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07/12/2007 | FRANCE | N°06PA01714

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7éme chambre, 07 décembre 2007, 06PA01714


Vu la requête, enregistrée le 12 mai 2006, présentée pour la société anonyme ERAMET, dont le siège social est situé Tour Maine Montparnasse 35 avenue du Maine à Paris Cedex 15 (75755), par Me Pierre Le Roux ; la société ERAMET demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9919608/2 du 13 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la réduction de la cotisation initiale à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1990, d'autre part, à la décharge de la cotisation

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Vu la requête, enregistrée le 12 mai 2006, présentée pour la société anonyme ERAMET, dont le siège social est situé Tour Maine Montparnasse 35 avenue du Maine à Paris Cedex 15 (75755), par Me Pierre Le Roux ; la société ERAMET demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9919608/2 du 13 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la réduction de la cotisation initiale à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1990, d'autre part, à la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1991 et des pénalités dont cette cotisation a été assortie ;

2°) de prononcer cette réduction et cette décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 novembre 2007 :

- le rapport de M. Dalle, rapporteur,

- les observations de Me Pierre Le Roux , pour la société anonyme ERAMET,

- et les conclusions de Mme Isodoro, commissaire du gouvernement ;

Sur les impositions en litige :

En ce qui concerne la déduction des dividendes versés à la société ERAP :

Considérant qu'aux termes de l'article 214 A, alors en vigueur, du code général des impôts : « I 1. Pour la détermination du bénéfice servant de base à l'impôt sur les sociétés, les sociétés françaises qui, avant le 1er janvier 1991, se constituent ou procèdent à des augmentations de capital peuvent, si elles remplissent les conditions indiquées au II, déduire les sommes effectivement allouées à titre de dividendes aux actions ou parts représentatives des apports en numéraire correspondant à ces opérations. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 1988, la déduction prévue au premier alinéa est limitée à 53,4 p. 100 des dividendes alloués aux actions ou parts représentatives des apports en numéraire. Toutefois, pour les constitutions ou les augmentations de capital réalisées à compter du 1er janvier 1983, les dividendes allouées aux actions ou parts détenues par des sociétés ou d'autres organismes dont la participation dans le capital de la société distributrice est égale ou supérieure à 10 % ou dont le prix de revient de la participation est au moins égal à 150 millions de francs ne bénéficient pas de la déduction (…) Cette déduction demeure cependant possible si la société ou l'organisme participant est passible de l'impôt sur les sociétés en France au taux de droit commun, à raison de ces dividendes et renonce pour ceux-ci au régime des sociétés mères et filiales prévu aux articles 145 et 216 » ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société ERAMET a demandé, par voie de réclamation contentieuse, la restitution d'une fraction de l'impôt sur les sociétés qu'elle avait acquitté au titre de l'année 1990 en faisant valoir qu'elle était en droit de bénéficier de la déduction prévue par l'article 214 A du code général des impôts, qu'elle avait omis d'opérer, à raison des dividendes qu'elle avait distribués au cours de l'exercice 1990 à la société ERAP en rémunération des droits sociaux que celle-ci avait acquis par souscription en numéraire à deux augmentations de capital effectuées par elle en 1987 et 1988 ; que l'administration a fait droit à cette demande en ce qui concerne les dividendes correspondant aux actions émises ou dont le montant nominal avait été majoré lors de l'augmentation de capital réalisée par la société ERAMET en 1988 mais l'a rejetée, s'agissant des dividendes attachés aux actions concernées par l'augmentation de capital de 1987, au motif que la société ERAMET, dont le capital était détenu à hauteur de 70 % par la société ERAP et qui entrait par suite dans le champ de l'exception au bénéfice de la déduction prévue par les dispositions précitées de l'article 214 A, ne justifiait pas que la société ERAP avait renoncé, pour les dividendes en cause, au régime des sociétés mères et filiales ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 214 A que la déduction des dividendes qu'elles prévoient est subordonnée à la condition, dans le cas où plus de 10 % du capital de la société distributrice est détenu par la société ou l'organisme participant, que ceux-ci aient renoncé, pour les dividendes distribués, au régime des sociétés mères et filiales ; qu'en l'espèce, la société requérante n'a apporté la preuve de cette renonciation par la société ERAP, laquelle détenait 70 % de son capital, qu'en ce qui concerne les seuls dividendes se rapportant aux titres émis ou dont le montant avait été majoré lors de l'augmentation de capital effectuée en 1988 ; que l'administration était en droit, par suite, comme elle l'a fait, de limiter à ces dividendes la déduction dont pouvait bénéficier la requérante sur le fondement de l'article 214 A et de refuser cette déduction pour les dividendes afférents aux titres émis lors de l'augmentation de capital effectuée en 1987 ; que, dès lors et sans qu'il y ait lieu d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée par la requérante, à qui il appartenait d'établir qu'elle remplissait les conditions prévues par le texte pour pouvoir bénéficier de la déduction qu'il instituait, les conclusions à fin de restitution présentées par la société ERAMET doivent être rejetées ;

Considérant que la requérante ne peut, en tout état de cause, se prévaloir des instructions administratives des 2 mai 1988 et 30 mai 1990 publiées au bulletin officiel des impôts sous les références 4 H-6-88 et 4 H-9-90, dès lors qu'elle demande la réduction d'une imposition primitive et que ces instructions, qui visent les sociétés mères et non les filiales, ne contiennent aucune interprétation d'un texte fiscal dont elle aurait pu elle-même faire application, conformément au deuxième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; qu'en outre ces instructions ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation susceptible de justifier la déduction de dividendes versés à une société qui n'a pas renoncé au régime des sociétés mères à raison de ces versements ;

En ce qui concerne la déduction des dividendes versés par la société Citifunds :

Considérant que la société ERAMET détenait dans la société de droit anglo-saxon enregistrée à Jersey, Channel Islands Transatlantic Investment Funds Limited (Citifunds), une participation s'élevant à 154 935 000 F au 31 décembre 1990 et à 166 752 000 F au 31 décembre 1991, soit respectivement 0,0008 % et 0,0005 % du capital ; que cette société, dont l'activité consistait à opérer des placements financiers, était exonérée d'impôt sur les bénéfices ; que la société ERAMET, qui bénéficiait au cours de cette période du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, a soustrait de son bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés de l'année 1991 le dividende, d'un montant de 12 373 407 F, distribué cette année-là par la société Citifunds, hormis une quote-part forfaitaire de 5 %, soit la somme de 618 670 F, représentant les frais et charges ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration, estimant que la création et le fonctionnement de la société Citifunds constituaient un abus de droit, a réintégré, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans la base imposable à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 1991, le dividende net d'un montant de 11 754 737 F distribué par la société jersiaise et a assorti la cotisation supplémentaire correspondante de la pénalité prévue par l'article 1729 du code général des impôts ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : “ Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : … b) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus… L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien ;fondé du redressement ” ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Considérant que l'administration fait valoir que la société Citifunds se trouvait sous l'entière dépendance de la Citibank, établissement bancaire à l'origine de sa création, en ce qui concerne tant sa gestion que ses investissements, que la totalité de son actif était constituée de valeurs mobilières, qu'elle n'emploie aucun salarié, n'a pas de local commercial, ne possède aucune immobilisation corporelle et n'avait aucune compétence technique en matière de placements financiers, que ses actionnaires n'étaient liés par aucune communauté d'intérêts et qu'ainsi cette société était dépourvue de toute substance ; que l'administration a également relevé que la société Citifunds ne supportait à Jersey aucune imposition sur ses bénéfices et qu'en prenant une participation supérieure à 150 millions de francs dans le capital de cette société, la société ERAMET se plaçait sous le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, tout en évitant l'application de l'article 209 B du même code relatif aux entreprises détenant au moins le quart des actions d'une société étrangère soumise à un régime fiscal privilégié, de sorte à être dispensée en France de tout impôt sur les sociétés, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 5 %, sur les revenus distribués par la société étrangère ; que ces constatations ne sont pas sérieusement contestées par la société ERAMET, qui se borne à soutenir qu'elle a seulement cherché à optimiser le rendement de ses placements financiers en acquérant des titres de la société Citifunds, à la création de laquelle elle n'a pas participé ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce que le montage auquel a participé la société ERAMET, qui a consisté à acquérir une participation dans une société holding jersiaise dépourvue de toute substance dans le seul but d'éluder l'impôt, était constitutif d'un abus de droit ; que la société requérante n'est dès lors pas fondée à demander la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1991 à raison de ce redressement ;

En ce qui concerne la majoration pour abus de droit :

Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : « 1. Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40% si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80% s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L 64 du livre des procédures fiscales (…) 3. En cas d'abus de droit, l'intérêt de retard et la majoration sont à la charge de toutes les parties à l'acte ou à la convention qui sont solidairement tenues à leur paiement » ;

Considérant que l'administration fiscale a assorti le supplément d'impôt sur les sociétés mis à la charge de la société ERAMET au titre de l'année 1991 de la pénalité prévue par le I de l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, de ce que le montage auquel a participé sciemment la société ERAMET, qui a consisté à acquérir une participation dans une société holding dépourvue de toute substance établie dans un « paradis fiscal » dans le seul but d'éluder l'impôt, était constitutif d'un abus de droit ;

Considérant, par ailleurs, que les dispositions du I de l'article 1729, qui proportionnent les pénalités aux agissements du contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci, ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, alors même qu'elles ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation du taux des pénalités qu'elles instituent ; que le moyen tiré de ce que, faute de prévoir cette possibilité de modulation, ces dispositions seraient également contraires aux stipulations de l'article 7 de cette convention ainsi qu'à celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier la portée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société ERAMET n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes en restitution et en décharge ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société ERAMET demande en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : La requête de la société ERAMET est rejetée.

N° 06PA01714 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7éme chambre
Numéro d'arrêt : 06PA01714
Date de la décision : 07/12/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MARTIN LAPRADE
Rapporteur ?: M. David DALLE
Rapporteur public ?: Mme ISIDORO
Avocat(s) : C/M/S/ BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-12-07;06pa01714 ?
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