Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 février 2006, présentée pour la société anonyme SOCIETE FRANCAISE D'EQUIPEMENT HOSPITALIER (SFEH), dont le siège social est 3 avenue du Président Wilson à Paris (75116), par Me Thory, avocat ; la société SFEH demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0310201/2-2 du 12 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 avril 1995, 30 avril 1996 et 30 avril 1997 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 février 2008 :
- le rapport de Mme Dhiver, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Evgenas, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société anonyme SOCIETE FRANCAISE D'EQUIPEMENT HOSPITALIER (SFEH), qui exerce une activité d'installation d'hôpitaux et de vente de matériel médical, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 30 avril 1995, 30 avril 1996 et 30 avril 1997 ; qu'à l'issue de ce contrôle, la société SFEH a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des trois exercices en litige suite à la réintégration dans les résultats d'une dette inscrite au passif au nom de la société Elf Coopération International (ECI), des provisions constituées en vue de faire face à un risque sur la filiale espagnole IESCA et des intérêts abandonnés sur des avances consenties à la même filiale ; que la société SFEH relève appel du jugement en date du 12 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de ces impositions ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que les premiers juges, après avoir relevé que les redressements relatifs aux provisions pour risque étaient fondés dans la notification de redressement sur la circonstance que la société SFEH ne présentait aucun document l'obligeant à couvrir les dettes de sa filiale, ont estimé que le litige opposant la requérante à l'administration qui portait sur le principe même de la constitution des provisions posait une question de droit sur laquelle la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'avait pas compétence pour se prononcer ; qu'ils n'ont entaché leur jugement d'aucune contradiction de motifs ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant que l'article L. 59 du livre des procédures fiscales confère au contribuable le droit de soumettre à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ses désaccords sur les redressements notifiés en matière de bénéfices industriels et commerciaux, lorsqu'ils portent sur des questions de fait ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration a refusé de soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le différend relatif aux provisions constatées à la clôture des exercices 1995-1996 et 1996-1997, d'un montant respectif de 2 402 000 F et 3 030 353 F, constituées en vue de faire face au risque de pertes sur la filiale espagnole IESCA au motif que, la société SFEH ne justifiant d'aucune obligation à couvrir les dettes de sa filiale, le différend ne posait qu'une question de droit ; que toutefois, dans ses observations formulées par lettre du 4 août 1998 suite à la notification des redressements, la société SFEH fait état, outre sa participation au capital de sa filiale à hauteur de 99,8 % des parts, de son intérêt économique à couvrir les dettes de sa filiale eu égard aux difficultés financières de cette dernière et aux aides importantes qu'elle lui avait consenties sous forme d'avances de trésorerie sans intérêt et en se portant caution de plusieurs crédits ; que, dans sa réponse aux observations du contribuable du 3 mai 1999, le service a notamment contesté la réalité et la portée de ces faits ; qu'ainsi, à la date à laquelle la société requérante a demandé la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, le litige qui l'opposait à l'administration portait sur la situation financière de la filiale IESCA et la justification des aides apportées à cette dernière ainsi que sur la réalité des engagements de caution et sur la probabilité d'exécution de ces engagements ; qu'il s'agit là de questions de fait sur lesquelles la commission départementale a compétence pour se prononcer ; que par suite, en refusant, malgré la demande de la société requérante, de saisir cette commission, l'administration a entaché d'irrégularité la procédure d'imposition suivie sur ce point et la société SFEH est fondée à demander la décharge des suppléments d'imposition résultant de la réintégration dans ses résultats imposables des provisions dont s'agit ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration a également refusé de soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le litige portant sur l'exercice 1994-1995 relatif à une dette envers la société ECI au motif que la reprise de la créance, qui était précédemment détenue par la société Sanofi, n'avait pas fait l'objet des formalités prévues à l'article 1690 du code civil ; que le différend, qui ne porte pas sur la réalité de la dette mais sur l'existence d'une cession de créance au regard des règles du droit civil, pose une question de droit échappant à la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; que, par suite, la société SFEH n'est pas fondée à soutenir que l'administration, en ne donnant pas suite à sa demande de saisine de la commission départementale, a entaché d'irrégularité la procédure d'imposition sur ce point ;
Sur le bien-fondé de l'imposition ;
En ce qui concerne le passif injustifié :
Considérant qu'à l'occasion de la vérification de comptabilité de la société SFEH, l'administration a constaté que cette dernière avait porté au passif du bilan au 30 avril 1995 une dette d'un montant de 2 596 153 F envers la société ECI, correspondant à un prêt que la société Sanofi avait consenti à la requérante par convention du 21 juin 1985 ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la requérante, il lui incombe de justifier des écritures portées sur un compte de tiers ;
Considérant, en second lieu, que la société SFEH soutient que la société Sanofi aurait cédé sa créance à la société ECI ; qu'il est constant que la cession de créance n'a pas fait l'objet des formalités prévues à l'article 1690 du code civil ; que si, pour apporter la preuve qui lui incombe, la société SFEH se prévaut d'un avenant au contrat du 21 juin 1985 conclu avec la société Sanofi prévoyant le transfert de la créance à la société ECI et produit un extrait du procès-verbal du conseil d'administration du 20 janvier 1988 autorisant la signature de cet avenant, ces éléments ne suffisent pas à établir l'existence de la cession de créance ;
En ce qui concerne les avances non rémunérées :
Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts : « Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France », et qu'aux termes de l'article 209-1 du même code : « I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions…. » ; que, lorsque l'administration établit l'existence de faits ou d'écritures comptables qui révèlent un transfert de bénéfices d'une entreprise imposable en France à une entreprise située hors de France, ces dispositions instituent une présomption à l'encontre du contribuable qui, par suite, supporte la charge de prouver, quel que soit le déroulement de la procédure d'imposition, que ces faits ou ces écritures sont justifiés par une gestion normale des intérêts propres à l'entreprise imposable en France ;
Considérant, en premier lieu, que l'administration établit que la société SFEH, a, au cours des trois exercices en litige, accordé des avances sans intérêts à sa filiale espagnole IESCA, dont elle détient 99,8 % du capital ; que ces faits révèlent que la société SFEH a consenti un avantage à sa filiale espagnole et doit ainsi être présumée avoir réalisé, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, un transfert de bénéfices à une entreprise située hors de France ; qu'il lui incombe, dès lors, de prouver que ce transfert comportait pour elle une contrepartie suffisante et avait ainsi le caractère d'un acte de gestion commerciale normale ; que les avances sans intérêts accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : « Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge. Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 » ; qu'en adoptant le premier alinéa de l'article L. 192 précité, éclairé, au demeurant, par les travaux préparatoires auxquels celui-ci a donné lieu, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve du cas prévu au deuxième alinéa du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission et n'a pas, comme le soutient la société requérante, entendu déroger aux principes généraux ci-dessus énoncés en exigeant de l'administration fiscale qu'elle justifie, après avoir démontré l'existence d'un lien de dépendance entre l'entreprise établie en France et celle établie à l'étranger ainsi que l'existence d'un avantage au profit de cette dernière, l'existence d'un transfert de bénéfices, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires a rendu un avis favorable au contribuable ;
Considérant, en dernier lieu, que la société IESCA, qui avait inscrit à son bilan de clôture au 31 décembre 1995 des pertes cumulées sur les exercices antérieurs de 22 383 040 pesetas et une perte sur l'exercice de 27 188 285 pesetas, connaissait au cours de ses premières années d'activité des difficultés ; que, pour combattre la présomption de transfert de bénéfices résultant de l'article 57 précité, la société SFEH fait valoir que le soutien apporté au démarrage de sa filiale présentait pour elle un intérêt dès lors que la création de cette filiale lui ouvrait la perspective d'obtenir des marchés dans les pays d'Amérique latine, qu'elle avait procédé à des augmentations de capital afin d'éviter, eu égard à la législation espagnole, la dissolution de l'entreprise et qu'elle s'était portée caution de la filiale sur plusieurs crédits ; que la société requérante établit ainsi qu'en renonçant à percevoir au titre des exercices 1994-1995 et
1995-1996 des intérêts, d'un montant respectif de 146 551 F et de 380 499 F, elle a agi dans le cadre d'une gestion commerciale normale ; qu'en revanche, eu égard à la situation de la filiale espagnole qui présentait au 31 décembre 1996 un résultat positif de 42 396 641 pesetas, elle n'apporte pas cette preuve s'agissant des avances sans intérêts consenties au cours de l'exercice clos le 30 avril 1997, alors même qu'elle n'aurait pas eu l'intention de lui abandonner définitivement les intérêts et qu'elle les lui a ultérieurement facturés ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société SFEH est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a refusé de prononcer la réduction de ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 30 avril 1995, 30 avril 1996 et 30 avril 1997 à concurrence des montants respectifs de 146 551 F, de 2 782 499 F et de 3 030 353 F ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société SFEH et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les bases de l'impôt sur les sociétés assignées à la société SFEH au titre des exercices clos les 30 avril 1995, 30 avril 1996 et 30 avril 1997 sont réduites des sommes respectives de 146 551 F, de 2 782 499 F et de 3 030 353 F.
Article 2 : La société SFEH est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction des bases d'imposition définie à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 12 décembre 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société SFEH une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société SFEH est rejeté.
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N°06PA00550