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09/06/2006 | FRANCE | N°04PA01642

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, Formation plénière, 09 juin 2006, 04PA01642


Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2004, présentée par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0100644/4 en date du 11 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de l'association « congrégation du Vajra Triomphant », la décision implicite, explicitement confirmée le 14 novembre 2000, par laquelle il a refusé de reconnaître à cette association le statut de congrégation ;

2°) de rejeter la demande de l'association « cong

régation du Vajra Triomphant » ;

3°) de condamner l'association « congrégation ...

Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2004, présentée par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0100644/4 en date du 11 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de l'association « congrégation du Vajra Triomphant », la décision implicite, explicitement confirmée le 14 novembre 2000, par laquelle il a refusé de reconnaître à cette association le statut de congrégation ;

2°) de rejeter la demande de l'association « congrégation du Vajra Triomphant » ;

3°) de condamner l'association « congrégation du Vajra Triomphant » à lui verser une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi du 1er juillet 1901 modifiée relative au contrat d'association ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

Vu le décret du 16 août 1901 portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 mai 2006 :

- le rapport de Mme Pellissier, rapporteur,

- les observations de X, présidente de l'association « congrégation du Vajra triomphant »,

- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'association « congrégation du Vajra triomphant » a fait parvenir le

25 mai 2000 au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES une demande de reconnaissance légale en application de la loi du 1er juillet 1901 et du décret du 16 août 1901 ; que cette demande, implicitement rejetée après quatre mois, l'a été explicitement le 14 novembre 2000 ; que cette décision explicite était motivée par référence aux refus opposés par des décisions des 8 juin 1988, 29 mars 1995 et 26 octobre 1997 à des demandes ayant le même objet ; qu'en particulier, la décision du

8 juin 1988 retient que la requérante ne remplissait pas les conditions légales dès lors qu'elle ne pouvait se prévaloir d'être placée sous l'autorité d'un représentant qualifié exerçant sur la communauté un pouvoir juridictionnel comparable à celui - prévu par l'article 19 du décret du 16 août 1901 - de l'évêque sur son diocèse et qu'elle n'était pas rattachée à une « institution qui du fait de sa durée historique, de son développement et de son enseignement, est communément classée parmi les religions universelles » ;

Considérant que le tribunal administratif pour annuler par le jugement attaqué les refus implicite et explicite opposés à la demande du 25 mai 2000 a retenu d'une part que la fin du régime concordataire résultant de la loi du 9 décembre 1905 avait fait perdre toute portée aux dispositions des articles 19 et 20 du décret du 16 août 1901 imposant la soumission de la congrégation à l'autorité épiscopale, ce qui interdisait qu'elles puissent être appliquées à des congrégations non catholiques ; d'autre part que les atteintes qu'aurait portées l'association à l'ordre public et dont le ministre s'était prévalu dans son mémoire en défense, n'étaient pas suffisamment caractérisées ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 13 figurant au titre III de la loi du 1er juillet 1901 susvisée : « Toute congrégation religieuse peut obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d'Etat (...) » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » et de l'article 2 de la même loi : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ;

Considérant qu'en rejetant la demande de la communauté requérante au motif, énoncé dans la décision du 8 juin 1988 et repris devant la cour, qu'elle ne se rattachait pas « à une institution religieuse communément connue, de par sa durée historique, son développement universel et son appartenance au fait religieux », le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES s'est livré à une interprétation des dispositions de la loi du 1er juillet 1901 et de son décret d'application contraire aux principes de laïcité et de non discrimination religieuse énoncés aux articles précités de la Constitution et de la loi du 9 décembre 1905 ; que ses décisions sont donc dans cette mesure entachées d'erreur de droit ;

Considérant cependant, en deuxième lieu, que les articles 16 à 21 du décret du

16 août 1901 qui constitue le texte d'application du titre III de la loi du 1er juillet 1901, précisent le régime des demandes de reconnaissance légale, qui doivent être adressées au ministre chargé des cultes, accompagnées de diverses pièces, telles que des « projets de statuts » comprenant « la soumission de la congrégation et de ses membres à la juridiction de l'ordinaire » selon

l'article 19 et une « déclaration par laquelle l'évêque du diocèse s'engage à prendre la congrégation et ses membres sous sa juridiction » selon l'article 20 ;

Considérant que l'article 38 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat prévoit expressément que les congrégations religieuses demeurent soumises « aux lois du 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904 » ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les dispositions du décret du 16 août 1901, loin d'avoir été implicitement abrogées par la loi du 9 décembre 1905, demeurent applicables, dans la mesure où elles ne sont contraires ni aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 ultérieurement modifiée non plus qu'à des normes ou à des principes supérieurs ;

Considérant que dès lors le ministre n'a pas commis d'erreur de droit, ni dans les circonstances de l'espèce d'erreur de fait, en retenant comme l'un des motifs permettant le rejet de la demande de l'association « congrégation du Vajra triomphant » qu'elle ne justifiait pas être soumise à une autorité religieuse exerçant sur la congrégation et ses membres une juridiction comparable à celle de l'évêque sur les congrégations catholiques du diocèse ;

Mais, considérant qu'il ne résulte ni de la décision du 8 juin 1988 à laquelle il s'est référé dans sa décision explicite en litige du 14 novembre 2000, ni de ses écritures de première instance et d'appel que le ministre, se fût-il fondé sur le seul motif analysé ci-dessus, aurait pris la même décision ;

Considérant toutefois, en troisième lieu, que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES a fait valoir dès son mémoire en défense devant le Tribunal administratif de Paris que la décision implicite comme la décision explicite litigieuses étaient également fondées sur un autre motif, tiré des troubles à l'ordre public causés par l'association « congrégation du Vajra triomphant » et qu'il aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif ;

Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

Considérant que le fait que certaines modalités d'organisation ou certains agissements d'un groupe de personnes ayant prononcé des voeux et vivant en commun suivant une règle approuvée par une autorité religieuse troublent l'ordre public s'oppose à ce que l'association qui représente cette communauté puisse bénéficier de la reconnaissance légale attachée au statut de congrégation ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la communauté demanderesse célébrait son culte sur la colline de la Baume à Castellane où avaient été édifiées, dans un site protégé et par des personnes ou associations célébrant le même culte, de nombreuses constructions et statues ne respectant pas la législation de l'urbanisme ; que malgré le rejet par la Cour de cassation, le 19 septembre 2000, du pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel

d'Aix-en-Provence en date du 15 juin 1999 ordonnant la destruction de la statue, haute de 33 m, du fondateur et « messie » de la communauté demanderesse, aucune disposition n'avait été prise à la date de la décision litigieuse pour faire procéder à cette destruction, qui a dû être effectuée d'office par l'administration en septembre 2001 ; qu'au contraire la communauté demanderesse continuait d'y célébrer son culte et de faire visiter ses installations tout en persévérant dans ses projets de constructions monumentales ; que l'administration pouvait légalement se fonder sur les troubles à l'ordre public résultant de ces agissements pour refuser à la communauté demanderesse la reconnaissance légale prévue par la loi du 1er juillet 1901 ; qu'il ressort des pièces du dossier que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES aurait pris la même décision s'il avait retenu ce seul motif que l'association a été mise en mesure de discuter en première instance comme en appel et dont l'admission ne la prive d'aucune garantie de procédure ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite et la décision explicite litigieuses aux motifs que les dispositions de l'article 19 et 20 du décret du

16 août 2001 avaient été implicitement abrogées et que les atteintes à l'ordre public n'étaient pas caractérisées ;

Considérant cependant qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association requérante devant le Tribunal administratif de Paris ;

Considérant, d'une part, que les décisions litigieuses sont au nombre des décisions dont l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée impose la motivation ; que cependant, selon l'article 5 de cette même loi, une décision implicite intervenue dans le cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation ; que la décision explicite du 14 novembre 2000 était motivée par référence à trois décisions antérieures qu'elle citait et dont il n'est pas soutenu que l'association requérante n'avait pas eu auparavant connaissance ; que ces décisions, notamment la première, datée du

8 juin 1988, étaient suffisamment motivées tant en droit qu'en fait ; qu'ainsi le moyen tiré du défaut de motivation des décisions litigieuses manque en fait ;

Considérant, d'autre part, que si l'article 21 du décret du 16 août 1901 prévoit que « le ministre fait procéder à l'instruction des demandes (...) en provoquant l'avis du conseil municipal de la commune dans laquelle est établie ou doit s'établir la congrégation et un rapport du préfet », cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de lui imposer de recueillir l'avis du conseil municipal avant de rejeter la demande d'une association qui ne remplit pas, notamment parce que ses agissements troublent l'ordre public, les conditions légales pour obtenir le statut de congrégation ; qu'il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES ne se serait pas livré à un examen particulier des circonstances de l'espèce avant de prendre les décisions litigieuses ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite et la décision du 14 novembre 2000 par lesquelles il a refusé à l'association « congrégation du Vajra triomphant » le statut de congrégation prévu à l'article 13 de la loi du 1er juillet 1901 et l'a condamné à verser à cette association une indemnité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner l'association « congrégation du Vajra Triomphant » à verser à l'Etat la somme que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES demande en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 février 2004 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par l'association « congrégation du Vajra Triomphant » devant le Tribunal administratif de Paris et les conclusions du MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

2

N° 04PA01642


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : Formation plénière
Numéro d'arrêt : 04PA01642
Date de la décision : 09/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

21-03 CULTES. ÉTABLISSEMENTS RELIGIEUX. - RÉGIME DES DEMANDES DE RECONNAISSANCE LÉGALE ATTACHÉE AU STATUT DE CONGRÉGATION - APPLICATION DE LA LOI DU 1ER JUILLET 1901 RELATIVE AU CONTRAT D'ASSOCIATION - CONDITIONS REQUISES.

21-03 La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat prévoit expressément, en son article 38, que les congrégations religieuses demeurent soumises notamment au titre III de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Le décret d'application du 16 août 1901 précise le régime des demandes de reconnaissance légale devant être adressées au ministre chargé des cultes, accompagnées des « projets de statuts » comprenant « la soumission de la congrégation et de ses membres à la juridiction de l'ordinaire » selon l'article 19 et une « déclaration par laquelle l'évêque du diocèse s'engage à prendre la congrégation et ses membres sous sa juridiction » selon l'article 20.,,Il en résulte que les dispositions du décret du 16 août 1901 n'ont pas été implicitement abrogées par la loi du 9 décembre 1905 et demeurent applicables dans la mesure où elles ne sont contraires ni aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 ultérieurement modifiée non plus qu'à des normes ou à des principes supérieurs.,,Il appartient dès lors à l'association de justifier être soumise à une autorité religieuse exerçant sur la congrégation et ses membres une juridiction comparable à celle de l'évêque sur les congrégations catholiques du diocèse.


Composition du Tribunal
Président : M. le Prés RACINE
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme FOLSCHEID
Avocat(s) : GAST

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-06-09;04pa01642 ?
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