Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février et 19 mars 2010, présentés pour M. Sofiane A, demeurant actuellement à ..., par Me Boesel ; M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0711781 du 4 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2007 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés prolongeant de quatre mois sa mesure de placement à l'isolement d'office prise à son encontre le 1er juin 2004 ;
2°) d'annuler cette décision pour excès de pouvoir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mai 2011 :
- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot, rapporteur,
- les conclusions de Mme Vidal, rapporteur public,
- et les observations de Me Di Mayo, pour M. A ;
Sur la régularité du jugement :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M. A a, par une décision du garde des sceaux, en date du 5 juin 2007, été maintenu à l'isolement pour la période courant du 14 juin au 14 octobre 2007 avant que, par une décision du 20 août 2007, ce dernier n'en prononce la levée en raison de l'état de santé de l'intéressé ; que, d'une part, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, la levée de la prolongation du placement à l'isolement de l'intéressé n'a pas eu pour effet de retirer la décision en litige mais a seulement eu pour conséquence de la priver d'effet pour l'avenir en l'abrogeant ; que, d'autre part, eu égard aux circonstances que la décision litigieuse a été partiellement exécutée, a produit des effets sur la situation du requérant et à l'intérêt juridique que présentait la demande de M. A, le Tribunal administratif de Paris ne pouvait juger qu'elle était devenue sans objet et prononcer un non lieu à statuer sans entacher son jugement d'irrégularité ; qu'il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande de l'intéressé devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur le fond :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article D.283-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : Tout détenu sauf s'il est mineur peut être placé à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité, soit sur sa demande, soit d'office. / La décision de placement à l'isolement est prise pour une durée de trois mois maximum. Elle peut être renouvelée pour la même durée. / Il peut être mis fin à la mesure d'isolement à tout moment par l'autorité qui a pris la mesure ou qui l'a prolongée, d'office ou à la demande du détenu. / Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité particulière et de son état de santé ; qu'aux termes de l'article 283-1-7 du même code, créé par le décret du 21 mars 2006 et entré en vigueur le 1er juin 2006 : Lorsque le détenu est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut, par dérogation à l'article D.283-1, décider de prolonger l'isolement pour une durée de quatre mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur régional qui recueille préalablement les observations du chef d'établissement et l'avis écrit du médecin intervenant à l'établissement. / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ; qu'aux termes de l'article R.57-9-9 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : Pour l'application des dispositions de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 aux décisions prises par l'administration pénitentiaire, le détenu dispose d'un délai pour préparer ses observations qui ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où il est mis en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat ou du mandataire agréé, s'il en fait la demande. / L'administration pénitentiaire peut décider de ne pas communiquer au détenu, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession lorsqu'ils contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des établissements pénitentiaires ou des personnes ;
Considérant que le prolongement du placement à l'isolement de M. A, ayant été décidé contre son gré, constitue une mesure de police destinée à prévenir les atteintes à la sécurité publique ; que s'il appartient au garde des sceaux d'examiner si le comportement du détenu, apprécié à la date de la décision, révèle des risques de troubles incompatibles avec son retour au régime ordinaire de détention, il lui incombe de fournir toutes indications susceptibles de permettre au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé d'une telle mesure ;
Considérant, d'une part, que si, pour justifier la prolongation du placement à l'isolement prononcée à l'encontre de M. A, le garde des sceaux se prévaut de sa présumée implication, en qualité d'organisateur, dans l'évasion d'un détenu de la maison d'arrêt de Fresnes en mars 2003, du retentissement médiatique de cette affaire ainsi que de son impact au sein de l'organisation pénitentiaire, de sa participation au mouvement de protestation en novembre 2004 à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy en qualité de meneur, des suspicions de préparatifs d'évasion lors de son incarcération à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy en septembre 2006 et de la découverte d'un coupe - boulon dans sa cellule de la maison d'arrêt de Villepinte au mois de mai 2005, il ne produit aucune pièce de nature à établir ses allégations ; qu'ainsi, non seulement la fiche pénale jointe au dossier ne fait mention d'aucune mise en examen du requérant au titre de l'évasion d'un détenu de la maison d'arrêt de Fresnes pour laquelle il n'a jamais été ni convoqué ni entendu par les magistrats instructeurs, mais elle permet d'établir que M. A ne se trouvait pas à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy au mois de septembre 2006, date à laquelle il aurait été suspecté de projeter son évasion ; qu'en outre, le dossier ne contient aucun compte - rendu d'enquête ni aucun rapport, notamment disciplinaire, sur les faits reprochés à l'intéressé et tirés notamment de sa participation, au mois de novembre 2004, à un mouvement de protestation, au sein de la maison d'arrêt de Bois d'Arcy, en qualité de meneur et à la découverte d'un coupe - boulon sans sa cellule de la maison d'arrêt de Villepinte au mois de mai 2005 alors que l'intéressé a toujours prétendu qu'il avait été découvert dans une cellule voisine ; qu'ainsi, et sans que le garde des sceaux puisse utilement se prévaloir des dispositions de l'article R. 57-9-9 du code de procédure pénale, les faits reprochés à M. A ne peuvent être regardés comme matériellement établis ;
Considérant, d'autre part, que les motifs tirés de ce que M. A appartient à un réseau de grande criminalité et de son champ relationnel ne sont pas suffisants pour justifier, à eux seuls, la prolongation de la mise à l'isolement de l'intéressé comme étant l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement pénitentiaire au sein duquel il a été écroué, alors que le garde des sceaux n'a versé au dossier aucune pièce établissant un risque d'évasion du requérant ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que la décision du garde des sceaux est entachée d'excès de pouvoir ; que, toutefois, à la date du présent arrêt, le garde des sceaux ayant prononcé la levée de cette décision, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D É C I D E :
Article 1er : le jugement n° 0711781 du 4 décembre 2009 du Tribunal administratif de Paris et la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 5 juin 2007 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.
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N° 10PA00652