Vu la requête, enregistrée le 11 février 2008, présentée pour M. Daniel A, demeurant ...), par Me Dreyer, avocat ; M. A demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0212815 du 28 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1991, 1992 et 1993 ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966, modifiée ;
Vu la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et les réserves émises par la Suisse ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 mai 2010 :
- le rapport de M. Niollet, rapporteur,
- les conclusions de M. Gouès, rapporteur public,
- et les observations de Me Dreyer, avocat de M. A ;
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré produite le 11 mai 2010 pour M. A ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration s'est vu communiquer le 24 décembre 1999 de façon spontanée par le parquet des procès-verbaux d'interrogatoires de police et de comparutions de M. Daniel A dans le cadre d'une instruction pénale, et qu'elle a, les 22 mai et 4 juillet 2001, exercé son droit de communication auprès des deux juges d'instruction en charge de cette affaire pour obtenir d'autres pièces de la même instruction pénale ; qu'elle a par la suite procédé à un contrôle sur pièces du dossier de M. A et de son épouse, et leur a, le 23 août 2001, notifié des redressements au titre des traitements et salaires, pour les années d'imposition 1991 à 1993, à raison de sommes que M. A avait reconnu avoir reçues d'une filiale suisse du groupe ELF, la société ELF Aquitaine International (EAI), au cours des interrogatoires de police et des comparutions mentionnés ci-dessus ; qu'elle a assorti les impositions supplémentaires des pénalités de mauvaise foi ; que M. A relève appel du jugement du 28 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires et des pénalités qui ont été ainsi établies ;
Sur l'application de la convention franco-suisse signée le 9 septembre 1966 :
Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision fondant l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ;
En ce qui concerne la loi fiscale nationale :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. (...) ; qu'aux termes de l'article 4 B du même code : 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. (...) ;
Considérant qu'il est constant que pendant les années d'imposition en litige M. A avait en France son foyer au sens des dispositions précitées de l'article 4 B du code général des impôts ; qu'ainsi, il était passible de l'impôt sur le revenu en France à raison de l'ensemble de ses revenus ;
En ce qui concerne la convention franco-suisse :
Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la convention franco-suisse susvisée : 1. (...) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans un autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat. 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans le premier Etat si : a) le bénéficiaire séjourne dans l'autre Etat pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de l'année fiscale considérée, b) les rémunérations sont payées par un employeur ou au nom d'un employeur qui n'est pas résident de l'autre Etat ; et c) la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans l'autre Etat (...) ;
Considérant, d'une part, que M. A qui ne soutient pas qu'il aurait exercé ses fonctions pour le compte de la société EAI en Suisse, ne saurait invoquer utilement ces stipulations, pour contester l'imposition en France des sommes qu'il a reçues de cette société ;
Considérant, d'autre part, qu'il ne saurait davantage invoquer l'interprétation que la documentation administrative référencée 14-B-2382, n°1, à jour au 10 décembre 1972, donne de ces stipulations et qui n'est pas différente de celle ci-dessus ;
Sur la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales : A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances ; qu'aux termes de l'article L. 101 du même Livre : L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ; qu'aux termes de l'article L. 170 de ce livre : Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. A, les dispositions précitées de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales ne limitent pas la nature de l'instance devant le tribunal au seul jugement de l'affaire ; qu'en particulier, s'agissant des procédures relevant du juge pénal, l'instruction constitue un des éléments de l'instance devant les tribunaux au sens de l'article précité ; que la doctrine exprimée à la documentation administrative de base référencée 13-L-1212, n° 19, à jour au 1er juillet 1989, ne donne pas une interprétation différente ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'au cours des interrogatoires et des comparutions dont l'administration a obtenu les procès-verbaux, M. A avait expressément reconnu avoir signé au début de l'année 1990 à Genève un contrat avec la société EAI pour une mission d'information et de sécurité dans le golfe de Guinée, pour une durée d'un an, qui a été renouvelé par tacite reconduction jusqu'en 1993 ; qu'il avait également reconnu avoir exercé cette mission en se rendant en Afrique avec des billets d'avion fournis par le groupe ELF, des ordres de mission signés par des représentants du groupe ELF et une prise en charge de ses frais par le groupe ELF ; qu'il avait en outre reconnu avoir reçu 3 000 000 francs entre 1989 et 1993 sur un compte bancaire ouvert au Crédit Suisse à Genève, ne pas avoir retiré ces sommes de ce compte et ne pas les avoir déclarées ; que, contrairement à ce qu'il soutient, même s'il a successivement fait état de montants de 50 000 francs par mois, puis de 83 333 francs, ces informations permettaient à l'administration d'avoir connaissance des montants des sommes reçues, des dates de versement, de leur nature de salaires imposables en France, et de savoir qu'elles n'avaient pas été déclarées, ce que l'administration était d'ailleurs en mesure de vérifier par d'autres moyens ; que la communication spontanée de ces informations par le parquet et l'exercice de son droit de communication par l'administration ont ainsi révélé une insuffisance d'imposition au sens des dispositions précitées de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales ;
Considérant, en troisième lieu, que la circonstance qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'administration s'est d'abord vu communiquer de façon spontanée par le parquet certains procès-verbaux d'interrogatoires et de comparutions, avant d'exercer son droit de communication auprès des deux juges d'instruction afin d'obtenir certains autres éléments de la même instruction pénale, est sans incidence sur le bien-fondé de la mise en oeuvre de la prescription prévue par les dispositions précitées de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 2 de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale : L'entraide judiciaire pourra être refusée : a. si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise (....) comme des infractions fiscales ; qu'il résulte de la réserve à cette disposition exprimée par la Suisse le 5 décembre 1996 que la Suisse se réserve le droit de n'accorder l'entraide judiciaire qu'à la condition expresse que les résultats des investigations faites en Suisse et les renseignements contenus dans les documents et dossiers transmis soient utilisés exclusivement pour instruire et juger les infractions à raison desquelles l'entraide est fournie ; que M. A invoque cette réserve en soutenant que les informations qui ont été transmises à l'administration par l'autorité judiciaire avaient été recueillies par cette autorité auprès des autorités suisses dans le cadre de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale ; que, s'il se réfère au procès-verbal d'un interrogatoire du 13 décembre 1999 qui mentionne une liste des mandataires qui avait été reçue le 29 novembre 1997 par le juge d'instruction, selon M. A en provenance des autorités suisses, ainsi qu'à une note du juge suisse en date du 23 août 2000 qui fait elle-même référence à une documentation bancaire , il n'est pas établi que ces pièces auraient été transmises à l'administration, alors que, dans sa notification de redressement du 23 août 2001, l'administration ne s'est référée qu'aux procès-verbaux des interrogatoires et des comparutions mentionnés ci-dessus et alors que ces procès-verbaux comportaient l'ensemble des éléments sur lesquels elle s'est fondée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ; qu'aux termes de l'article R 57-1 du même livre dans sa rédaction applicable en l'espèce: La notification de redressement prévue par l'article L 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs du redressement envisagé. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la notification ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une notification de redressement doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile ; qu'en revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressement du 23 août 2001 comportait l'indication de l'impôt et des années d'imposition concernés, de la base d'imposition retenue et des motifs de droit et de fait qui étaient notamment tirés de citations des déclarations faites par M. A au cours des interrogatoires et des comparutions mentionnés ci-dessus, pour lesquels l'administration envisageait de soumettre à l'impôt les sommes qu'il avait reçues de la société EAI ; qu'ainsi, elle était suffisamment motivée ;
Considérant, en troisième lieu, que M. A ne saurait utilement soutenir que l'administration l'aurait, en rayant la mention préimprimée à cet effet sur la réponse qu'elle a faite à ses observations, privé de la possibilité de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui n'avait pas compétence pour se prononcer sur un redressement notifié au titre des traitements et salaires ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes de l'article 79 du code général des impôts : Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu. ;
Considérant qu'il est constant que M. A n'a pas déclaré à l'administration fiscale les sommes reçues de la société EAI que l'administration a imposées au titre des traitements et salaires ; qu'il lui appartient de justifier, ainsi qu'il le soutient, que l'imposition dans cette catégorie serait erronée ;
Considérant, en premier lieu, que M. A ne conteste pas avoir conclu un contrat au début de l'année 1990 à Genève avec un représentant de la société EAI, ainsi qu'il l'avait expressément déclaré au cours des interrogatoires et des comparutions mentionnés ci-dessus ; que s'il reproche à l'administration de ne pas avoir produit ce contrat, il lui était loisible en tant que partie à ce contrat de le présenter devant la cour ; qu'au cours de ces interrogatoires et de ces comparutions, il a en outre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, expressément reconnu que le contrat qu'il avait ainsi conclu avec la société EAI avait pour objet une mission d'information et de sécurité dans le golfe de Guinée ; qu'il a également reconnu avoir exercé cette mission en se rendant en Afrique avec des billets d'avion fournis par le groupe ELF, des ordres de mission signés par des représentants du groupe ELF et une prise en charge de ses frais par le groupe ELF ; qu'il percevait une rémunération mensuelle pour accomplir cette mission ; qu'il a enfin reconnu avoir eu l'obligation de rendre compte au dirigeant de la société ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme s'étant trouvé uni à la société EAI par un lien de subordination caractérisant l'exercice d'une activité salariée ;
Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance qu'il a, au cours de ces interrogatoires et de ces comparutions, employé indifféremment les expressions salaires , honoraires et rémunérations à propos des sommes qu'il a reçues, et que la liste des mandataires qui lui a été présentée au cours de ces mêmes interrogatoires et de ces mêmes comparutions employait également l'expression honoraires , est sans incidence sur leur qualification au regard des dispositions précitées de l'article 79 du code général des impôts ;
Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que M. A avait la qualité de fonctionnaire de police, qu'il n'aurait pas été placé en position de détachement par le ministère de l'intérieur, mais aurait été affecté à une mission de sécurité en Afrique, et que la conclusion d'un contrat de travail avec un autre employeur aurait constitué une faute au regard de ses obligations statutaires, est sans incidence sur la qualification des sommes reçues dans le cadre de ce contrat ; qu'ainsi, il n'établit pas que l'administration a, à tort ,imposé les sommes litigieuses en tant que salaires ;
Considérant, enfin, s'agissant du montant des rémunérations si M. A conteste avoir reçu une rémunération au deuxième trimestre de l'année 1993, il ne produit ni les relevés de son compte bancaire ouvert au Crédit Suisse, ni aucune autre pièce de nature à établir ses allégations sur ce point, alors qu'il avait au cours des interrogatoires et des comparutions mentionnés ci-dessus reconnu avoir été rémunéré jusqu'au mois de juin 1993 ;
Sur les pénalités de mauvaise foi :
Considérant qu'en se référant à l'importance des sommes éludées, à la répétition de cette infraction sur plusieurs années et à l'ouverture d'un compte bancaire à l'étranger qui ne lui a pas été déclaré, l'administration établit la mauvaise foi de M. A qui ne saurait utilement faire état de la circonstance que le groupe ELF était une entreprise publique ;
Considérant, qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, qui a suffisamment répondu à ses moyens, notamment en ce qui concerne l'application de la convention franco-suisse, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des impositions en litige ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
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N° 08PA00664
Classement CNIJ :
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