Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2010, présentée pour Mlle Laetitia A, demeurant ..., par Mes Agulhon et Védie ; Mlle A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0618227 du 7 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2012 :
- le rapport de M. Bossuroy,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Agulhon, pour Mlle A ;
1. Considérant que Mlle A, mannequin et comédienne qui résidait alors en Grande-Bretagne, a été imposée à l'impôt sur le revenu au titre des années 2001 et 2002, en application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts, sur les sommes reçues par la société néerlandaise Fintage Talent BV, dont elle était salariée et à qui elle avait concédé ses droits à l'image et au nom, en contrepartie, d'une part, de prestations réalisées par la contribuable en France et, d'autre part, de l'exploitation de ces droits, respectivement dans la catégorie des traitements et salaires et dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; que Mlle A relève appel du jugement du 7 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu correspondantes ainsi que des pénalités y afférentes ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. II. / Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France " ; que l'administration a estimé que ces dispositions étaient applicables à Mlle A dès lors que l'intéressée n'avait pas établi que la société Fintage Talent BV exerçait de manière prépondérante une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de services ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du Traité instituant la Communauté européenne, applicable aux années d'impositions en litige : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. / 3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : / a) de répondre à des emplois effectivement offerts ; / b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres ; / c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux ; / d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements d'application établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi " ; qu'aux termes de l'article 49 du même traité : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation " ; qu'il résulte de ces stipulations, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, en premier lieu, qu'une restriction à la liberté de circulation des travailleurs ou à la liberté de prestation de services ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, en deuxième lieu, que la lutte contre l'évasion fiscale est au nombre de ces objectifs légitimes compatibles avec le Traité que les Etats membres peuvent poursuivre et répond à une raison impérieuse d'intérêt général et, en dernier lieu, que, pour ce qui concerne la justification tirée de l'objectif de prévenir l'évasion fiscale, ne peuvent être admises que les restrictions répondant à la nécessité de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels dans le but d'éluder l'impôt dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national ; que, par suite, les dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts, lorsqu'elles restreignent la liberté de circulation des travailleurs ou la liberté de prestation de services, ne sont compatibles avec les stipulations du Traité instituant la Communauté européenne qu'en tant qu'elles font obstacle à de tels comportements ;
4. Considérant, d'une part, que l'application à l'égard de Mlle A des dispositions de l'article 155 A est de nature à restreindre la liberté de circulation dont elle disposait en tant que salariée de la société Fintage Talent BV, société établie aux Pays-Bas, dès lors que, si elle avait été employée par une société établie en France, elle n'aurait pas été imposée, comme elle l'a été, dans la catégorie des traitements et salaires, sur les sommes reçues par son employeur à raison de son travail en France, mais seulement sur les rémunérations, d'un montant inférieur, versées par son employeur ; que l'application à son égard des mêmes dispositions est également de nature à restreindre la liberté de prestation de services dont elle disposait en tant que personne exerçant une activité indépendante de concession de droits, dès lors que, si elle avait concédé la licence d'exploitation de ses droits à l'image et au nom à une société établie en France, elle n'aurait pas été imposée comme elle l'a été, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le montant des redevances tirées de l'exploitation de ces droits reçues par la société Fintage Talent BV, mais seulement sur les sommes, d'un montant inférieur, reversées par le licencié ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction et notamment des indications non contredites de la requérante ainsi que des pièces produites par elle, que la société Fintage Talent BV, créée en 1986 à l'initiative de la banque Fortis et reprise ensuite au sein d'un groupe détenu et dirigé par deux personnes spécialisées dans la gestion d'actifs dans le domaine des industries culturelles, a pour activité de faciliter l'activité professionnelle d'artistes du spectacle ou de sportifs qui sont ses salariés, notamment par la recherche de contrats leur permettant de réaliser leurs prestations, par la gestion et la protection de leurs droits et par le conseil pour le développement de leur carrière ; que cette société dispose, à cette fin, d'un effectif de plusieurs personnes employées à la gestion des engagements pris au nom des artistes du spectacle ou des sportifs qui lui sont liés par contrat ; qu'il ressort de ces éléments que la société Fintage Talent BV ne peut être regardée comme ayant été créée en tant que montage purement artificiel dans le but de permettre à Mlle A d'éluder l'impôt dû à raison de ses activités en France ; qu'il suit de là que l'administration n'était pas en droit d'appliquer les dispositions de l'article 155 A pour imposer Mlle A dans la catégorie des traitements et salaires et dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mlle A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2010 est annulé.
Article 2 : Mlle A est déchargée des cotisations d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002.
Article 3 : L'Etat versera à Mlle A la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 10PA04573