Vu la requête, enregistrée le 26 décembre 2012, présentée pour M. et Mme A...B..., demeurant..., par le cabinet J.C.V.B.R.L. ; M. et Mme B... demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1108391/6-3 du 5 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou, à titre subsidiaire, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices qu'ils ont subis en raison de la naissance et du décès de leur fille ;
2°) à titre principal, de condamner l'AP-HP à leur verser à chacun la somme de
150 000 euros en réparation de leur préjudice moral et à Mme B...la somme de
60 165 euros en réparation des pertes de gains subies par elle, sauf à déduire les indemnités journalières perçues ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'ONIAM à réparer ces mêmes préjudices au titre de la solidarité nationale en conséquence d'un accident médical ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP ou de l'ONIAM les entiers dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 novembre 2013 :
- le rapport de M. Marino, président,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Tsouderos, avocat de l'AP-HP ;
1. Considérant que Mme B...a donné naissance le 10 juillet 2000 à un premier enfant qui a développé, à l'âge de six mois, la leucodystrophie de Krabbe, maladie génétique rare et extrêmement grave qui atteint le système neurologique, pour laquelle il n'existe aucun traitement, dont il est décédé le 11 novembre 2001 à l'âge de seize mois ; qu'après le diagnostic de cette maladie chez leur enfant, M. et Mme B...ont été soumis à des tests génétiques qui ont révélé, en avril 2001, qu'ils étaient tous les deux porteurs hétérozygotes de la maladie ; que Mme B...étant de nouveau enceinte, un test de diagnostic prénatal par biopsie de trophoblastes a été réalisé, dont le prélèvement a été analysé par le laboratoire du service de pathologie métabolique et génétique de l'hôpital Cochin, relevant de l'AP-HP, qui a dosé l'activité enzymatique à l'aide d'un substrat artificiel ; que, le 22 décembre 2002,
M. et Mme B...ont été informés que le résultat était normal et que le foetus était exempt de la maladie de Krabbe ; que, cependant, leur fille Lou, née le 2 juin 2003, a commencé à développer des signes de cette maladie à l'âge de quatre mois ; qu'un nouveau dosage de l'activité enzymatique sur substrat artificiel a été effectué, qui a conclu au même résultat que le précédent contrôle ; que, compte tenu des symptômes de l'enfant et du contexte génétique familial, un contrôle sur substrat naturel a été demandé par l'hôpital Necker à un laboratoire lyonnais, qui a posé de façon certaine un diagnostic positif de la maladie de Krabbe pour Lou ; que, le 28 juin 2004, M. et Mme B...ont saisi en référé le Tribunal administratif de Paris d'une demande d'expertise médicale, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du président du Tribunal du 19 juillet 2004 et qui a donné lieu le 15 novembre 2004 au dépôt d'un rapport ; que Lou B...est décédée le 3 juillet 2005 ; que les requérants ont porté plainte auprès du Tribunal de grande instance de Paris pour tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service et sur les risques inhérents à l'utilisation d'un produit ; que cette procédure pénale a donné lieu à un second rapport médical du 9 janvier 2008, complété le
24 septembre suivant, et un non-lieu a été prononcé le 10 mars 2011 ; que M. et Mme B...ont saisi le Tribunal administratif de Paris le 10 mai 2011 d'un recours indemnitaire dirigé contre l'AP-HP et l'ONIAM ; qu'ils interjettent régulièrement appel du jugement du 5 novembre 2012 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande ;
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ; que le régime particulier de responsabilité défini par ces dispositions s'applique à l'ensemble des actes tendant au diagnostic de malformations foetales et à l'information relative à ces actes, notamment à la fiabilité des tests et études génétiques sur la foi desquels une grossesse ayant conduit à la naissance d'un enfant porteur d'un handicap non décelé a été engagée ou poursuivie ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il existe deux méthodes de dosage enzymatique pour diagnostiquer la maladie de Krabbe, l'une sur substrat naturel, l'autre sur substrat artificiel ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions des experts désignés dans le cadre de la procédure pénale, que le substrat naturel n'a jamais été commercialisé et doit être fabriqué par les utilisateurs ; que sa fabrication artisanale est lourde et complexe, qu'elle requiert un matériel de synthèse chimique qui n'était déjà plus commercialisé en 2002, et nécessite une autorisation ministérielle en raison de la présence d'éléments radio-actifs dans sa composition, que son accès est ainsi réservé à un très faible nombre de laboratoires dans le monde et que, pour ces raisons, les laboratoires s'orientent depuis de nombreuses années vers l'utilisation de substrats artificiels, la méthode de dosage enzymatique sur substrat naturel étant progressivement abandonnée ; que le substrat fluorogénique artificiel utilisé par l'hôpital Cochin pour réaliser le test prénatal et le premier test post-natal est un substrat mis au point en 1992 ; qu'il est commercialisé ; que la méthode de dépistage de la leucodystrophie de Krabbe au moyen de ce substrat a été validée par la communauté scientifique ; que, si ce substrat a été élaboré par référence au substrat naturel plus ancien, cette circonstance n'impliquait pas nécessairement de procéder à la recherche de l'activité enzymatique du foetus au moyen d'un substrat naturel, alors même que c'est cette méthode qui a permis d'identifier la pathologie de Lou après sa naissance, dès lors que le recours à un substrat fluorogénique artificiel, analogue au substrat naturel, était conforme aux données alors acquises de la science médicale, le cas du diagnostic de Lou B...illustrant pour la première fois une faiblesse potentielle de la technique de dosage sur substrat artificiel ; que les experts missionnés par le président du Tribunal administratif de Paris ont d'ailleurs estimé que la technique de dosage enzymatique sur substrat artificiel, employée par l'hôpital Cochin au cours de la grossesse de MmeB..., paraissait appropriée puisqu'elle avait mis en évidence le déficit de l'activité enzymatique chez son premier enfant ; que si M. et Mme B...contestent l'utilisation du substrat artificiel à l'occasion d'un diagnostic prénatal, il résulte de l'instruction que l'utilisation en phase prénatale et post-natale de ce substrat pour Lou avait abouti au même résultat ; qu'en outre, bien que la notice d'utilisation du substrat artificiel n'envisage son utilisation qu'en phase post-natale, les Dr Daffos, Ponsot et Muller, experts désignés dans le cadre de la procédure pénale, indiquent notamment dans leur rapport complémentaire qu'il n'y a pas de contre-indication pour utiliser le substrat artificiel en phase prénatale, et l'ensemble des experts font état de son utilisation au cours de cette phase par des laboratoires français ou étrangers ; que, par suite, ni le choix de la méthode de dépistage retenue par l'hôpital Cochin, ni sa mise en oeuvre en phase prénatale, ne sont constitutifs d'une faute caractérisée de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP ;
4. Considérant, en second lieu, que, d'une part, les informations sur la fiabilité du résultat d'un examen prénatal ne doivent être communiquées que si ce résultat est affecté d'une marge d'erreur inhabituelle pour ce type d'examen ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, il résulte tant des conclusions des experts désignés par le tribunal administratif que de celles des experts désignés par le tribunal de grande instance que les risques inhérents à l'utilisation du substrat artificiel n'étaient pas connus à la date à laquelle il a été décidé de réaliser le test prénatal sur le foetus dont Mme B...était porteuse ; que, d'autre part, l'hôpital Cochin ne disposait d'aucune donnée sur la fiabilité comparative des tests sur substrats naturel et artificiel et il n'existait aucune publication scientifique faisant état d'une restriction quant à l'utilisation du substrat artificiel pour analyser l'activité de la beta-galactocérébrosidase ; que, par suite, le centre hospitalier n'a pas commis de faute caractérisée en n'informant pas M. et Mme B...de ce que la méthode de dosage enzymatique sur substrat artificiel n'était pas d'une fiabilité certaine et de l'existence d'une autre méthode sur substrat naturel ;
Sur les conclusions dirigées contre l'ONIAM :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire " ;
6. Considérant que le handicap de LouB..., porteuse d'une maladie génétique dès sa conception, n'est pas directement imputable à la défaillance invoquée du substrat artificiel, celui-ci n'ayant ni provoqué, ni aggravé son handicap ; qu'en conséquence, les conditions requises pour obtenir une indemnisation sur le fondement de la solidarité nationale n'étant pas remplies, les conclusions de M. et Mme B...dirigées contre l'ONIAM doivent être rejetées ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'AP-HP ou de l'ONIAM à réparer leurs préjudices du fait de la naissance de leur fille handicapée ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. et
Mme B...et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme B...une somme sur le fondement des mêmes dispositions ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font également obstacle à ce que l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée aux dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'AP-HP présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
''
''
''
''
2
N° 12PA05089