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10/11/2008 | FRANCE | N°05PA01282

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8éme chambre, 10 novembre 2008, 05PA01282


Vu la requête, enregistrée le 24 mars 2005, présentée pour M. Jean-Luc X et Mme Anne-Marie Y épouse X, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille Marion X, demeurant ..., par Me Dartevelle ; M. et Mme X et leur fille demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9210615/6 en date du 15 février 2005 en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leur demande, refusant d'ordonner une expertise complémentaire, et limitant la réparation de leur préjudice propre à la somme de 35 520 euro

s et celle du préjudice de leur fille à la somme de 120 000 euros ;

2°)...

Vu la requête, enregistrée le 24 mars 2005, présentée pour M. Jean-Luc X et Mme Anne-Marie Y épouse X, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille Marion X, demeurant ..., par Me Dartevelle ; M. et Mme X et leur fille demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9210615/6 en date du 15 février 2005 en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leur demande, refusant d'ordonner une expertise complémentaire, et limitant la réparation de leur préjudice propre à la somme de 35 520 euros et celle du préjudice de leur fille à la somme de 120 000 euros ;

2°) d'ordonner une expertise complémentaire complète, leur fille étant désormais majeure et son état consolidé ;

3°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser des indemnités complémentaires de 35 000 euros au titre du préjudice corporel de leur fille, et de 42 185, 70 euros au titre des pertes de salaires subies par Mme X ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de sécurité sociale et le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 octobre 2008 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les observations de Me Tsouderos, pour l'Assistance publique - hôpitaux de Paris,

- et les conclusions de Mme Desticourt, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertises, que Marion X, née le 17 mars 1990 à la maternité du groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, a été transférée, à titre systématique en raison de l'état de santé de sa mère, suivie pour un diabète insulinodépendant, dans le service de néo-natalogie de ce même hôpital, dans lequel elle a contracté une entérocolite virale diagnostiquée le 27 mars 1990 ; que cette affection a nécessité la pose d'un cathéter le 30 mars suivant, et par la suite une alimentation parentérale qui a occasionné, le 7 avril 1990 un accident dû à un pompage défectueux d'une perfusion de soluté glucosé hypertonique ; que les conséquences de cet accident se sont d'abord marquées par un état semi-comateux présent jusqu'au 12 avril 1990, l'enfant ayant quitté l'hôpital le 2 mai suivant ; qu'à la suite d'une plainte contre X déposée le 9 mai 1990 ayant abouti à une première expertise judiciaire par le Dr Z, trois autres expertises ont été ordonnées, confiées chacune au professeur A par le Tribunal administratif de Paris saisi soit en référé, soit au fond, le dernier jugement du 15 février 2005 faisant l'objet du présent appel de la part tant des représentants légaux de Mlle X, à savoir ses parents, que d'elle-même, désormais placée sous le régime de la curatelle ; que la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) n'ayant pas été contestée, la critique du jugement porte tant sur la nécessité d'ordonner une nouvelle expertise que sur les conditions de l'indemnisation ;

Au fond et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la régularité du jugement :

Considérant que, dans son dernier rapport d'expertise remis en juillet 2004, le professeur A, d'une part affirme que l'état neurologique de Marion est stabilisé sur le plan lésionnel, et d'autre part relève que le pronostic d'évolution des capacités cognitives demeure partiellement ouvert et qu'une nouvelle évaluation à 18 ans, sans doute définitive, lui semblerait une solution raisonnable ;

Considérant que, si rien ne s'oppose à ce que le tribunal statue sur les préjudices subis par la victime et susceptibles d'être d'ores et déjà évalués à la date du jugement, l'usage de cette faculté relevant de la libre appréciation du juge, puis renvoie l'intéressée et ses représentants à se pourvoir à une date ultérieure en vue d'une indemnisation complète, le rapport d'expertise susmentionné ne donnait aux premiers juges que très peu d'éléments chiffrés relatifs aux différents préjudices subis par la victime non plus qu'une date de consolidation ; que dans ces conditions, le tribunal ne pouvait statuer qu'en allouant, le cas échéant, de nouvelles provisions, et non de manière définitive ; qu'il y a lieu par suite, d'annuler le jugement attaqué, et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme X et leur fille ;

Sur la perte de chance et la fraction indemnisable des préjudices invoqués :

Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis des chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, les préjudices résultant directement de la faute commise et qui doivent être intégralement réparés ne sont pas les dommages de toute nature constatés, mais la perte de chance d'éviter que ces dommages soient advenus ; que dans cette hypothèse, la réparation qui incombe à l'hôpital doit être évaluée à une fraction des divers préjudices allégués résultant des dommages causés par la faute invoquée, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'en l'espèce, le tribunal administratif ne s'étant prononcé ni sur cette perte de chance, ni, en conséquence, sur la fraction des préjudices susceptibles de faire l'objet d'une indemnisation, invoqués par Melle X et ses représentants légaux, il y a lieu pour la cour de procéder à cette détermination ;

Considérant qu'il résulte des rapports d'expertises, que Marion X est née le 17 mars 1990 de façon légèrement prématurée d'une mère diabétique, et a été, de ce fait, transférée, préventivement et à titre systématique, à 30 minutes de vie dans le service de médecine néonatale de l'hôpital de Port Royal ; que l'évolution a été initialement simple, du 17 au 24 mars, mais que l'enfant a dû être placée, à compter du 24 mars, en nutrition parentérale exclusive en raison d'une entérocolite nécrosante ; que cette nutrition d'abord assurée par un cathéter périphérique, a ensuite, à compter du 30 mars, été réalisé par un cathéter central relié à une pompe IVAC 531, dont le mauvais fonctionnement est à l'origine de l'accident du 7 avril 90 ; qu'alors que les expertises jusque-là diligentées ne se sont prononcées ni sur le lien éventuel de l'infection maternelle à la naissance sur la survenue de l'infection virale à l'origine de l'accident dommageable, ni sur les risques encourus du fait de cette infection eu égard à la technique de soins utilisée, éventuellement en comparaison avec d'autres techniques possibles, il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise, la cour ne pouvant statuer en l'état, dans le but notamment de lui donner des éléments relatifs à l'ampleur de la chance ainsi perdue par la victime ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Considérant que les requérants sollicitent, dans le dernier état de leurs écritures, une indemnité complémentaire provisionnelle de 35 000 euros au titre du préjudice corporel de Mlle Marion X ainsi qu'une somme de 42 185, 72 euros au titre des pertes de salaire subies par sa mère ;

Considérant en premier lieu, qu'eu égard à l'absence au dossier de tous éléments permettant d'évaluer le pourcentage de la perte de chance subie par la victime, il y a lieu en l'état d'accorder à celle-ci une indemnisation de 120 000 euros, sous déduction des provisions déjà versées, cette indemnisation devant être regardée comme le dernier état provisionnel de la réparation des troubles de toute nature à allouer à Mlle Marion X, du fait notamment de la stabilisation de ses lésions neurologiques ; qu'en effet, cette évaluation prend nécessairement en compte le pronostic d'évolution le plus défavorable, tel qu'il ressort des expertises judiciaires déjà réalisées ;

Considérant en deuxième lieu, que Mme X n'établit pas davantage en appel qu'en première instance, le lien de causalité directe ayant existé entre l'état de sa fille et l'obligation dans laquelle elle se serait trouvée d'exercer une activité à temps partiel, alors et surtout qu'il apparaît que cette réduction d'activité a coïncidé avec l'admission de Marion en maternelle, au cours de l'année scolaire 1993-1994 et s'est prolongée pendant la scolarisation en primaire selon des modalités que l'expert a qualifiées d'optimales ; qu'une telle réduction d'activité apparaît dès lors comme un choix de la mère de famille sans rapport direct avec le handicap de son enfant ; que par suite, il ne peut être alloué à Mme X de provisions au titre des pertes de salaires qu'elle prétend avoir dû exposer du fait de l'état de santé de sa fille ;

Considérant en troisième lieu, qu'il sera fait une juste évaluation de la provision à accorder aux époux X pour leur préjudice moral et les troubles dans leurs conditions d'existence, en mettant à la charge du service public hospitalier le paiement, en l'état de l'instruction, d'une somme de 60 000 euros, sous déduction de la provision précédemment allouée à ceux-ci par l'ordonnance en date du 12 octobre 2000 d'un montant de 35 520, 62 euros (soit 233 000 francs), et de celle d'un montant de 15 000 euros résultant de l'ordonnance en date du 23 septembre 2002 ;

Sur la demande d'expertise :

Considérant qu'alors que le rapport de la dernière expertise venait d'être remis quelques mois avant que ne se prononcent les premiers juges, et en l'absence d'aggravation de l'évolution psychomotrice de Marion, ceux-ci ont pu à bon droit rejeter les conclusions à fin d'expertise de la demande, qui n'aurait pu alors que se révéler frustratoire ; qu'au vu cependant des termes de cette même expertise, qui préconise qu'une nouvelle évaluation, « certainement définitive », de nature à améliorer le pronostic notamment en matière de capacité d'insertion sociale et professionnelle, soit réalisée une fois que Marion X aura acquis sa majorité, c'est-à-dire le 17 mars 2008, il y a lieu d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise aux fins précisées ci-après, afin de fixer une date de consolidation, et de décrire l'état de santé de la victime, notamment les séquelles dont elle reste atteinte, son évolution prévisible et ses incidences sur sa vie d'adulte ; que l'expert devra également, ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, se prononcer sur l'ampleur de la chance perdu subie par la jeune patiente ;

Sur les droits de la CPAM de Seine-Saint-Denis :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 19 décembre 2005 : « (...) Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.(...) » ;

Considérant qu'aux termes d'un premier mémoire du 24 juin 2005, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de la Seine-Saint-Denis fait part à la cour de ce qu'une erreur de plume lui a fait indiquer de manière erronée une différence de 2 012, 29 euros au lieu de 2 772, 29 euros entre les prestations servies à Marion X lors de l'intervention de son mémoire daté du 29 novembre 2004 devant le tribunal, et celles déjà remboursées par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris du fait du jugement du 16 mars 2004 pour un montant de 75 216, 29 euros ; qu'il y a donc lieu d'accorder à ladite CPAM la somme de 760 euros portant intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2005, date d'enregistrement au greffe de la cour de son mémoire en réparation ;

Considérant enfin, que, si la caisse fait état dans un dernier mémoire parvenu à la cour le 12 juin 2008, de débours s'élevant alors à un montant total de 84 305, 81 euros, soit une différence de 6 317, 23 euros par rapport aux montants déjà accordés, il y a lieu compte-tenu de l'expertise à ordonner, de réserver ses droits jusqu'à ce qu'il ait été statué complètement sur le préjudice de Mlle X ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les frais d'expertise doivent être mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, dont la responsabilité a été reconnue envers Mlle X ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susmentionné du Tribunal administratif de Paris en date du 15 février 2005 est annulé.

Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser, à titre provisionnel, à M. et Mme X en leur nom propre, au titre de leur préjudice moral et de leurs troubles dans les conditions d'existence, du fait de l'accident survenu à leur fille le 7 avril 1990, une somme totale de 60 000 euros, ainsi qu'à leur fille la somme de 120 000 euros au titre des troubles de toute nature qu'elle a subis du fait de ce même accident, sous déduction des provisions déjà versées à chacun d'eux.

Article 3 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis une somme de 760 euros portant intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2005, en complément de la somme accordée par le jugement du 15 février 2005.

Article 4 : Avant de statuer de manière complète sur les réclamations et demandes présentées par M. et Mme X et leur fille Marion X ainsi que sur les prétentions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, il sera procédé à une nouvelle expertise aux fins de déterminer la date de consolidation de l'état physique de celle-ci, sa capacité future d'insertion sociale et professionnelle, ainsi que la fraction des dommages indemnisables, fonction de l'ampleur de la chance perdue lors de l'accident du 7 avril 1990.

Article 5 : Le collège d'experts sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Pour l'accomplissement de cette mission, il se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de Marion X.

Article 6 : Les experts auront pour mission :

1° d'examiner le lien éventuel de l'infection maternelle à la naissance sur la survenue de l'infection virale à l'origine de l'accident dommageable, ainsi que les risques encourus du fait de cette infection eu égard à la technique de soins utilisée, éventuellement en comparaison avec d'autres techniques qui auraient pu être employées afin de mettre fin à l'entérocolite virale dont elle était affectée, et de fixer un pourcentage représentatif de la chance perdue lors de l'accident du 7 avril 1990,

2° d'examiner la jeune Marion X, décrire son état actuel,

3° d'indiquer quelles sont les perspectives d'évolution de cet état et préciser la date de consolidation de celui-ci, la nature et l'importance des préjudices subis et de quelles incapacités Mlle X restera atteinte,

4° de donner de façon générale toutes informations sur la nature et l'étendue des préjudices subis par Marion X, et de préciser l'évaluation de chacun des préjudices personnels qui ont résulté de l'accident qu'elle a subi le 7 avril 1990,

5° de préciser enfin si, à terme, l'état de Mlle X peut nécessiter le placement dans un institut spécialisé.

Article 7 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 8 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Article 9 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

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N° 05PA01282


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8éme chambre
Numéro d'arrêt : 05PA01282
Date de la décision : 10/11/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PRIVESSE
Rapporteur public ?: Mme DESTICOURT
Avocat(s) : HUYGHE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-11-10;05pa01282 ?
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