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20/04/2015 | FRANCE | N°13PA04641

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 avril 2015, 13PA04641


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I - La société Orange France, aux droits de laquelle est venue la société Orange, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 562 306,22 euros à raison des prestations effectuées au titre des années 2008 à 2011 dans le cadre des articles L. 81, L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales, augmentée des intérêts moratoires au taux légal et de la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme de 33 738 euros à titre de dommages et intérêts.


Par un jugement n° 1203142 du 12 novembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I - La société Orange France, aux droits de laquelle est venue la société Orange, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 562 306,22 euros à raison des prestations effectuées au titre des années 2008 à 2011 dans le cadre des articles L. 81, L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales, augmentée des intérêts moratoires au taux légal et de la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme de 33 738 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 1203142 du 12 novembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Orange la somme de 562 306,22 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2011, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés à chaque échéance mensuelle à compter du 18 octobre 2012.

II - La société France Telecom, aux droits de laquelle est venue la société Orange, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 703 348,77 euros à raison des prestations effectuées au titre des années 2008 à 2011 dans le cadre des articles L. 81, L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales, augmentée des intérêts moratoires au taux légal et de la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme de 42 200 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 1203164 du 12 novembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Orange la somme de 703 348,77 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2011, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés à chaque échéance mensuelle à compter du 18 octobre 2012.

Procédure devant la Cour :

I - Par un recours, enregistré le 13 décembre 2013 sous le n° 13PA04641, le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1203142 du 12 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris par la société Orange France, aux droits de laquelle vient la société Orange.

Il soutient que :

- la société Orange n'ayant subi aucun préjudice anormal et spécial, les conditions mises à l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ne sont pas réunies et que c'est donc à tort que le tribunal a prononcé la condamnation de l'Etat sur ce fondement ;

- les conclusions fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat ont été présentées pour la première fois devant le tribunal après l'expiration du délai de recours et sont donc irrecevables ;

- au surplus, l'administration fiscale n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l'Etat en refusant de verser à la société Orange une compensation financière en contrepartie des prestations effectuées à l'occasion de l'exercice de son droit de communication.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2014, la société Orange, venant aux droits de la société Orange France, représentée par Me Hasday, conclut au rejet du recours du ministre de l'économie et des finances et à ce que la somme de 8 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat du fait des lois sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques est engagée dès lors que le principe de juste rémunération implique le versement d'une compensation financière en contrepartie des prestations fournies à la direction générale des finances publiques dans le cadre de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, que la loi, sans l'exclure, ne prévoit aucune rémunération et que le préjudice subi par elle de ce fait présente un caractère anormal et spécial ;

- alors que l'article L. 83 du livre des procédures fiscales n'impose aux opérateurs de communications électroniques aucune obligation légale de communication, l'administration fiscale a bénéficié pendant plusieurs années de communications régulières de données et s'est enrichie à son détriment.

II - Par un recours, enregistré le 13 décembre 2013 sous le n° 13PA04871, le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1203164 du 12 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris par la société France Telecom, aux droits de laquelle vient la société Orange.

Il soulève les mêmes moyens que ceux présentés dans son recours n° 13PA04641.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2014, la société Orange, venant aux droits de la société France Telecom, représentée par Me Hasday, conclut au rejet du recours du ministre de l'économie et des finances et à ce que la somme de 8 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux présentés dans son mémoire en défense enregistré dans le dossier n° 13PA04641.

Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- les ordonnances QPC du président de la 8ème chambre de la Cour administrative d'appel de Paris du 9 février 2015.

Vu :

- le code des postes et communications électroniques ;

- le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dhiver,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Hasday, avocat de la société Orange.

Considérant ce qui suit :

1. Les recours du ministre de l'économie et des finances sont tous deux dirigées contre la société Orange, venant dans le premier recours aux droits de la société Orange France et dans le second recours aux droits de la société France Télécom. Ces recours présentant la même question à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Les sociétés Orange France et France Telecom ont saisi le Tribunal administratif de Paris de conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser les sommes auxquelles elles prétendaient au titre des années 2008 et 2011 à raison des prestations rendues à la direction générale des finances publiques dans le cadre du droit de communication dont dispose l'administration fiscale en vertu des dispositions des articles L. 81, L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales. Par deux jugements du 12 novembre 2013, le tribunal a condamné l'Etat à verser à la société Orange, venant aux droits de la société Orange France et de la société France Telecom, respectivement les sommes de 562 306,22 euros et 703 348,77 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2001 et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 octobre 2012, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques. Le ministre de l'économie et des finances relève régulièrement appel de ces jugements.

3. Aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. / Le droit prévu au premier alinéa s'exerce quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents (...) ". Aux termes de l'article L. 83 du même livre : " Les administrations de l'Etat, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat, les départements et les communes, ainsi que les établissements ou organismes de toute nature soumis au contrôle de l'autorité administrative, doivent communiquer à l'administration, sur sa demande, les documents de service qu'ils détiennent sans pouvoir opposer le secret professionnel, y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et les prestataires mentionnés aux articles aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ".

4. Il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer. Le préjudice résultant de l'application de la loi doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité de ceux qui en demandent réparation, il revêt un caractère grave et spécial interdisant de le regarder comme une charge devant incomber normalement à ceux qui le subissent.

5. Le préjudice résultant, le cas échéant, de la mise en oeuvre du droit de communication reconnu à l'administration fiscale par les articles L. 81 et suivants du livre de procédures fiscales, eu égard au nombre d'entités, organismes, établissements ou entreprises qui y sont astreints, sans que la situation des opérateurs de télécommunication puisse à cet égard être distinguée de celle des autres destinataires de ce droit, ne présente pas un caractère spécial. Par ailleurs, si la société Orange fait valoir que le traitement des demandes de la direction générale des finances publiques engendre des coûts, notamment des coûts de personnel, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en oeuvre du droit de communication se traduirait, pour la société intimée par un préjudice financier d'une gravité telle qu'il excèderait la charge normale susceptible de lui être imposée dans l'intérêt général. Il s'ensuit que, ainsi que le fait valoir le ministre, les conditions mises à l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ne sont pas réunies. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a, par ses jugements du 12 novembre 2013, considéré que la société Orange était fondée à demander l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques et l'a condamné à verser à l'intimée les sommes respectives de 562 306,22 euros et 703 348,77 euros.

6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Orange tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant elle.

7. Les demandes préalables présentées par les sociétés Orange France et France Telecom ont été rejetées par décisions du 19 décembre 2011, notifiées aux intéressées le 21 décembre 2011. Il ressort des dossiers de première instance que ce n'est que dans les mémoires enregistrés le 19 avril 2012, soit après l'expiration du délai de recours, que les sociétés Orange France et France Telecom, qui avaient initialement entendu uniquement rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat, ont pour la première fois invoqué la responsabilité pour faute de l'Etat. Ce fondement de responsabilité, qui n'est pas l'ordre public, relève d'une cause juridique nouvelle. Par suite, les demandes de la société Orange fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat ne sont pas recevables et ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

8. Enfin, à supposer même que la société Orange soit recevable à présenter pour la première fois en appel des conclusions reposant sur l'enrichissement sans cause, la responsabilité de l'Etat ne peut pas davantage être recherchée sur ce terrain dès lors que l'administration fiscale s'est bornée à faire une exacte application de la loi, laquelle application n'a, en outre, donné lieu à aucun enrichissement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orange, venant aux droits des sociétés Orange France et France Telecom, n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser à raison de l'exercice du droit de communication prévu par les dispositions de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales au titre des années 2008 à 2011. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements n° 1203142 et 1203164 du 12 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Orange devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et des comptes publics et à la société Orange, venant aux droits de la société Orange France et de la société France Telecom.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Marino, président assesseur,

- Mme Dhiver, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 avril 2015.

Le rapporteur,

M. DHIVERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

A. CLEMENT

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°s 13PA04641, 13PA04871


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 13PA04641
Date de la décision : 20/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Contrôle fiscal - Droit de communication.

Postes et communications électroniques - Communications électroniques - Téléphone - Questions générales relatives au fonctionnement du service téléphonique.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services économiques - Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Martine DHIVER
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : HDLA - AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-04-20;13pa04641 ?
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