Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 1er août 2011, présentée pour
la société Socinter/Socopa International, dont le siège est Tour Maine Montparnasse, 33 avenue du Maine à Paris Cedex 15 (75755), par Me A...B...;
La société Socinter/Socopa International demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0915262 du 9 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 22 juillet 2009 par laquelle l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé le paiement d'une somme de 144 246,35 euros sous trente jours ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles ;
Vu le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ;
Vu le code civil ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code des douanes ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 décembre 2013 :
- le rapport de M. Romnicianu, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Ferrer, avocat de la Société Socinter/Socopa International, et de Me Alibert, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;
1. Considérant que, par un courrier en date du 22 juillet 2009 adressé à la société Socinter/Socopa International, le directeur général de FranceAgriMer, au motif que, sur la base d'une fausse déclaration de quantités exportées de bovins vivants à destination de la Turquie, cette société avait perçu des restitutions à l'exportation indues, lui a demandé le paiement d'une somme totale de 144 246,35 euros, soit 50 970,32 euros au principal, au titre des montants indûment versés, 74 461,28 euros au titre des sanctions prévues à l'article 11 du règlement (CEE) n° 3665/87 susvisé et 18 814,74 euros au titre de la majoration de 15% prévue à
l'article 23 dudit règlement ; que la société Socinter/Socopa International interjette régulièrement appel du jugement en date du 9 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur la prescription des sanctions infligées :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 susvisé : " ... 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. " ; Qu'aux termes de l'article 3 de ce règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme. La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. (...) 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2." ; que l'article 4 de ce règlement dispose : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu: - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. / 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d'intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. / 3. Les actes pour lesquels il est établi qu'ils ont pour but d'obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l'espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l'obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l'avantage, soit son retrait. / 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. " ; qu'aux termes de l'article 11 du règlement (CEE) n° 3665/87 susvisé : " 1. Lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable, la restitution due pour l'exportation en cause est la restitution applicable au produit effectivement exporté, diminuée d'un montant correspondant: a) à la moitié de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée; b) au double de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable, si l'exportateur a fourni intentionnellement des données fausses " ; qu' enfin, aux termes de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans " ;
3. Considérant que, pour écarter le moyen tiré de la prescription de l'action de FranceAgriMer, les premiers juges ont estimé que s'appliquait le délai de prescription trentenaire de droit commun prévu à l'article 2262 du code civil ; qu'à cet égard, ils ont notamment jugé que ce délai de prescription était applicable tant à l'action en recouvrement, au titre de la répétition de l'indu, des sommes que l'office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), auquel s'est substituée FranceAgriMer, avait versées à la société Socinter/Socopa International à titre de "restitutions" pour des exportations de viande bovine à destination de la Turquie qu'aux sanctions et majorations résultant de l'application du règlement (CEE) n° 3665/87 susvisé ;
4. Considérant, cependant, que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas (affaires jointes C-201/10 et C-202/10), s'agissant des restitutions à l'exportation, si les Etats membres ont la possibilité, en application de l'article 3, paragraphe 3, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 susvisé, de fixer un délai de prescription plus long que le délai communautaire de quatre ans, le principe de proportionnalité s'oppose à une prescription d'une durée de trente ans s'agissant des procédures relatives aux remboursements de fonds indûment perçus ; que la Cour a dit pour droit dans le même arrêt que le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription "plus long" au sens de l'article 3, paragraphe 3, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 susvisé puisse résulter d'un délai de prescription de droit commun trentenaire réduit par la voie jurisprudentielle pour que ce dernier satisfasse dans son application au principe de proportionnalité ; que, dans ces conditions, à défaut d'une réglementation nationale spécifique légalement applicable aux faits de la cause et prévoyant un délai de prescription plus long, l'article 3, paragraphe 1, du règlement
(CE, Euratom) n° 2988/95 susvisé, qui prévoit un délai de prescription de quatre ans et demeure directement applicable dans les Etats membres, a vocation à s'appliquer aux actions des organismes d'intervention agricole lorsqu'ils appréhendent une restitution, compte tenu du non-respect de ses obligations par un opérateur économique ;
5. Considérant que, en l'espèce, la société Socinter/Socopa International a présenté le 29 octobre 1996 une demande de paiement de restitutions à l'exportation sur la base de déclarations dont l'organisme payeur a estimé qu'elles étaient entachées d'irrégularités ; que, à la suite d'un contrôle administratif réalisé par le service des douanes françaises, a été notifié à ladite société, le 18 septembre 1998, un procès-verbal d'infraction faisant état de ce que soixante six bêtes manquaient à l'arrivée à destination en Turquie ; que les 23 et 30 mai 2000, deux titres de recettes émis par le directeur de l'OFIVAL ont été notifiés à la société Socinter/Socopa International qui les a contestés le 19 septembre 2000 devant le Tribunal administratif de Paris ; que ce dernier a prononcé l'annulation desdits titres comme pris au terme d'une procédure irrégulière, par un jugement du 14 avril 2005, confirmé par un arrêt de la cour de céans en date du 5 juillet 2007 ; que, par un courrier en date du 18 juillet 2008 adressé à la société Socinter/Socopa International, l'office lui a indiqué qu'il entendait reprendre l'instruction de cette affaire et l'a invitée à formuler ses observations concernant le contrôle administratif dont elle avait fait l'objet de 1996 à 1998 ; que la décision litigieuse a été adoptée le 22 juillet 2009 ;
6. Considérant que, ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal administratif de Paris, le délai de quatre ans de prescription des poursuites a commencé à courir le 29 octobre 1996 ; que ce délai a été interrompu une première fois le 18 septembre 1998, date de notification du procès-verbal d'infraction susmentionné et une deuxième et une troisième fois les 23 et 30 mai 2000, dates de notification des titres de recettes émis par l'OFIVAL, nonobstant l'annulation ultérieure desdits titres par le juge administratif ; qu'en raison de la procédure contentieuse engagée contre ces titres, le délai de prescription des poursuites n'a pu recommencer à courir qu'à compter de l'arrêt de la Cour en date du 5 juillet 2007 ; qu'il s'ensuit qu'à compter de cette date, l'OFIVAL disposait d'un nouveau délai de quatre ans qu'elle a mis à profit en adressant à la société Socinter/Socopa International, le 18 juillet 2008, le courrier mentionné ci-dessus qui l'invitait à formuler ses observations sur les résultats du contrôle administratif dont elle avait fait l'objet de 1996 à 1998 ; que la décision litigieuse qui a suivi, adoptée le 22 juillet 2009, ne saurait donc être regardée comme atteinte par la prescription ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Socinter/Socopa International n'est pas fondée à se plaindre de ce que le Tribunal administratif de Paris a estimé que les sanctions litigieuses n'étaient pas prescrites ;
Sur le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait émettre de nouveaux titres de recette postérieurement à l'annulation prononcée par le juge administratif :
8. Considérant que l'annulation par le juge administratif des titres de recette émis par l'OFIVAL, pour un motif de procédure, est sans influence sur le bien-fondé de la créance détenue par cet office ; que, dès lors, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait à l'OFIVAL d'émettre de nouveaux titres de recette ;
Sur l'erreur de fait dont serait entachée la décision litigieuse :
9. Considérant que, à l'appui de son moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur de fait, dès lors que, selon elle, six cent quatre-vingt-dix-neuf animaux seraient arrivés vivants en Turquie, la société Socinter/Socopa International se prévaut d'une attestation, établie le 14 octobre 1996 par le conseiller économique et commercial de l'ambassade de France à Ankara, censée établir l'arrivée de la marchandise ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi le 18 septembre 1998 par l'administration des douanes françaises, en l'espèce la direction nationale des enquêtes douanières, que le 28 janvier 1996, le commandant du navire a déclaré la mort de soixante-six bêtes à l'arrivée en Turquie, parmi lesquelles trente avaient été abattues en urgence à bord et trente-six étaient décédées en attente de débarquement et au cours du déchargement ; que les autorités douanières turques ont confirmé qu'à la suite d'un contrôle physique lors du débarquement des bovins, seuls six cent trente-trois animaux vivants avaient été reconnus à l'importation en Turquie ; que ces éléments sont notamment corroborés par l'indemnisation versée le 12 juillet 1996 au client turc pour la marchandise non arrivée, la déclaration du commandant du navire en date du 28 janvier 1996 et la télécopie transmise le
26 janvier 1996 par un salarié de la société requérante, informant celle-ci de la mort de
quarante-cinq bêtes ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'attestation susmentionnée, qui, au demeurant, est relative à la vente de six cent quatre-vingt-dix-neuf animaux vivants à un acquéreur dénommé "la société locale Aytac", alors que la transaction sur la base de laquelle a été effectué le transport litigieux concernait la vente par la société requérante de six cent quatre-vingt-dix-neuf animaux vivants à la société turque Betafood ; que, par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait dont serait entachée la décision attaquée doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Société Socinter/Socopa International n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Socinter/Socopa International et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Socinter/Socopa International une somme de
2 000 euros à verser à FranceAgriMer sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Socinter/Socopa International est rejetée.
Article 2 : La société Socinter/Socopa International versera à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 11PA03559