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24/11/2014 | FRANCE | N°13pa02044

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 24 novembre 2014, 13pa02044


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C..., agissant en qualité d'ayant droit de son époux décédé M. D...C..., a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté le recours qu'elle avait formé le 27 décembre 2010, tendant à la réparation des préjudices subis du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation. Elle demandait également qu'une somme de 162 816,45 euros soit mise à la charge de l'Etat en réparation de ces préjudices.

Par

un jugement n° 1107484/6-2 du 26 mars 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C..., agissant en qualité d'ayant droit de son époux décédé M. D...C..., a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté le recours qu'elle avait formé le 27 décembre 2010, tendant à la réparation des préjudices subis du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation. Elle demandait également qu'une somme de 162 816,45 euros soit mise à la charge de l'Etat en réparation de ces préjudices.

Par un jugement n° 1107484/6-2 du 26 mars 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 24 mai 2013 et 8 janvier 2014, Mme C..., représentée par Me Roth, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1107484/6-2 du 26 mars 2013 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du Premier ministre rejetant sa demande ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 168 806,92 euros en réparation du préjudice résultant de la perte des éléments incorporels et de la perte de revenus du fait de la spoliation du fonds de commerce appartenant aux parents de son époux décédé, en application des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

.........................................................................................................................

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le premier protocole additionnel à cette convention ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 octobre 2014 :

- le rapport de M. Marino, président assesseur,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Roth, avocat de Mme C... ;

1. Considérant que M. D...C...a saisi la commission d'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) en vue de l'indemnisation de la spoliation des biens de ses parents, M. B...C...et Mme E... épouseC..., qui exploitaient un restaurant à l'enseigne " Comme chez soi ", rue des Ecouffes dans le 4ème arrondissement de Paris ; que par une recommandation en date du 3 avril 2001, la CIVS, siégeant en formation restreinte, a proposé de lui reconnaître la qualité de victime de spoliations du fait des législations antisémites pendant l'Occupation et qu'une indemnité de 20 000 francs (3 048 euros) lui soit allouée au titre des biens professionnels composant le restaurant et des valeurs confisquées à ses parents lors de leur internement au camp de Drancy le 13 décembre 1943 ; que le 7 novembre 2008, Mme A...C..., agissant en qualité d'ayant droit de son époux, M. D... C..., décédé le 26 juin 2002, a saisi la commission d'une demande de réexamen en faisant valoir que la perte des éléments incorporels (perte de clientèle) du fonds de commerce de ses beaux-parents n'avait pas été indemnisée ; que, par une recommandation adoptée le 14 décembre 2009, la commission, siégeant en formation plénière, a émis un avis proposant le rejet de cette réclamation ; que Mme C...a formé, le 27 décembre 2010, un recours auprès du Premier ministre contre cette recommandation et a demandé à ce que l'Etat lui verse une somme de 162 816,45 euros au titre de la perte des éléments incorporels du fonds de commerce et de la perte de revenus ; que par un jugement du 26 mars 2013 le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté son recours et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à réparer ces chefs de préjudice ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 10 septembre 1999 susvisé :

" Il est institué auprès du Premier ministre une commission chargée d'examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des législations antisémites prises, pendant l'Occupation, tant par l'occupant que par les autorités de Vichy. / La commission est chargée de rechercher et de proposer les mesures de réparation, de restitution ou d'indemnisation appropriées. " ;

3. Considérant que le dispositif institué par les dispositions du décret du

10 septembre 1999, qui participe à l'indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l'Etat ayant concouru à la déportation ou à la spoliation, aboutit, au terme d'une procédure de conciliation, à ce que la commission recommande, le cas échéant, au Premier ministre de prendre une mesure d'indemnisation ; que les décisions prises par le Premier ministre sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'elles peuvent être annulées notamment si elles sont entachées d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir ; que, saisi de conclusions en ce sens, le juge administratif peut enjoindre à l'administration de prendre les mesures qu'impose nécessairement sa décision, notamment de procéder au réexamen des points encore en litige et de prendre, le cas échéant, une décision accordant en tout ou partie l'indemnisation demandée ;

Sur la réparation du préjudice relatif à la perte de clientèle :

4. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'un fonds de commerce a été restitué à son propriétaire ou à ses ayants droit, les éléments incorporels dudit fonds retournent dans le patrimoine de la victime ou entrent dans celui de ses ayants droit ; qu'il suit de là qu'en telle hypothèse, la perte éventuelle de la valeur de biens incorporels ne peut être regardée comme constituant une spoliation au sens du décret du 10 septembre 1999 ; qu'il ressort des pièces du dossier que si le restaurant exploité par M. et Mme C...a été placé sous administration provisoire à compter du

18 octobre 1940 avec nomination d'un commissaire gérant, leur fils, M. D...C..., a cependant pu reprendre cette activité après la Libération ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé, sans même avoir à apprécier la pertinence du caractère définitif ou non du préjudice invoqué, que le Premier ministre, en rejetant le recours gracieux de Mme C...au motif que ce préjudice n'était pas certain, n'avait pas entaché sa décision d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation ;

5. Considérant, en second lieu, que Mme C...soutient, à titre subsidiaire, qu'à défaut de faire droit à sa demande d'indemnisation sur le fondement du décret précité du 10 septembre 1999 précité, il conviendrait d'y faire droit en vertu des règles de droit commun de la responsabilité ; que, toutefois, d'une part, eu égard au caractère en tout point exceptionnel des préjudices nés des actes et agissements antisémites de l'État pendant l'Occupation, il est impossible de rétablir, de quelque manière que ce soit, l'équilibre détruit par le dommage et de parvenir à la réparation intégrale des préjudices subis par le beau-père et la belle-mère de la requérante ; que, pour compenser les préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et des législations antisémites et par leurs ayants droit, l'État a pris une série de mesures, au nombre desquelles figure le décret du 10 septembre 1999, instaurant des pensions, des indemnités, des aides ou des mesures de réparation ; que prises dans leur ensemble et bien qu'elles aient procédé d'une démarche très graduelle et reposé sur des bases largement forfaitaires, ces mesures, comparables, tant par leur nature que dans leur montant, à celles adoptées par les autres États européens dont les autorités ont commis de semblables agissements, doivent être regardées, en tout état de cause, comme ayant permis, autant qu'il a été possible, l'indemnisation, dans le respect des droits garantis par la Constitution, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le premier protocole additionnel à cette convention, des préjudices de toute nature causés par les actions antisémites de l'État ; que, dès lors, Mme C...n'est fondée à soutenir ni que l'absence d'indemnisation des biens incorporels constitue un " déni de justice " susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat pour faute ni que, les fonctionnaires juifs réintégrés ayant obtenu le versement de leurs traitements à compter de leur éviction, l'absence d'indemnisation des préjudices subis par les commerçants juifs constitue une rupture d'égalité devant les charges publiques ;

Sur la réparation des pertes de revenus :

6. Considérant que lorsque la perte de revenus résulte de l'impossibilité d'exploiter un fonds de commerce en raison de la spoliation dont il a fait l'objet du fait des législations antisémites, ce préjudice entre dans le champ d'application du décret du 10 septembre 1999, qui prévoit la réparation des préjudices " consécutifs " à de telles spoliations ;

7. Considérant que s'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C...ont été autorisés, par une décision du 4 août 1941, à poursuivre l'exploitation de leur restaurant sous réserve de n'y servir qu'une clientèle juive, il est constant qu'ils ont été privés du droit de jouir et de disposer de leur établissement du 18 octobre 1940 au 4 août 1941, période au cours de laquelle les autorités de Vichy avaient placé le restaurant sous administration provisoire et nommé un commissaire gérant ; que cette mesure a eu pour effet de porter un atteinte temporaire à leur droit de propriété en application de la législation antisémite alors en vigueur et doit être regardée comme un acte de spoliation au sens du décret du 10 septembre 1999 ; qu'en revanche, si l'exploitation a de nouveau cessé à la suite de l'arrestation de M. et Mme C...le 13 décembre 1943, de leur internement au camp de Drancy avant leur déportation à Auschwitz où ils ont été assassinés, ces circonstances, pour tragiques qu'elles soient, ne permettent pas de regarder la cessation de l'exploitation à compter du 13 décembre 1943 comme étant la conséquence d'une mesure de spoliation de l'établissement ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur le recours gracieux formé le 27 décembre 2010 par Mme C...en tant qu'elle rejette la demande tendant à l'indemnisation de la perte de revenus pour la période comprise entre le 18 octobre 1940 et le 4 août 1941 et, d'autre part, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité, d'annuler le jugement du tribunal administratif en tant qu'il rejette la demande de Mme C...sur ce point ;

9. Considérant qu'eu égard à la situation économique générale au cours de la période considérée, le préjudice lié à cette perte de revenus peut être évalué forfaitairement à la somme de 7 500 euros ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Considérant que le présent arrêt implique nécessairement que l'administration accorde à MmeC..., au titre de la perte de revenus ci-dessus identifiée, une somme qui peut être évaluée à 7 500 euros ; que, dès lors, il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une nouvelle décision en ce sens dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur le recours formé le 27 décembre 2010 par Mme C...est annulée en tant qu'elle rejette la demande tendant à l'indemnisation de la perte de revenus pour la période comprise entre le 8 octobre 1940 et le 4 août 1941.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre une nouvelle décision accordant à Mme C... une somme de 7 500 euros dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement n° 1107484/6-2 du 26 mars 2013 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 4 : L'Etat versera à Mme C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

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N° 13PA02044


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 13pa02044
Date de la décision : 24/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques. Responsabilité du fait de la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Yves MARINO
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : ROTH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-11-24;13pa02044 ?
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