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23/10/2014 | FRANCE | N°12PA03090

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 23 octobre 2014, 12PA03090


Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2012, et le mémoire ampliatif enregistré le 4 décembre 2012, présentés pour Mme E... A...veuveD..., demeurant ...Polynésie française, par le cabinet Teissonniere-Topaloff-Lafforgue ; Mme A... veuve D...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200032 du 22 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 22 novembre 2011 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande présentée au ti

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Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2012, et le mémoire ampliatif enregistré le 4 décembre 2012, présentés pour Mme E... A...veuveD..., demeurant ...Polynésie française, par le cabinet Teissonniere-Topaloff-Lafforgue ; Mme A... veuve D...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200032 du 22 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 22 novembre 2011 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, d'autre part, à ce qu'une expertise soit ordonnée aux fins de procéder à l'évaluation des dommages subis par son époux du fait de son exposition aux rayonnements ionisants, enfin, à la mise à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler la décision précitée du 22 novembre 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants ;

3°) dans le dernier état de ses écritures, d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour qu'il procède à l'évaluation des préjudices de toute nature subis par son époux et imputables au cancer qui a entraîné son décès, en lien avec son exposition aux rayonnements ionisants ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance, y compris la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du même code ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Julliard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Labrunie, avocat Mme A...veuveD... ;

1. Considérant que le 1er octobre 2010, Mme A...veuve C...a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, en qualité d'ayant-droit de son époux, M. B... C..., ancien employé du Génie de l'air affecté la réfection des pistes d'aviation à Mururoa et à Fangataufa entre le 1er février et le 31 novembre 1969 et décédé le 21 février 2004 d'une leucémie ; que, lors de sa séance en date du 9 septembre 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que pendant la période où M. C... avait été employé par le Génie de l'air, aucune expérimentation nucléaire n'avait été réalisée, qu'en l'absence de toute indication d'une exposition possible aux rayonnements ionisants, la probabilité de causalité entre sa leucémie et une telle exposition n'avait pas à être évaluée et, qu'en conséquence, le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de cette maladie pouvait être considéré comme négligeable ; que, suivant cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de Mme C...par décision du 22 novembre 2011 ; que cette dernière relève appel du jugement du 22 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 22 novembre 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants ;

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :

2. Considérant que le ministre de la défense oppose une fin de non-recevoir à la requête tirée de ce qu'elle ne soulèverait aucune critique contre le jugement attaqué ni aucun nouveau moyen contre la décision contestée ; que toutefois, en tant qu'elle ne constitue pas la reproduction littérale de la requête de première instance et énonce de nouveau de manière précise les critiques adressées à la décision dont l'annulation a été demandée au tribunal administratif, la requête de Mme C...présentée devant la Cour répond aux exigences de motivation des requêtes d'appel prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que la fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa version en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4°. " ; que, selon l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que l'article 7 du décret du 11 juin 2010 dispose : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie inscrite sur la liste fixée par le décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées contaminantes ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée si le comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, démontre que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie de l'intéressé et des conditions de son exposition aux rayonnements ionisants ;

5. Considérant que Mme A... veuve D...conteste la période de présence de M. D... sur les sites d'expérimentation nucléaires retenue par le ministre et le CIVEN et se prévaut d'une déclaration rédigée par son époux quelques mois avant son décès indiquant avoir été employé au Centre d'expérimentation du Pacifique de 1968 à 1979 ; que, toutefois, faute d'être corroborée par d'autres documents que le relevé de cotisation d'assurance vieillesse, déjà produit en première instance et ne permettant pas d'établir avec précision les périodes de présence de M. D...sur les sites visés à l'article 2 précité de la loi du 5 janvier 2010, cette déclaration est insuffisante pour prouver la présence de M. D...sur lesdits sites, au-delà du 30 novembre 1969 ;

6. Considérant, en revanche, qu'il ressort des pièces du dossier, et qu'il n'est au demeurant pas contesté, que M. D... a été employé pour le Génie de l'air sur les atolls de Mururoa et Fangataufa du 1er février au 31 décembre 1969 et ce, en qualité de conducteur d'engin et de maçon, à des travaux d'aménagement des pistes ; que, eu égard à la nature de ses travaux sur des sols potentiellement pollués, l'hypothèse d'une exposition au risque de contamination peut difficilement être, en l'état, tenue pour totalement exclue ; que, dans ces conditions, le ministre ne pouvait, pour rejeter la demande présentée par Mme A...au motif du caractère négligeable du risque au sens des dispositions précitées, se borner à retenir l'absence de relevés dosimétriques, dont la mise en oeuvre n'avait pas été jugée utile à l'époque pour les catégories de personnels auxquelles appartenait M. D..., et la circonstances que les séjours de celui-ci sur les atolls en cause avaient eu lieu en dehors des campagnes de tirs ; qu'il lui appartenait notamment de déterminer son appréciation de ce caractère négligeable du risque en prenant en compte des éléments circonstanciés relatifs aux conditions d'emploi de l'intéressé et à une éventuelle contamination résiduelle des sols aux dates de ses séjours ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... veuve D...et la Caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie française sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 22 novembre 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant que les motifs qui s'attachent à l'annulation, par le présent arrêt, de la décision du 22 novembre 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants, impliquent seulement que ce dernier réexamine la demande d'indemnisation de Mme A... veuveD... ; que par suite, les conclusions de cette dernière tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de saisir le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour qu'il procède à l'évaluation des préjudices de toute nature subis par son époux et celles présentées par la Caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie française tendant à ce que la Cour constate qu'elle est subrogée dans les droits de la victime et qu'elle a exposé au bénéfice de M. D...la somme de 26 667 525 Francs XFP, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article

L. 761-1 et de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il ya lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le remboursement de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du même code à verser à Mme A... veuveD..., et la somme de 1 000 euros à verser à la Caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie française au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1200032 du 22 juin 2012 du Tribunal administratif de la Polynésie française et la décision du 22 novembre 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de la défense de réexaminer la demande d'indemnisation de Mme A... veuve D...sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans un délai de 6 mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... veuve D...la somme de 2 000 euros et à la Caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et remboursera à Mme A... veuve D...la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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N° 10PA03855

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N° 12PA03090


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 12PA03090
Date de la décision : 23/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-10-23;12pa03090 ?
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