion, de nouveaux critères de sélection ;

13. Considérant, en troisième lieu, que si l'article 3 du RPAO exigeait que les candidats remettent un mémoire technique comportant notamment sept " fiches de procédure ", aucune autre disposition de ce RPAO n'a en revanche exclu que le pouvoir adjudicateur puisse noter les moyens humains et les moyens matériels mis en oeuvre par les candidats pour exécuter l'opération, en se fondant, notamment, sur les compétences acquises pour des ouvrages similaires ; que, dès lors, en se bornant à noter sur un point de telles compétences sur les onze points attribués pour chacun des sous-critères n° 2 et n° 3, le PANC ne peut être regardé, en l'espèce, comme ayant mis en oeuvre un nouveau sous-critère de sélection des offres qui aurait nécessairement dû être porté à la connaissance des candidats ;

14. Considérant, en quatrième lieu, que, pour apprécier le sous-critère relatif à la qualité technique du mémoire, le PANC a notamment attribué à l'offre de la société Boyer la note

de 0 sur 2 pour le respect du " planning général " en estimant, d'une part, que la durée totale proposée par la SARL Boyer, de 26 mois, était supérieure au délai réglementaire de consultation fixée à 24 mois et, d'autre part, qu'il existait une incohérence sur la mise en place du remblai V3 réalisé en même temps que la pose des tirants inférieurs ;

15. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de l'acte d'engagement : " Le délai d'exécution des travaux est de 24 mois. (...) Les délais sont compris depuis la date fixée par l'ordre de service qui prescrira de commencer les travaux et jusqu'à leur complet achèvement, y compris : / - en début des travaux : le délai de préparation pour l'installation du chantier l'examen, par le maître d'oeuvre, des éléments du plan détaillé et le visa des plans d'exécution nécessaires pour le démarrage des travaux, / - en achèvement des travaux : le repliement des installations de chantier et la remise en état initial des terrains et des lieux (...) " ; qu'aux termes de l'article IV-6 du CCAP, relatif aux délais, retenues et pénalités pour remise des documents après exécution : " Il est fait application des dispositions prévues à l'article 39 du CCAG travaux. (...) La non remise des plans de récolement tels que prévus par le CCTP est suspensive de la réception des travaux ainsi que de la libération de la retenue de garantie ou du cautionnement et du paiement du solde de l'installation de chantier " ; qu'en vertu de l'article 39 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, de fournitures et de services passés en application de la délibération n° 136 du

1er mars 1967 modifiée (CCAG-T-NC), les plans et autres documents conformes à l'exécution doivent être remis dans les deux mois suivant la réception des travaux ; qu'aux termes de l'article III.1.3. du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché en cause : " Dans les deux mois suivant la réception des travaux, l'entrepreneur fournira au maître d'oeuvre les documents composant le dossier des ouvrages exécutés certifiés conformes à l'exécution (...) " ;

16. Considérant que, compte tenu des ambigüités, des incohérences et des contradictions existant entre les différentes pièces contractuelles mentionnées au point 15, la SARL Boyer a pu à bon droit estimer que la durée d'exécution des travaux devait être de 24 mois non compris la fourniture des plans de récolement ;

17. Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment de l'analyse du point 1.2.5. du CCTP du marché en cause, que les entreprises étaient tenues de réaliser l'ensemble des tirants inférieurs et supérieurs avant de commencer à mettre en place le remblai V3 ; qu'il ressort également de l'extrait du planning général reproduit par la société Boyer dans ses écritures qu'elle n'a pas proposé d'effectuer les opérations de pose des tirants et de remblai de manière simultanée mais avec une semaine de décalage ; que, dès lors, c'est à tort que le PANC a estimé que le planning général proposé par la SARL Boyer était sur ce point incohérent ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 16 et 17 que, même si le PANC n'avait pas l'obligation d'attribuer à la SARL Boyer la note maximale de 2 points sur le " planning général ", compte tenu, notamment, de ce que les offres remises par les autres candidats proposaient un délai d'exécution global des travaux de 24 mois, elle était toutefois susceptible d'obtenir, à ce titre, une note de 1 au minimum ;

19. Considérant, en dernier lieu, que, pour apprécier le sous-critère relatif à la qualité technique du mémoire, le PANC a attribué à l'offre de la société Boyer la note de 0 sur 2 pour la " fiche de procédure poutres de couronnement équipement " au motif que la procédure présentée ne lui permettait pas de comprendre la manière dont serait réalisée cette poutre de couronnement ;

20. Considérant qu'il ressort de la comparaison des explications apportées par la

SARL Boyer dans ses écritures contentieuses pour justifier la procédure utilisée pour poser la poutre de couronnement avec celles qui avaient été mentionnées dans la fiche de procédure remise au PANC que ce dernier a pu à bon droit estimer que les éléments alors apportés par la société n'étaient pas suffisamment clairs et précis et lui attribuer une note de 0 sur 2 à ce titre ;

S'agissant des conséquences des vices constatés :

21. Considérant que compte tenu, d'une part, de la méconnaissance, par le RPAO, de l'ensemble des critères de jugement des offres impérativement prévus par l'article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967 et, d'autre part, des erreurs commises dans l'appréciation de la valeur technique de la SARL Boyer, mentionnées au points 17 et 18, la SARL Boyer est fondée à soutenir que ces vices ont été susceptibles d'affecter les modalités d'élaboration et de présentation des offres des candidats et le choix de l'attributaire du marché ; qu'il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction qu'eu égard à l'objet du marché, l'interruption de son exécution emporterait des conséquences excessives sur l'intérêt général ; que, dès lors, compte tenu de la nature des vices affectant la validité du contrat, et de l'impossibilité, pour le PANC, de prendre des mesures appropriées de régularisation, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de résilier ce marché à compter de la date de lecture du présent arrêt ;

En ce qui concerne la demande indemnitaire :

S'agissant de la détermination de l'indemnité :

22. Considérant que lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation ;

23. Considérant, en premier lieu, que si le PANC a commis des erreurs, d'ailleurs limitées, dans l'appréciation de la valeur technique de la SARL Boyer, mentionnées aux points 17 et 18, il a surtout omis de prendre en compte, ainsi qu'il a été dit au point 9, trois des six critères alors imposés par l'article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967 ; qu'il n'appartient pas au juge du contrat de se substituer au pouvoir adjudicateur dans l'élaboration des critères de sélection des offres et la pondération de chacun de ces critères au regard de l'objet du marché ; qu'il n'est dès lors pas établi que cette faute aurait en l'espèce sérieusement privé la

SARL Boyer d'une chance sérieuse d'obtenir le marché et aurait ainsi été la cause directe de son éviction ; que cette société n'est dès lors pas fondée à demander la réparation de son préjudice relatif au bénéfice manqué ; qu'au demeurant, ce préjudice demeure éventuel, à la date du présent arrêt, dès lors que, d'une part, il n'est pas établi ni même allégué que le PANC aurait renoncé à effectuer les travaux objet du marché résilié par le présent arrêt ou que la SARL Boyer aurait, par avance, également renoncé à soumissionner à un nouvel appel d'offre, et que, d'autre part, il n'est pas exclu que la société Boyer, à l'issue d'une nouvelle consultation, puisse être déclarée attributaire du marché et puisse ainsi, en définitive, réaliser les bénéfices qu'elle a évalués pour cette opération ;

24. Considérant, en second lieu, que, compte tenu du prix qu'elle a proposé et de sa valeur technique, la SARL Boyer n'était pas dépourvue de toutes chances d'obtenir le marché ; que, toutefois, en raison de la faute commise par le PANC dans la définition des critères de sélection, cette société a engagé des frais pour présenter son offre qui ont été exposés en pure perte ; que la SARL Boyer est dès lors fondée à demander la réparation de ce préjudice qui trouve directement son origine dans la faute commise par le PANC ; que, compte tenu du montant très élevé du marché, supérieur à 25 millions d'euros, des justificatifs produits par la SARL Boyer et de l'absence de contestation sérieuse de la part du PANC, il sera fait une juste appréciation des frais exposés par la SARL Boyer pour présenter son offre en les évaluant à 50 000 euros ;

S'agissant des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts :

25. Considérant, d'une part, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que, par suite, la société Boyer a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 50 000 euros à compter du 6 janvier 2015, date à laquelle elle a saisi le PANC d'une demande en ce sens ;

26. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société Boyer a demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire enregistré devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie le 20 janvier 2015 ; que la société Boyer a dès lors droit à la capitalisation des intérêts échus au 6 janvier 2016 ;

27. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui a été dit ci-dessus, d'une part, que le PANC est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé l'annulation du marché en litige et ordonné une expertise avant de se prononcer sur la demande indemnitaire de la SARL Boyer et à demander l'annulation de ce jugement et, d'autre part, qu'il y a lieu de résilier ce marché à la date du présent arrêt et de condamner le PANC à verser à la SARL Boyer une somme de 50 000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2015 et de la capitalisation des intérêts échus au

6 janvier 2016 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Boyer, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande le PANC au titre des frais exposés par ce dernier et non compris dans les dépens ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du PANC la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la SARL Boyer et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n°1400235 en date du 2 avril 2015 est annulé.

Article 2 : Le marché relatif à la construction du poste 8 en prolongement du grand quai du port de Nouméa conclu le 23 juin 2014 entre le port autonome de la Nouvelle-Calédonie et la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie est résilié à compter du 25 mars 2016.

Article 3 : Le port autonome de la Nouvelle-Calédonie est condamné à verser à la SARL Boyer une somme de 50 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du

6 janvier 2015. Les intérêts échus au 6 janvier 2016 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le port autonome de la Nouvelle-Calédonie versera à la SARL Boyer une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au port autonome de la Nouvelle-Calédonie, à la

SARL Boyer et à la société Dumez-GTM-Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2016, à laquelle siégeaient :

- Mme Driencourt, président de chambre,

- Mme Mosser, président assesseur,

- M. Boissy, premier conseiller.

Lu en audience publique le 25 mars 2016.

Le rapporteur,

L. BOISSYLe président,

L. DRIENCOURTLe greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

N°15PA02655 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA02655
Date de la décision : 25/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : Mme DRIENCOURT
Rapporteur ?: M. Laurent BOISSY
Rapporteur public ?: M. ROUSSET
Avocat(s) : SELARL LOUZIER - FAUCHE - CAUCHOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-03-25;15pa02655 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award