Vu le recours, enregistré le 13 août 2012, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1007343 du 27 avril 2012 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par l'article 1er de ce jugement, le tribunal a déchargé la SCI CDM des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que des intérêts de retard correspondants qui lui ont été assignés au titre de l'année 2003 ;
2°) de rejeter la demande de la SCI CDM présentée devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de rétablir la SCI CDM au rôle de l'impôt sur les sociétés et de la contribution additionnelle à cet impôt au titre de l'année 2003 à raison des droits et des pénalités dont la décharge a été prononcée en première instance pour un montant de 819 437 euros ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 juin 2014 :
- le rapport de Mme Notarianni, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Egloff, rapporteur public ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SCI CDM, constituée le
14 décembre 1999 avec pour objet social l'acquisition de biens immobiliers à exploiter dans le cadre de leur location, a acquis le 23 juillet 2002 un terrain à bâtir comportant un hangar, sis à Chauray (79) pour un prix de 1 219 592,10 euros ; qu'elle a fait construire sur ce terrain un ensemble immobilier comprenant 260 emplacements de stationnement et un bâtiment commercial d'une surface hors oeuvre nette de 7 240 m2 ; qu'elle a vendu cet ensemble immobilier le 1er octobre 2003 à la société DKR Participations pour un montant de 6 563 648 euros TTC ; qu'elle a déclaré en tant que société immobilière non soumise à l'impôt sur les sociétés le bénéfice, s'élevant à 2 013 212 euros, résultant de cette vente ; que l'administration fiscale, estimant que la SCI CDM avait réalisé cette opération dans le cadre d'une activité de marchand de biens au sens des dispositions du 1° bis du 1 de l'article 35 du code général des impôts, a assujetti cette société à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2003 sur le fondement du 2 de l'article 206 dudit code ; que, par un jugement n° 1007343 du 27 avril 2012, le Tribunal administratif de Paris a déchargé la SCI CDM des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution additionnelle à cet impôt et des intérêts de retard y afférents et a rejeté les conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes ; que le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour d'annuler ledit jugement en tant seulement que, par son article 1er, le tribunal a déchargé la SCI CDM des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que des intérêts de retard correspondants, et de rétablir la SCI CDM au rôle de l'impôt sur les sociétés et de la contribution additionnelle à cet impôt au titre de l'année 2003 pour un montant de 819 437 euros ;
Sur l'assujettissement de la SCI CDM à l'impôt sur les sociétés :
2. Considérant, en premier lieu, que l'article 205 du code général des impôts soumet à l'impôt sur les sociétés les personnes morales désignées à l'article 206 du même code ; que, selon le 2 dudit article 206, sous réserve des dispositions de l'article 239 ter du même code, les sociétés civiles sont également passibles de l'impôt sur les sociétés, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 du code général des impôts ; que, par ailleurs, si les dispositions de
l'article 239 ter du même code écartent l'application des dispositions susmentionnées du 2 de l'article 206 aux sociétés civiles ayant pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, il est constant que la société CDM n'avait pas un tel objet social ; qu'elle entrait ainsi dans le champ des dispositions susmentionnées des articles 205 et 206 du code général des impôts, sans qu'il importe qu'elle avait réalisé en fait une opération de vente d'immeubles en état futur d'achèvement ;
3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 35 du code général des impôts : " I. Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières ou qui, habituellement, souscrivent, en vue de les revendre, des actions ou parts créées ou émises par les mêmes sociétés. (...) 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'application du régime d'imposition relatif aux bénéfices industriels et commerciaux est subordonnée à la réalisation à titre habituel et dans une intention spéculative des opérations qu'elles mentionnent et qu'une telle intention doit être recherchée à la date de l'acquisition des biens immobiliers, fonds de commerces ou titres concernés, et non à la date de la cession ;
4. Considérant, d'une part, en ce qui concerne l'intention spéculative, qu'il résulte de l'instruction que, moins d'un mois après l'acquisition du terrain en cause par la SCI CDM le 23 juillet 2002, une assemblée générale ordinaire de cette société a donné le 16 août 2002 tous pouvoirs à son gérant pour signer tout document de vente en l'état futur d'achèvement et que, par un courrier en date du 30 septembre 2003 adressé à l'administration fiscale, le gérant de la SCI CDM a indiqué expressément que cette société " [avait] pour objet l'acquisition d'un terrain à Chauray pour y construire un ensemble commercial en vue de le revendre " ; que, si la SCI CDM allègue qu'elle n'avait pas d'intention spéculative lorsqu'elle a commencé les démarches en vue de l'acquisition de terrain et qu'elle s'est trouvée contrainte à la vente du fait d'un refus tardif des banques de lui accorder le financement nécessaire à l'opération patrimoniale de construction en vue de la location, elle ne produit, en tout état de cause, aucun élément permettant de retenir que, postérieurement à la date de l'acquisition du bien, date à laquelle l'intention spéculative est, ainsi qu'il vient d'être dit, établie, elle aurait été contrainte de renoncer au projet allégué de construction en vue de la location ;
5. Considérant, en second lieu, en ce qui concerne la condition d'habitude, que l'administration établit par la production d'un extrait d'acte de vente notarié du 29 mars 2001 que la SCI CDM a, antérieurement à l'opération litigieuse, effectué une précédente opération d'acquisition d'un bien en 1999, suivie d'une revente en 2001 en qualité de marchand de biens d'un immeuble sis à Touques pour un montant de 304 898 euros, l'acte en cause précisant expressément que " la présente mutation n'entre pas dans le champ d'application de la loi du
19 juillet 1976 (...) relative aux plus-values immobilières. En effet, le vendeur déclare : qu'il agit en qualité de marchand de biens (...) " ; qu'au surplus, la SCI CDM ne conteste pas que son associé unique et gérant, M. A... B..., avait déposé au titre de son activité de marchand de biens une déclaration n° 2031 pour l'année 2003 au cours de laquelle est intervenue la cession litigieuse, se bornant à alléguer, sans l'établir, qu'il aurait cessé d'exploiter son activité de marchand de biens plusieurs années auparavant ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que la société CDM, contrairement à ce qu'elle soutient, réalisait à titre habituel des opérations de marchand de biens mentionnées au 1° du I de l'article 35 du code général des impôts ; que, par suite, la société requérante entrait dans le champ de l'impôt sur les sociétés en application des dispositions susmentionnées de l'article 205 et du 2 de l'article 206 du même code, sans qu'il importe qu'elle n'aurait pas également réalisé à titre habituel les opérations de construction-vente mentionnées au 1 bis du I de l'article 35 du code général des impôts ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir, en s'appuyant notamment sur des pièces produites pour la première fois en cause d'appel, que c'est à tort que les premiers juges ont retenu, pour prononcer la décharge des impositions en litige, que l'administration n'établissait ni le caractère habituel de l'opération, ni son caractère spéculatif ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCI CDM devant le tribunal administratif ;
8. Considérant, à cet égard, au préalable, que, si la société CDM reprend expressément en appel l'ensemble des moyens qu'elle a produits devant les premiers juges tant en matière d'impôt sur le revenu que de taxe sur la valeur ajoutée, il y a lieu d'écarter comme inopérants en ce qui concerne les impositions en litige devant la Cour l'ensemble des moyens produits en première instance au soutien de ses conclusions à fin de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes, en l'absence d'appel incident de la SCI CDM contestant le rejet desdites conclusions par les premiers juges ;
Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
9. Considérant, d'une part, que la SCI CDM ne peut utilement, pour contester son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, se prévaloir des termes de l'article L. 110-1 du code de commerce, dont il ressort que l'activité de construction-vente est de nature civile et non commerciale, dès lors que les dispositions de l'article 205 susmentionné du code général des impôts soumettent expressément à l'impôt sur les sociétés, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, les personnes morales désignées au 2 de l'article 206 du même code, parmi lesquelles les sociétés civiles se livrant à une exploitation ou à des opérations visées
aux articles 34 et 35 du code général des impôts ;
10. Considérant, d'autre part, à supposer que la SCI CDM ait entendu soulever un tel moyen, que cette société n'est pas fondée à soutenir que l'administration doit être regardée comme ayant acquiescé à la nature civile de son activité du seul fait qu'elle a accepté le dépôt de ses déclarations 2072 et que ses statuts ont été enregistrés et déposés au tribunal de commerce, ou qu'une telle nature lui serait opposable de ce fait ;
En ce qui concerne le bénéfice de la doctrine :
11. Considérant que la SCI CDM ne peut, en tout état de cause, s'agissant de l'application de l'article 35 du code général des impôts, utilement se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine contenue dans le paragraphe 10 de l'instruction 4 A 6 03 n° 75 du 23 avril 2003, qui est relative à l'application des articles 44 sexies, 44 octies et 44 decies du code général des impôts et dans les prévisions de laquelle elle n'entre donc pas ;
Sur l'application de l'intérêt de retard :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " Le défaut ou l'insuffisance dans le paiement ou le versement tardif de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts donnent lieu au versement d'un intérêt de retard qui est dû indépendamment de toutes sanctions " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'intérêt de retard mis à la charge de la SCI CDM était dû du seul fait de l'absence de paiement en temps utile des cotisations d'impôt sur les sociétés dont il résulte de ce qui précède qu'elle était redevable ; que, dans ces conditions, la SCI CDM ne peut utilement se prévaloir, pour contester cette pénalité, de ce qu'elle n'a pas fait l'objet d'un rehaussement de son résultat ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a déchargé la SCI CDM des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que des intérêts de retard correspondants qui lui avaient été assignés au titre de l'année 2003 ; que, par suite, il y a lieu d'annuler l'article 1er du jugement n° 1007343 du 27 avril 2012 du Tribunal administratif de Paris et de remettre à la charge de la SCI CDM les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que les intérêts de retard correspondants auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2003, à hauteur des montants déchargés par le Tribunal administratif de Paris ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1007343 du 27 avril 2012 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que les intérêts de retard correspondants auxquels la SCI CDM a été assujettie au titre de l'année 2003 sont remis à la charge de cette société à hauteur des montants déchargés par le Tribunal administratif de Paris.
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N° 11PA00434
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N° 12PA03532