Vu la requête, enregistrée le 15 avril 2014, présentée pour Mme C... A..., demeurant..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses quatre enfants mineurs, par Me Lubaki ; MmeA..., agissant tant en son nom personnel que pour le compte de leurs quatre enfants mineurs, demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1310434/6-1 du 22 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 2 100 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à verser à Mme A...et rejeté le surplus des conclusions ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 28 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable, en réparation des préjudices subis du fait de l'absence de relogement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, le versement au profit de leur avocat, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Mme A... soutient que :
- c'est à tort que le tribunal n'a pas accepté d'indemniser les autres membres de sa famille sans préciser les raisons d'une telle solution ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de l'article 1er de la loi du 5 mars 2007 mettant à la charge de l'Etat une obligation de résultat pour lui garantir un droit à un logement décent ; qu'elle a été reconnue prioritaire par la commission de médiation et n'a reçu aucune offre de logement ; que le Tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris d'assurer son relogement ;
- les préjudices dont elle demande réparation correspondent à son préjudice moral et aux troubles dans ses conditions d'existence depuis le 24 décembre 2011, à raison des fautes commises par l'Etat ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 février 2015, présenté par la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité qui conclut au rejet de la requête en soutenant qu'aucun des moyens n'est fondé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 2013/057982 du 20 février 2014 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris a admis Mme A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2015 :
- le rapport de Mme Chavrier, premier conseiller,
- et les observations de Me Lubaki, avocat de MmeA... ;
1. Considérant que Mme A..., qui avait saisi la commission de médiation de Paris sur le fondement du droit opposable au logement, a été déclarée prioritaire et devant être relogée en urgence par une décision de cette commission en date du 24 juin 2011 au motif qu'elle était logée dans des locaux sur-occupés avec au moins une personne mineure ou handicapée à charge ; qu'en l'absence de proposition de relogement dans les six mois qui ont suivi cette décision, Mme A... a saisi le Tribunal administratif de Paris pour que son relogement soit ordonné en application de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation ; que par un jugement du 8 novembre 2012, le Tribunal a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer le relogement de Mme A... et de sa famille ; que par courrier du 9 avril 2013, reçu le 10 avril suivant, Mme A... a saisi le préfet d'une demande d'indemnisation du préjudice subi du fait de son absence de relogement ; que le silence gardé pendant plus de deux mois par le préfet sur la demande indemnitaire présentée par Mme A... a fait naître une décision implicite de rejet ; que Mme A...a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 19 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal en réparation des préjudices subis du fait de l'absence de relogement ; que, par un jugement en date du 22 novembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme A...la somme de 2 100 euros tous intérêts compris et rejeté le surplus des conclusions de la demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en considérant " qu'il résulte de l'instruction que Mme A...est seule fondée à demander l'indemnisation des troubles de toute nature ayant résulté de leur maintien dans ces conditions de logement ", sans préciser les raisons pour lesquelles les autres membres de sa famille ne pouvaient prétendre à une indemnisation, le Tribunal administratif de Paris n'a pas suffisamment motivé son jugement ; que celui-ci doit ainsi être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions présentées par Mme A...ainsi que les conclusions présentées par Mme A...pour le compte des enfants mineurs ;
3. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour administrative d'appel de se prononcer sur cette partie de la demande par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions présentées par Mme A...en son nom personnel ;
Sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... ainsi que les conclusions présentées par Mme A...pour le compte de ses quatre enfants mineurs :
En ce qui concerne la responsabilité :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation : " Le droit à un logement décent et indépendant (...) est garanti par l'Etat à toute personne qui (...) n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. / Ce droit s'exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent article et les articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1. " ; qu'aux termes du II de l'article L. 441-2-3 du même code : " (...) Dans un délai fixé par décret, la commission de médiation désigne les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement (...) / La commission de médiation transmet au représentant de l'Etat dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement. / (...) Le représentant de l'Etat dans le département désigne chaque demandeur à un organisme bailleur disposant de logements correspondant à la demande. En Ile-de-France, il peut aussi demander au représentant de l'Etat d'un autre département de procéder à une telle désignation. (...) / En cas de refus de l'organisme de loger le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département qui l'a désigné procède à l'attribution d'un logement correspondant aux besoins et aux capacités du demandeur sur ses droits de réservation. (...) " ; que selon les dispositions de l'article L. 441-2-3-1 du code précité : " I.-Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement. (...) / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l'Etat et peut assortir son injonction d'une astreinte. " ; qu'aux termes de l'article
R. 441-16-1 du même code : " A compter du 1er décembre 2008, le recours devant la juridiction administrative prévu au I de l'article L. 441-2-3-1 peut être introduit par le demandeur qui n'a pas reçu d'offre de logement tenant compte de ses besoins et capacités passé un délai de trois mois à compter de la décision de la commission de médiation le reconnaissant comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence. Dans les départements d'outre-mer et, jusqu'au 1er janvier 2014, dans les départements comportant au moins une agglomération, ou une partie d'une agglomération, de plus de 300 000 habitants, ce délai est de six mois. " ;
5. Considérant que les dispositions précitées, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé leur adoption, fixent pour l'Etat une obligation de résultat dont peuvent se prévaloir les demandeurs ayant exercé les recours amiable ou contentieux prévus à l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation ainsi que les personnes qui subissent un préjudice résultant de l'absence de respect par l'Etat d'une telle obligation ; que pour rendre effectif le droit à un logement décent et indépendant, dont l'Etat est le garant, le législateur a, d'une part, prescrit que le représentant de l'Etat dans le département du demandeur, ou des autres départements en ce qui concerne la région Ile-de-France, saisisse les bailleurs sociaux en vue du relogement de ce dernier dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision de la commission de médiation et, en cas de refus de ces organismes, procède à l'attribution d'un logement sur ses droits de réservation, et, d'autre part, institué un recours spécifique en faveur des demandeurs prioritaires n'ayant pas reçu d'offre, devant un juge doté d'un pouvoir d'injonction et d'astreinte pour que leur relogement soit assuré ;
6. Considérant que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, ne conteste pas que Mme A...et ses enfants mineurs n'ont reçu aucune offre de relogement par un organisme bailleur et qu'aucun des préfets des départements de la région Ile-de-France n'a procédé à l'attribution d'un logement correspondant à ses besoins sur ses droits de réservation ; que si la décision de la commission de médiation ne fixait au préfet une obligation de résultat qu'en ce qui concerne MmeA..., le jugement du Tribunal administratif de Paris du 8 novembre 2012 enjoignait au préfet d'assurer également le relogement de son époux et de ses enfants mineurs ; qu'il est constant que ce jugement n'a pas été exécuté ; que cette carence est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de MmeA..., ainsi que dans la limite de leur propre préjudice, de ses quatre premiers enfants mineurs ;
En ce qui concerne les préjudices :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A..., célibataire, vit avec ses quatre enfants en bas âge dans un logement de 25 m² ; que compte tenu du motif retenu par la commission de médiation de Paris pour la déclarer prioritaire pour son relogement et eu égard à la prolongation de sa situation qui persiste, dans les conditions rappelées ci-dessus, depuis décembre 2011, soit à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la décision de la commission de médiation, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par Mme A... en lui allouant une somme de 2 000 euros tous intérêts compris au jour du présent arrêt ; qu'en revanche la requérante ne justifie pas de l'existence d'un préjudice moral spécifique ;
8. Considérant que MmeA..., agissant pour le compte de ses quatre enfants mineurs, est fondée à demander la réparation du préjudice subi par ces trois premiers enfants ; qu'en revanche, elle n'est pas fondée à invoquer le préjudice de son dernier enfant né postérieurement à la décision de la commission de médiation et du jugement du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris du 8 novembre 2012 enjoignant au préfet de région de procéder au relogement de MmeA... ; que, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard à la prolongation de leur situation, il sera fait une juste appréciation de leurs troubles de toute nature, y compris leur préjudice moral, en condamnant l'Etat à verser une somme de 500 euros pour chacun des trois premiers enfants, tous intérêts compris au jour du présent arrêt ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
9. Considérant que les requérants ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lubaki, avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lubaki de la somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 22 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A...une somme de 2 000 euros, tous intérêts compris au jour du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser pour chacun des trois premiers enfants mineursD... A... une somme de 500 euros chacun tous intérêts compris au jour du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Lubaki une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Lubaki renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Copie en sera adressée au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Polizzi, président assesseur,
- Mme Chavrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 9 avril 2015.
Le rapporteur,
A-L. CHAVRIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 14PA01690