Vu la requête, enregistrée le 15 août 2011, présentée pour la société " Etablissements Bargibant SA ", dont le siège est 25, rue Georges Claude, ZI Ducos, B.P 2994 à Nouméa Cedex (98846), par la Selarl Pelletier - Fisselier - Casies ; la société " Etablissements Bargibant SA " demande à la Cour :
1º) d'annuler le jugement n° 10393 du 13 juillet 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la condamnation du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 20 millions de francs CFP en réparation de son " préjudice commercial moral " résultant du refus d'importation de 12 tonnes de viande bovine et la somme de 3 780 000 F CFP au titre " du préjudice découlant de la différence de prix de revient estimé entre les Ets BARGIBANT et les prix de l'OCEF ", assorties des intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2010, date de sa demande ;
2°) de condamner le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 3 455 710 F CFP en réparation de son préjudice économique et la somme de
20 millions de francs CFP en réparation de son préjudice moral, assorties des intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2010 ;
3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie le versement de la somme de 500 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a prononcé l'annulation de la mesure de refus, par jugement en date du 17 février 2011 ;
- son préjudice économique est justifié par la production d'une attestation d'un expert-comptable qui s'est fondée sur les pièces comptables et douanières appropriées, qui témoignent de la perte d'une marge nette de 3 455 710 F CFP ;
- la volonté du gouvernement de Nouvelle-Calédonie de faire obstacle à tout prix au libre exercice de son activité commerciale, et non seulement à la réalisation de l'importation refusée, est à l'origine d'un préjudice moral justifiant le versement d'une indemnité de 20 millions de francs CFP ; c'est ce montant qui a été retenu par le tribunal administratif dans son jugement en date du
29 mars 2010 ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2012, présenté pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par son président, par la Scp d'avocats Ancel et Couturier-Heller, qui conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 500 euros soit mis à la charge de la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il fait valoir que :
- la société requérante, qui supporte la charge de la preuve, n'établit pas la réalité des préjudices qu'elle invoque ;
- seule la perte de chance sérieuse est indemnisable ; il n'est pas démontré que l'entreprise aurait pu écouler l'ensemble du stock en cause, compte tenu de la présence sur le marché de l'OCEF dont la mission est d'éviter les ruptures d'approvisionnement en viandes ; elle ne fait état d'aucune commande ferme ou de pourparlers avancés portant sur des commandes concernant la période en litige ;
- la réalité du bénéfice net escompté par kilo de viande n'est pas établie ; l'estimation réalisée est fondée arbitrairement sur le prix de l'entrecôte alors que la demande d'importation portait sur d'autres morceaux de viande dont les prix de vente et marges associées diffèrent ; le prix de revente et les charges de l'entreprise ne font pas l'objet de justifications suffisantes ; au cours du marché considéré, l'offre de viande était abondante ; certaines des données mobilisées sont erronées ;
- la comparaison opérée par l'entreprise n'est pas pertinente ; rien n'indique que les conditions de marché aient été identiques entre 2010 et 2011 ; la marge réalisée en 2010 est nécessairement inférieure à celle dégagée en 2011, exercice de référence selon l'entreprise ; l'objectivité du prestataire émetteur de l'attestation est contestable ; cette attestation est insuffisamment précise, de sorte qu'il n'est pas possible de contrôler les calculs exécutés pour déterminer la marge nette de 21,5 % ;
- la société, qui s'est vue délivrer une autorisation d'importation en mai 2011, ne fait état d'aucun préjudice moral précis résultant des faits allégués ; elle ne peut utilement invoquer des faits postérieurs à sa demande préalable du 28 septembre 2010 ; le jugement invoqué a retenu un préjudice économique et non " un préjudice commercial moral " ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 2012-258 QPC du Conseil constitutionnel du 22 juin 2012 ;
Vu la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mars 2015 :
- le rapport de M. Cantié, premier conseiller,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,
- et les observations de Me Monod, avocat de la société " Etablissements Bargibant SA ", et celles de Me Lecuyer, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
1. Considérant que la société " Etablissements Bargibant SA " a déposé, le 23 juillet 2010, auprès de la direction régionale des douanes et droits indirects de Nouvelle-Calédonie une demande de licence d'importation d'un stock de 12 tonnes de viande bovine congelée en provenance de Nouvelle-Zélande ; que cette demande a été rejetée par décision du directeur régional en date du 21 septembre 2010 ; que par lettre du 28 septembre 2010, reçue le 5 octobre suivant, la société a présenté une demande indemnitaire préalable auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui a été rejetée par décision de son président en date du 7 décembre 2010 ; que, par une requête enregistrée le 9 décembre 2010 sous le n° 10393, la société a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à lui verser une indemnité de 20 millions de francs CFP en réparation de son " préjudice commercial moral " résultant du refus d'importation de 12 000 tonnes de viande bovine et la somme de 3 780 000 F CFP au titre " du préjudice découlant de la différence de prix de revient estimé entre les Ets BARGIBANT et les prix de l'OCEF " ; que, par jugement n° 1000308 du 17 février 2011, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé l'annulation de la décision du 21 septembre 2010 ; que, par jugement du 13 juillet 2011, le tribunal administratif a rejeté la requête de la société " Etablissements Bargibant SA " enregistrée sous le n° 10393 ; que ladite société relève appel de ce dernier jugement ;
Sur la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie :
En ce qui concerne la faute :
2. Considérant qu'aux termes de l'article unique de la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 portant validation des actes pris en application des articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 susvisée : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les actes réglementaires et individuels pris en application des articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie sont validés en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'exclusivité que ces dispositions confèrent à l'office de commercialisation et d'entreposage frigorifique pour importer des viandes et abats des espèces bovines, porcines, ovines, caprines, chevalines et cervidés porterait au principe de liberté du commerce et de l'industrie une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant " ; que, dans sa décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012, le Conseil constitutionnel a estimé qu'aucun motif d'intérêt général suffisant ne justifie que ces dispositions soient rendues applicables aux instances en cours devant les juridictions à la date de l'entrée en vigueur de la loi du pays contestée ;
3. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, par un jugement n° 1000308 du 17 février 2011, devenu définitif, prononcé l'annulation de la décision du 21 septembre 2010 par laquelle le directeur régional des douanes et droits indirects de la Nouvelle-Calédonie, agissant par délégation du président du gouvernement, avait rejeté la demande de licence d'importation de viande bovine présentée par la société " Etablissements Bargibant SA " ; qu'il ressort des motifs de ce jugement que le tribunal administratif a estimé que le refus opposé à l'entreprise était entaché d'erreur manifeste d'appréciation ; que tant le dispositif du jugement que les motifs en constituant le support nécessaire sont dotés de l'autorité absolue de la chose jugée ; que, dès lors, la société " Etablissements Bargibant SA " est fondée à soutenir que le refus de lui délivrer la licence d'importation sollicitée le 23 juillet 2010 est illégal et caractérise une faute de nature à engager la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie ;
En ce concerne le préjudice :
4. Considérant que le juge du plein contentieux doit prendre en compte l'évolution des données du litige qui lui est soumis et statuer au vu des circonstances de droit et de fait qui prévalent à la date de sa décision ;
5. Considérant que, par la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 susvisée, l'office de commercialisation et d'entreposage frigorifique (OCEF), établissement public industriel et commercial chargé d'une mission de régulation des marchés agricoles de Nouvelle-Calédonie, impliquant de sa part l'achat, le traitement et la mise sur le marché des productions locales ainsi que l'importation des compléments nécessaires aux besoins du territoire, s'est vu reconnaître l'exclusivité de l'importation en Nouvelle-Calédonie des viandes et abats des espèces bovines, porcines, ovines, caprines, chevalines et des cervidés ; qu'il ressort de la décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012 du Conseil constitutionnel : " qu'eu égard aux particularités de la Nouvelle-Calédonie et aux besoins d'approvisionnement du marché local, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le monopole confié à l'OCEF en complément de sa mission de service public par la délibération du 26 mai 2003 ne revêt pas un caractère disproportionné " ;
6. Considérant que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie fait valoir, sans être démenti, que la société " Etablissements Bargibant SA " s'est vue délivrer en mai 2011 la licence d'importation qu'elle avait sollicitée le 23 juillet 2010, postérieurement au jugement n° 1000308 du 17 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé l'annulation du refus qui lui avait été initialement opposé ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que la société " Etablissements Bargibant SA " n'a pas été en mesure de mettre en oeuvre cette autorisation ; que l'entreprise n'avait pas vocation à réaliser d'autres importations de même nature en raison du monopole confié à l'OCEF, dont la validité a été confortée par les motifs de la décision du 22 juin 2012 du Conseil constitutionnel ; que, dès lors, la société " Etablissements Bargibant SA " n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice résultant de la perte de chance sérieuse de dégager un bénéfice de la vente sur le territoire des stocks de viande bovine congelée qu'elle avait entendu importer de Nouvelle-Zélande, ni d'aucune autre vente portant sur des produits analogues ; que, faute de tout commencement de preuve, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le refus opposé par l'administration des douanes aurait porté atteinte à sa réputation ; qu'elle ne démontre pas la volonté de lui nuire personnellement qu'elle impute au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui apparaît en l'espèce avoir agi en vue d'éviter la déstabilisation de la production locale et de préserver le droit d'exclusivité reconnu à l'OCEF ; que, par suite, la société " Etablissements Bargibant SA " n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société " Etablissements Bargibant SA " n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés par la société " Etablissements Bargibant SA " et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société " Etablissements Bargibant SA " est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Etablissements Bargibant SA " et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Coënt-Bochard, président de chambre,
- M. Dellevedove, premier conseiller,
- M. Cantié, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 9 avril 2015.
Le rapporteur,
C. CANTIÉLe président,
E. COËNT-BOCHARD
Le greffier,
A.-L. CALVAIRELa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 11PA03786