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31/12/2015 | FRANCE | N°13PA01527

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 31 décembre 2015, 13PA01527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée de La Tour La Fayette a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 24 février 2010 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier M. B... A..., ainsi que la décision par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville a implicitement rejeté le recours hiérarchique qu'elle lui avait adressé le 23 avril 2010.

Par un jugement n° 1022445/3-1 du 28 aoû

t 2012, le Tribunal administratif de Paris a annulé les deux décisions attaquées.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée de La Tour La Fayette a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 24 février 2010 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier M. B... A..., ainsi que la décision par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville a implicitement rejeté le recours hiérarchique qu'elle lui avait adressé le 23 avril 2010.

Par un jugement n° 1022445/3-1 du 28 août 2012, le Tribunal administratif de Paris a annulé les deux décisions attaquées.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire, enregistrés les 22 avril 2013, 24 décembre 2013 et 4 juin 2014, M. A..., représenté par Me Komly-Nallier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1022445/3-1 du 28 août 2012 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société de La Tour La Fayette devant le Tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat, Me Komly-Nallier, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité, dès lors qu'il ne mentionne pas l'ensemble des pièces de la procédure, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;

- dans l'hypothèse où les faits qu'il lui est reproché d'avoir commis le 20 octobre 2009 seraient établis, ils ne seraient pas constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, eu égard, d'une part, à la dégradation du climat social dans l'entreprise et, d'autre part, à la détresse morale dans laquelle il se trouvait ce jour-là ;

- son licenciement présente un caractère discriminatoire et est lié à ses mandats et le tribunal a commis une erreur de droit en exigeant qu'il démontre l'existence d'un lien entre la procédure de licenciement et ses mandats.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2014, la société par actions simplifiée Constellation Etoile, venant aux droits de la société de La Tour La Fayette, représentée par Me Caussade, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par une décision du 21 février 2013 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernard,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- les observations de Me Komly-Nallier, avocat de M. A...,

- les observations de M. A...,

- et les observations de Me Caussade, avocat de la société Constellation Etoile, venant aux droits de la société de La Tour La Fayette.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été embauché le 17 mai 1995 par la société de La Tour La Fayette comme commis au service " mini-bar " de l'hôtel Concorde La Fayette, désormais dénommé Hyatt Regency Paris Etoile. M. A..., qui occupait en dernier lieu les fonctions de premier chef de rang au " room service ", avait la qualité de salarié protégé au titre de ses mandats de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), membre du comité central d'entreprise, membre du comité d'établissement, conseiller du salarié du département de Paris, délégué syndical CFE-CGC et ancien délégué syndical CGT-HPE. Le 24 décembre 2009, la société de La Tour La Fayette a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour faute en raison, d'une part, de son attitude générale, caractérisée par son refus d'exécuter les directives de travail, ses retards et ses absences injustifiées, de nature à désorganiser son service et, d'autre part, de son comportement agressif et menaçant au cours de la journée du 20 octobre 2009. Par une décision du 24 février 2010, l'inspecteur du travail de la section 17 A du secteur Nord-Est de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Paris a refusé d'autoriser le licenciement. La société de La Tour La Fayette a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision le 23 avril 2010. Le silence gardé par le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville pendant plus de quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet de ce recours. Par la présente requête, M. A... demande l'annulation du jugement du 28 août 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé ces deux décisions.

I. Sur les conclusions de M. A... dirigées contre le jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. [Conseil d'Etat, 5 mai 1976, SAFER d'Auvergne, n° 98647]

3. En outre, lorsqu'au terme de l'instruction diligentée par le juge, un doute subsiste sur l'exactitude matérielle des griefs formulés par l'employeur, ce doute doit profiter au salarié conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail selon lesquelles : " (...) / A défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. / (...) / Si un doute subsiste, il profite au salarié ". [Conseil d'Etat, 22 mars 2010, société CTP Prêt à partir, n° 324398]

A. Concernant l'insubordination, les retards et les absences injustifiées :

4. Il ressort de la demande d'autorisation de licenciement adressée par l'employeur à l'inspecteur du travail que celle-ci était notamment fondée sur la circonstance que M. A... refusait d'exécuter la totalité des directives de travail données par la responsable du room-service, sa supérieure hiérarchique. L'employeur produit à cet égard deux courriels et des attestations de sa supérieure hiérarchique et du directeur de la restauration. Il ressort de ces pièces que M. A... contestait la légitimité de sa responsable en l'accusant de le harceler. Il en ressort également que M. A... a refusé de monter un plateau en chambre et de se rendre à un " briefing ". En revanche, il n'en ressort pas qu'il aurait refusé d'exécuter d'autres directives de travail. Les faits reprochés sur ce point ne sont donc que partiellement établis et ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier à eux seuls le licenciement d'un salarié protégé.

5. Par ailleurs, pour établir que M. A... avait pris son poste avec environ une heure de retard à cinq reprises en octobre 2009 et s'était absenté de façon injustifiée les 13 et 14 octobre 2009 ainsi que pendant deux heures le 15 octobre 2009, l'employeur se borne à produire des plannings de service annotés de manière manuscrite. Toutefois, M. A... conteste la réalité de ces faits et relève à juste titre que ces documents sont produits en plusieurs versions différentes et ne sont pas signés de sa main. Il existe donc un doute, qui doit profiter au salarié, sur l'exactitude matérielle des retards et absences reprochés à M. A....

B. Concernant la journée du 20 octobre 2009 :

6. Il ressort de la demande d'autorisation de licenciement que l'employeur reproche à M. A... d'avoir, au cours de la journée du 20 octobre 2009, tout d'abord hurlé et menacé sa supérieure hiérarchique au sein du room-service, puis donné un coup violent sur le bureau du directeur de la restauration, qu'il aurait menacé de rendre responsable de son prochain suicide, et, enfin, dans la salle prévue pour la réunion du CHSCT, de s'être emporté violemment contre sa supérieure hiérarchique, d'avoir arraché sa chemise, de s'être jeté contre les murs et les vitres de la pièce et d'avoir proféré des menaces de mort à l'encontre des membres de la direction.

7. Tout d'abord, s'agissant des faits qui se sont déroulés au sein du room-service, la responsable de ce service témoigne que M. A... lui aurait hurlé dessus et l'aurait menacée en lui disant que " des assiettes pourraient [lui] tomber dessus ". Toutefois, ce témoignage est contredit par celui du maître d'hôtel, présent au moment des faits, qui ne fait nullement état de hurlements et qui indique que M. A... aurait dit à sa responsable qu'il ne la menaçait pas. M. A... relate quant à lui de manière détaillée l'attitude vexatoire et humiliante que sa responsable aurait adoptée à son égard ce matin-là et nie l'avoir menacée. Eu égard à ces témoignages contradictoires, il existe un doute sur la réalité des faits ainsi reprochés, lequel doit profiter au salarié.

8. Ensuite, s'agissant des faits qui se sont déroulés dans le bureau du directeur de la restauration, M. A... reconnaît s'être plaint d'être harcelé par sa supérieure hiérarchique et avoir demandé " Faut-il que je me suicide pour que cela cesse ' ". Ces faits ne peuvent être regardés comme fautifs. En revanche, il n'est pas établi que M. A... aurait porté un coup violent sur le bureau du directeur et aurait menacé celui-ci de le rendre responsable de son prochain suicide, dès lors que ces faits sont contestés par M. A... et n'ont pas eu de témoin.

9. Enfin, s'agissant des faits qui se sont déroulés avant la réunion du CHSCT, il est établi par plusieurs témoignages concordants que M. A... a été pris d'une violente crise au cours de laquelle il a dit qu'il allait se suicider, a arraché sa chemise et s'est jeté contre les murs et les vitres de la salle. Ainsi que l'a relevé l'inspecteur du travail dans sa décision en litige, l'état de santé mentale de M. A... était certainement altéré au moment des faits, puisqu'il a immédiatement après été hospitalisé pour une période de plus de trois mois. Ces faits ne peuvent ainsi en aucun cas être regardés comme fautifs. Pour le reste, les témoignages divergent. Ainsi, seule l'assistante des ressources humaines témoigne d'insultes prononcées à l'encontre de la responsable du room-service. Quant aux menaces de mort que M. A... auraient proférées, et qui ont fait l'objet d'un dépôt de plainte du directeur des ressources humaines de l'hôtel, seul le directeur technique atteste en avoir été témoin. En revanche, l'assistante des ressources humaines indique que M. A... a seulement accusé la direction d'être responsable de son état. Or, aucun de ces témoignages n'est conforté par ceux des agents de sécurité de l'hôtel appelés sur les lieux, qui attestent seulement de l'état d'agitation de M. A.... Eu égard aux divergences existant entre les témoignages, il existe un doute, qui doit profiter au salarié, sur la réalité des insultes et des menaces de mort qu'il est reproché à M. A... d'avoir proférées.

10. Par suite, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que l'inspecteur du travail, implicitement confirmé par le ministre, a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... au motif, d'une part, qu'un doute existait sur la matérialité de la plupart des faits reprochés à l'intéressé et, d'autre part, que les faits établis ne présentaient pas le caractère de fautes suffisamment graves pour justifier le licenciement d'un salarié protégé. Ces motifs sont, à eux seuls, de nature à justifier légalement le refus d'une autorisation de licenciement.

11. L'inspecteur du travail s'est également fondé sur la circonstance qu'un lien entre la demande de licenciement et les mandats détenus par M. A... ne pouvait être exclu. Toutefois, il ressort des termes mêmes de la décision en litige que ce motif présentait un caractère surabondant et que l'inspecteur du travail aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur les motifs rappelés au point 10 ci-dessus. Par conséquent, la circonstance que ce motif serait mal fondé est sans incidence sur la légalité des décisions en litige.

12. Aucun autre moyen n'a été soulevé par la société de La Tour La Fayette devant le tribunal administratif.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 février 2010 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de le licencier, ainsi que la décision par laquelle le ministre chargé du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique présenté par la société de La Tour La Fayette. Il n'est donc pas besoin d'examiner l'unique autre moyen de la requête de M. A..., tiré de l'irrégularité du jugement.

II. Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Constellation Etoile demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Constellation Etoile le versement de la somme que l'avocat de M. A... demande sur le fondement des mêmes dispositions et de celles de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1022445/3-1 du 28 août 2012 du Tribunal administratif de Paris, la décision du 24 février 2010 de l'inspecteur du travail et la décision du ministre chargé du travail rejetant implicitement le recours hiérarchique adressé le 23 avril 2010 par la société de La Tour La Fayette sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société de La Tour La Fayette devant le Tribunal administratif de Paris, ainsi que les conclusions présentées en appel par la société Constellation Etoile, venant aux droits de la société de La Tour La Fayette, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de Me Komly-Nallier, avocat de M. A..., présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Constellation Etoile, venant aux droits de la société de La Tour La Fayette, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à Me Komly-Nallier.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 décembre 2015.

Le rapporteur,

A. BERNARDLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

A. CLEMENTLa République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13PA01527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 13PA01527
Date de la décision : 31/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-12-31;13pa01527 ?
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