Vu la requête, parvenue en télécopie au greffe de la Cour le 9 juin 2009 et régularisée par la production de l'original le 10 juin 2009, présentée pour la société FROMAGERIE PAUL RENARD dont le siège est Moulin Royer à Flogny-la-Chapelle (89360), par Mes Tournes et Bertacchi ; la société FROMAGERIE PAUL RENARD demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 0901930, 0901904, 0901934 du 3 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices financiers qu'elle a subis résultant de la mise en oeuvre des modalités édictées par l'Etat à la suite de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
2°) de prononcer la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 151 878,39 euros, majorée des intérêts moratoires et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 de finances rectificative pour 1993 ;
Vu l'arrêté du 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter du 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice de l'Union européenne rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 octobre 2010 :
- le rapport de Mme Dhiver, rapporteur,
- les conclusions de M. Egloff, rapporteur public,
- et les observations de Me Bertacchi pour la société FROMAGERIE PAUL RENARD ;
Considérant que la société FROMAGERIE PAUL RENARD fait appel du jugement du 3 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis, de l'année 1993 à l'année 2002, résultant de la mise en oeuvre des modalités de la suppression, prévue à l'article 271 A du code général des impôts, de la règle dite du décalage d'un mois en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et résultant, d'une part, du mécanisme de remboursement différé de la créance, d'autre part, de la rémunération insuffisante de cette créance provenant des taux de 4,5 %, 1 % et 0,1 % successivement fixés par arrêtés du ministre chargé du budget pour les intérêts échus en 1993, puis à compter du 1er janvier 1994 et du 1er janvier 1995 ; qu'elle demande à la Cour la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 151 878,39 euros, majorée des intérêts légaux et de leur capitalisation, correspondant à la différence entre le montant des intérêts effectivement perçus et le montant des intérêts calculés au taux de 9 % et subsidiairement au taux légal, ainsi qu'à un préjudice accessoire ;
Sur la régularité du jugement et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens relatifs à la régularité du jugement :
Considérant que les premiers juges, qui ont examiné le moyen tiré de ce que le dispositif mis en place pour accompagner la suppression de la règle dite du décalage d'un mois constituait une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que ce dispositif portait au droit du contribuable au respect de ses biens une atteinte méconnaissant les stipulations de l'article 1er susmentionné ; qu'il y a lieu dès lors d'annuler, pour ce motif, le jugement attaqué, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société FROMAGERIE PAUL RENARD devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur la demande d'intérêts moratoires présentée sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quant un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. / Lorsque les sommes consignées à titre de garanties en application des articles L. 277 et L. 279 doivent être restituées en totalité ou en partie, la somme à rembourser est augmentée des intérêts prévus au premier alinéa. Si le contribuable a constitué des garanties autres qu'un versement en espèces, les frais qu'il a exposés lui sont remboursés dans les limites et conditions fixées par décret ;
Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne visent que les remboursements effectués au profit d'un contribuable en conséquence d'un dégrèvement prononcé par le juge de l'impôt ou par l'administration chargée d'établir l'impôt et consécutif à la présentation, par ce contribuable, d'une réclamation contentieuse entrant dans les prévisions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que les modalités selon lesquelles l'Etat a remboursé à la société requérante sa créance résultent uniquement de la mise en oeuvre des dispositions de l'article 271 A, alors en vigueur, du code général des impôts et des décrets et arrêtés pris pour leur application ; que, par suite, le remboursement de ladite créance ne peut être regardé comme procédant d'une décision de dégrèvement prononcée à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, ni même comme procédant d'une demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée assimilable à une réclamation contentieuse ; qu'eu égard à ce qui précède, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'objet de l'article 271 A aurait été limité aux seuls dommages et intérêts et n'aurait pu concerner les modalités d'octroi d'intérêts destinés à réparer des délais observés dans le paiement ; que l'instruction 3-D-7-93 du 20 juillet 1993 commentant la compensation en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui n'est pas invocable sur le terrain de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales en l'absence de rehaussement d'imposition, ne comporte, au surplus, aucune disposition relative à l'applicabilité de l'article L. 208 dans la présente espèce ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société FROMAGERIE PAUL RENARD n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
Sur la demande des intérêts de l'article 1153 du code civil :
Considérant qu'aux termes de l'article 1153 du code civil : Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit (...) ;
Considérant que les dispositions des trois premiers alinéas de l'article 1153 du code civil, selon lesquelles celui qui est tenu de restituer une somme indûment reçue doit les intérêts de cette somme à compter du jour de la sommation de payer, s'appliquent, sauf disposition législative spéciale, en cas de retard pris par une personne publique à exécuter une obligation consistant dans le paiement d'une somme d'argent ; que, toutefois, ces dispositions ne peuvent être utilement invoquées par un contribuable lorsqu'une disposition législative prévoit des modalités spécifiques de détermination du taux d'intérêt d'une dette de l'Etat ; qu'en l'occurrence, les dispositions du II de l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993, reprises sous l'article 271 A du code général des impôts, ont eu pour effet de déroger au principe posé par l'article 1153 du code civil ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement demander le bénéfice des dispositions dudit article ;
Sur la mise en cause de la responsabilité pour faute de l'Etat :
Considérant que, par les dispositions de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, le législateur a mis fin à la règle dite du décalage d'un mois , selon laquelle les assujettis ne pouvaient déduire immédiatement de la taxe sur la valeur ajoutée dont ils étaient redevables la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services, la déduction ne pouvant être opérée que le mois suivant ; qu'afin d'étaler sur plusieurs années l'incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l'imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d'effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soit les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, insérant dans le code général des impôts un article 271 A, ont prévu que, sous réserve d'exceptions et d'aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une déduction de référence (...) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent , que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables une créance (...) sur le Trésor (...) convertie en titres inscrits en compte d'un égal montant , que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir à hauteur de 10 % au minimum pour l'année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (...) et dans un délai maximal de vingt ans , et, enfin, que les créances porteraient intérêt à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement, dès 1993, de la totalité des créances qui n'excédaient pas 150 000 F et d'une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l'excédaient, le taux d'intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d'intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu'enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées, et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;
En ce qui concerne les conclusions relatives aux années 1993 à 1999 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ; que selon l'article 2 de cette même loi : La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 de la même loi : L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ;
Considérant que les dispositions précitées s'appliquent à l'ensemble des dettes de l'Etat, y compris lorsque la créance est fondée sur une méconnaissance des engagements internationaux ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, elle avait la possibilité de contester les dispositions mettant fin à la règle dite du décalage d'un mois dès leur publication en 1993 ; que l'intéressée a, en outre, eu connaissance, pour les années en cause, des taux d'intérêt appliqués à la créance qu'elle détenait sur le Trésor public, au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date respectivement des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 ; que, dès lors, la requérante, qui n'établit pas que l'administration aurait eu une attitude trompeuse qui l'aurait empêchée d'agir, ne pouvait légitimement ignorer l'existence du préjudice et de la créance dont elle se prévaut ainsi que le montant de cette créance ; qu'elle ne saurait, par suite, valablement soutenir que, la publication du décret du 13 février 2002 lui ayant permis de constater qu'elle avait subi un préjudice définitif et la créance de taxe sur la valeur ajoutée n'étant pas exigible avant cette date, la prescription quadriennale n'avait pu courir avant ladite publication ; qu'elle ne saurait pas davantage soutenir que seule l'intervention d'une décision de la Cour de Justice de l'Union européenne en date du 25 octobre 2001 lui aurait permis de constater l'existence de son préjudice ; que la créance indemnitaire dont se prévaut la société requérante, qui est relative à la réparation du préjudice financier né de la rémunération insuffisante de la créance qu'elle détenait sur le Trésor, est distincte de celle constituée par les intérêts qui lui ont été versés par l'Etat en application des arrêtés mentionnés ci-dessus au cours des années 1994 à 1996 ; que celle-ci n'est par suite pas fondée à se prévaloir de l'interruption de prescription visée au quatrième alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 relative à toute émission de moyen de paiement, même si celui-ci ne couvre qu'une partie de la créance ; que les arrêtés en date des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 ainsi que le décret du 13 février 2002 n'ont pas constitué des communications écrites de l'administration ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, interruptives de prescription au sens du cinquième l'alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ; qu'en outre, la société requérante, qui disposait de la possibilité de saisir du litige le tribunal administratif compétent, n'est pas fondée à soutenir que la prescription qui lui est opposée porterait atteinte au droit au recours effectif prévu par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention, à la possibilité de faire valoir les droits qui lui sont reconnus par les règles communautaires ou au principe de l'égalité de traitement ; que la société requérante n'ayant pas été privée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, et alors même que la prescription quadriennale lui serait opposable, du droit au recours effectif, le moyen tiré de ce que l'impossibilité de se prévaloir de l'inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 1968 porterait atteinte à ce droit ne peut qu'être écarté ; qu'enfin, la société FROMAGERIE PAUL RENARD n'est pas fondée à soutenir que le recours pour excès de pouvoir formé par un autre contribuable et dirigé contre le décret susmentionné en date du 13 février 2002 aurait interrompu la prescription de sa créance, dès lors que le dommage allégué, qui tient à l'insuffisante rémunération des créances de taxe sur la valeur ajoutée des entreprises, est propre à chacune d'entre elles ;
Considérant que, dans la réclamation préalable datée du 30 décembre 2003, la société FROMAGERIE PAUL RENARD a exclusivement sollicité le versement d'intérêts moratoires sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; que cette réclamation n'a pas eu pour effet d'interrompre la prescription ; que la réclamation préalable datée du 12 janvier 2004, par laquelle la requérante a demandé la réparation d'un préjudice financier au titre des années 1993 à 2002 en invoquant une faute de l'Etat, a été reçue par l'administration le 14 janvier 2004 ; que la prescription était, dès lors, acquise au profit de l'Etat, pour les sommes réclamées au titre de chaque annuité jusqu'au 31 décembre 1999 ; que c'est, par suite, à bon droit que l'administration a opposé l'exception de prescription quadriennale aux conclusions de la société requérante relatives aux années 1993 à 1999 ;
En ce qui concerne les conclusions relatives aux années 2000 à 2002 :
Considérant, en premier lieu, que le moyen présenté au cours de l'instance devant le tribunal administratif, tiré par la société requérante de ce que les modalités de rémunération des créances sur le Trésor public résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ne seraient pas compatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, procédait de la même cause juridique que le moyen, développé dans sa demande préalable et dans sa demande introductive d'instance devant le tribunal administratif, tiré de l'incompatibilité de ces mêmes dispositions avec celles des articles 17 et 18 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, qui mettait également en cause la compatibilité avec les engagements internationaux de la France des arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996, par lesquels le ministre chargé du budget a fixé les modalités de rémunération des créances susmentionnées à compter du 1er janvier 1994 ; qu'il suit de là que la fin de non recevoir opposée en première instance par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, tirée de ce que ce moyen constituerait une demande nouvelle irrecevable, doit être écartée ;
Considérant, en deuxième lieu, que, selon l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires applicable au présent litige, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible et que, selon l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, la déduction est opérée par imputation sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance au cours de la même période ; que l'article 28, paragraphe 3, sous d) a toutefois prévu que les Etats membres pourraient, pendant une période transitoire, continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue par l'article 18, paragraphe 2 ; que, par un arrêt du 18 décembre 2007 rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac dans le cadre de la procédure de questions préjudicielles, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la sixième directive ne s'opposent pas au régime transitoire institué par la France à l'occasion de la suppression de la règle du décalage d'un mois autorisée par l'article 28, paragraphe 3, sous d) de la même directive, pour autant qu'il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d'espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ;
Considérant que le décret du 28 janvier 1993 a supprimé, dans un premier temps, la règle du décalage d'un mois, pour les redevables au forfait et à hauteur de 10 % de la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les biens autres ; que la requérante soutient qu'eu égard à cet abandon partiel de la règle du décalage d'un mois, le dispositif transitoire mis en place par la loi du 22 juin 1993 a entraîné une augmentation de la créance de l'assujetti sur le Trésor et n'a donc pas réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire ; que, toutefois, les dispositions du décret du 28 janvier 1993, ainsi que celles prévoyant la transformation en créance remboursable d'une partie de la taxe sur la valeur ajoutée déductible et la suppression à compter du mois de juillet 1993 du décalage du droit à déduction, constituent des éléments indissociables d'une même mesure permettant un alignement sur le droit commun de la déduction de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en instaurant un tel régime transitoire, qui lui est plus favorable que les règles prévalant antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 1993, dès lors notamment qu'il permet à la créance née de sa mise en oeuvre de produire des intérêts et limite la créance de l'assujetti qui n'est pas immédiatement remboursable au seul montant d'une déduction de référence égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction acquis des mois d'août 1992 à juillet 1993, et alors même qu'un tel système lui serait moins favorable que l'application pure et simple du principe de déduction immédiate prévu par la directive, le dispositif législatif en cause serait contraire aux dispositions des articles 17 et 18 de la sixième directive ainsi qu'aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;
Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance alléguée de l'article 5-2 de la dix-huitième directive du 18 juillet 1989, au motif que la France aurait dû saisir la Commission du texte de loi définitif et de l'ensemble des textes réglementaires d'application en vue de l'harmonisation des textes relatifs aux droits à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, alors qu'elle n'aurait communiqué que le projet de la loi du 22 juin 1993 est, en tout état de cause, sans effet sur le présent litige de nature indemnitaire et se fondant sur une incompatibilité invoquée du dispositif avec le droit communautaire, dès lors que, par son arrêt susmentionné du 18 décembre 2007, la cour de justice a reconnu la compatibilité de ce dispositif ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation ; que les dispositions des 1 à 5 de l'article 271 A du code général des impôts issues du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 n'ont conduit à reporter le remboursement que d'une somme représentant un mois moyen d'excédent de taxe et non de la totalité des excédents qui ont pu être constatés, somme calculée sur une période allant du 1er août 1992 au 31 juillet 1993 et, ainsi, pour les onze douzièmes, antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du 3 du I de l'article 271 du code général des impôts, issue du I de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 et supprimant le décalage d'un mois ; que, s'agissant des assujettis relevant du régime réel normal d'imposition, l'article 8 du décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement immédiat de la totalité des créances n'excédant pas 150 000 F et, à concurrence de 25 %, le remboursement immédiat des créances d'un montant supérieur, avec un minimum de 150 000 F ; que ce texte, dès lors, d'une part, qu'il a garanti aux titulaires d'une créance excédant 150 000 F un remboursement d'un montant au moins égal à cette somme et, d'autre part, qu'il était applicable à l'ensemble des entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et leur a permis d'obtenir le remboursement intégral desdites créances, n'a créé aucune discrimination avec les titulaires de créances d'un montant inférieur et n'a pas eu pour effet de créer une différence de traitement injustifiée entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée selon la taille des entreprises concernées ; qu'en outre, la circonstance que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée concernés par le dispositif de remboursement progressif des créances nées de la suppression du décalage d'un mois avaient la qualité de créanciers de l'Etat n'imposait pas de leur réserver un traitement identique aux autres créanciers de l'Etat, notamment les porteurs d'obligations assimilables du Trésor, qui ne se trouvaient pas dans la même situation ; que les différences de rémunération afférentes aux titres de ces deux catégories de créanciers présentaient ainsi une justification objective ; qu'il suit de là que, si les créances de taxe sur la valeur ajoutée nées de l'instauration d'un régime de déduction immédiate supérieures à un certain montant ont fait l'objet d'un remboursement différé et ont donné lieu à un niveau de rémunération inférieur à celui des taux d'intérêt du marché ou à ceux auxquels peuvent prétendre d'autres catégories de créanciers de l'Etat, la distinction ainsi introduite par le législateur et qui est pertinente au regard des buts poursuivis, n'a pas abouti à des effets disproportionnés au regard des buts poursuivis et ne pouvait être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;
Considérant que les stipulations précitées ne faisaient pas obstacle, en elles-mêmes, à la mise en oeuvre d'un dispositif transitoire destiné à répartir sur plusieurs années la charge de remboursement de la créance née de la suppression de la règle du décalage d'un mois, ni même à ce que la créance sur le Trésor public mentionnée par le II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 fût rémunérée à un taux inférieur à celui applicable aux autres créances sur l'Etat, compte tenu de l'intérêt qui s'attachait à la conciliation de l'instauration d'un régime de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée se rapprochant des règles de droit commun prévues par la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 avec la nécessité de limiter l'impact budgétaire d'une telle mesure ; qu'il suit de là que les dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, en ce qu'elles se bornaient à plafonner à 4,5 % le taux de rémunération des créances sur le Trésor public résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n'étaient pas, par elles-mêmes, contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en va de même des dispositions de l'arrêté du 15 avril 1994 fixant à 4,5 % le taux d'intérêt rémunérant ces mêmes créances, dès lors que, compte tenu notamment de l'origine de ces créances, elles préservaient un juste équilibre entre le respect des biens des contribuables et les motifs d'intérêt général avancés par l'administration, sans que la requérante puisse utilement faire valoir que ces dispositions ont pour objet de procurer un enrichissement sans cause à l'Etat ;
Considérant, toutefois, eu égard notamment au caractère incessible des créances mentionnées à l'article 271 A du code général des impôts et au délai dans lequel ces dernières ont été remboursées, que les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au respect de la propriété privée faisaient obstacle à ce que le ministre chargé du budget arrêtât, sur le fondement des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, un taux de rémunération de cette créance aboutissant à une dépréciation de celle-ci en termes réels ; qu'il suit de là qu'en fixant, par l'arrêté du 15 mars 1996, un taux de 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995, correspondant à un niveau de rémunération quasi-nul, et en maintenant ce taux pour les intérêts dus au titre des années 2000 à 2002, alors même que la part non encore remboursée des créances sur le Trésor revêtait un caractère de plus en plus résiduel, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité; que, par suite, la société requérante est fondée à demander réparation du préjudice qu'elle a subi à ce titre ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de la rémunération à laquelle la société requérante pouvait prétendre en la calculant, compte tenu de l'origine de la créance et de la nécessité de concilier une rémunération effective de cette créance avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure sur la base d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor, soit respectivement 2,70 %, 2,50 % et 2,40 % pour les années 2000, 2001 et 2002 ; qu'il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, de condamner l'Etat, en réparation du préjudice résultant, pour la société requérante, de l'insuffisante rémunération de sa créance, à verser à la société FROMAGERIE PAUL RENARD une indemnité d'un montant correspondant à la différence entre la rémunération calculée sur cette base et celle, calculée sur le fondement du taux d'intérêt de 0,1 %, qui lui a été allouée au titre des intérêts échus au cours des années 2000 à 2002 ; que la requérante ne justifie pas du préjudice complémentaire qu'elle allègue pour porter sa demande à un total de 151 878,39 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, d'une part, que la société requérante a droit aux intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée à compter du 14 janvier 2004, date de réception de sa demande d'indemnisation par l'administration ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut, toutefois, prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société requérante a demandé la capitalisation des intérêts le 7 mai 2004 ; que cette demande prend effet à compter du 1er janvier 2006, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société FROMAGERIE PAUL RENARD et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 0901930, 0901904, 0901934 du 3 avril 2009 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société FROMAGERIE PAUL RENARD une somme calculée selon les modalités ci-dessus définies, majorée des intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2004 Ces intérêts seront capitalisés à la date du 1er janvier 2006 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à la société FROMAGERIE PAUL RENARD une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des demandes de la société FROMAGERIE PAUL RENARD devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
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N° 09PA03450