Vu la requête, enregistrée le 22 janvier 2002, pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS par Me Z... ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 13 novembre 2001 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à payer aux consorts X... la somme de 2 564 000 F en réparation des divers préjudices que leur ont causé le décès de M. Philippe X... ;
2°) de rejeter la demande des consorts X... ;
3°) de condamner les consorts X... à lui payer la somme de 1 524, 49 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2006 :
- le rapport de M. Amblard, rapporteur,
- les observations de Me Y... pour les consorts X...,
- et les conclusions de Mme Helmlinger, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant, en premier lieu, que les premiers juges ont retenu la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS dans le suicide de M. X... au motif que « le professeur Z a commis une faute qui est à l'origine du suicide de M. X... » ; que le moyen tiré de ce que les premiers juges ne se seraient pas prononcés sur l'existence d'un lien de causalité entre les fautes reprochées au professeur Z et le suicide de M. X... manque en fait ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il est fait grief au jugement litigieux de ne pas être suffisamment motivé faute d'indiquer si M. X... avait donné son accord au professeur Z pour que son médecin traitant soit informé de ses conclusions ; que toutefois, il ne ressort pas du dossier de première instance que ce moyen avait été soulevé devant les premiers juges ; qu'il ne saurait donc leur être fait grief de ne pas y avoir répondu ;
Considérant, en troisième lieu, que les premiers juges ont ainsi motivé leur décision relative à l'indemnité accordée aux consorts X... en réparation de leurs préjudices économiques : « Considérant, (...) que Mme X... peut prétendre à 35 % du revenu net de son époux relatif à l'année 1995, soit la somme de 340 217 F ; qu'il y a lieu par suite, compte tenu de la valeur du franc de rente tel que défini par le barème de capitalisation annexé au décret du 8 août 1986, de fixer le montant de la réparation qui lui est due à la somme de 1 370 000 F ; que celui de la réparation due à Melle Juliette X... doit être évalué à la somme de 366 000 F, et celui de la réparation due à Melle Marie X... à la somme de 438 000 F » ; qu'ils ont ainsi indiqué le mode de calcul retenu pour fixer les indemnités allouées au titre du préjudice économique, permettant au juge d'appel de vérifier les éventuelles erreurs de droit ou de fait qu'ils auraient commises ; qu'ils ont suffisamment motivé leur décision sur ce point ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que le jugement entrepris serait irrégulier ;
Sur la responsabilité :
Considérant que le professeur Z, neurologue à l'hôpital de la Salpêtrière, a reçu M. X... en consultation trois fois, début septembre 1995 puis le 17 novembre 1995 et le 5 janvier 1996 ; qu'il lui est fait grief d'avoir commis une erreur de diagnostic en considérant que M. X... était atteint d'une sclérose latérale amyotrophique (SLA) ; qu'il aurait annoncé ce diagnostic erroné sans ménagement à M. X... et sans contacter le médecin traitant et les psychiatres qui suivaient M. X..., en méconnaissance des règles de déontologie ; que ce diagnostic erroné annoncé dans de telles circonstances à un patient atteint de troubles psychologiques graves est la cause directe de son suicide ;
Considérant, en premier lieu, que M. X... était atteint depuis 1994 de troubles psychiatriques qualifiés de « syndrome dépressif avec des quasi délirantes à thème hypochondriaque » qui ont nécessité par deux fois son hospitalisation ; que, lors de sa seconde hospitalisation au mois de juin 1995 au sein du service de psychiatrie de l'hôpital d'Eaubonne, M. X... était décrit comme montrant « une grande maîtrise dans la verbalisation des troubles » ; que son épouse déclarait d'ailleurs au psychiatre dudit hôpital que M. X... était « retors, banalisant tout, manipulant tous les médecins qui peuvent l'approcher... » ; que le professeur Z n'a été informé des troubles psychiatriques de M. X... qu'après le deuxième rendez-vous qu'il a eu avec ce dernier ; que dans ces circonstances, alors que M. X... était lui-même médecin et que les divers examens pratiqués ne permettaient pas d'exclure avec certitude que l'intéressé était atteint d'une sclérose latérale amyotrophique, l'erreur de diagnostic que le professeur Z aurait commise n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, selon les témoignages de son épouse, présente lors de la consultation du 17 novembre 1995, et du docteur B, médecin traitant de la victime, qui avait eu deux entretiens téléphoniques avec le professeur Z, le diagnostic erroné de la sclérose latérale amyotrophique aurait été annoncé par deux fois à M. X..., et ce sans les ménagements et sans la prudence qu'imposait l'état psychique de l'intéressé dont il avait eu connaissance avant la consultation du 5 janvier 1996 ; que, toutefois, ces témoignages se trouvent, au moins partiellement, contredits par le courrier du chef de service de neurologie du centre hospitalier Sainte-Anne en date du 19 décembre 1996 qui suivait M. X..., courrier dont il ressort que ce dernier, postérieurement à la consultation du 17 novembre 1995, lui avait déclaré que le professeur Z « lui avait trouvé des anomalies » sans faire état de l'annonce du diagnostic de sclérose latérale amyotrophique, maladie dont il était pourtant pathologiquement persuadé d'être atteint depuis plusieurs mois ; que, par ailleurs, il peut être reproché au professeur Z, après avoir été informé des troubles de M. X..., de n'avoir discuté du cas de ce dernier qu'avec le professeur C, qui lui avait envoyé son patient, sans avoir également pris les contacts qui s'imposaient avec le médecin traitant et avec les psychiatres qui avaient eu connaître du cas de l'intéressé, ce qui aurait permis utilement d'éclairer son diagnostic ; que, toutefois, les fautes ainsi commises par le professeur Z, pour celles qui sont établies, si elles constituent des manquements au code de déontologie médicale, ne sont pas de nature, eu égard à leur gravité qui doit être appréciée en tenant compte des circonstances de l'espèce, à engager la responsabilité pour faute de service de l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il y a lieu, en tout état de cause, de relever, ainsi qu'il a été dit plus haut, que M. X..., dès le mois de juin 1995, était persuadé d'être atteint de sclérose latérale amyotrophique et exprimait des idées suicidaires ainsi que son intention de vendre la clientèle de son cabinet ; que, d'autre part, près de deux mois se sont écoulés entre le 5 janvier 1996, date de la dernière consultation avec le professeur Z et du 28 février, date du suicide de M. X... ; que, s'il ressort du témoignage déjà mentionné du docteur B que l'état de santé psychique de M. X... se serait aggravé après les consultations lors desquelles le professeur Z aurait annoncé son diagnostic erroné, cette aggravation ne semble pas avoir été telle qu'elle aurait justifié une nouvelle hospitalisation susceptible de prévenir le geste fatal de l'intéressé ; que, dans ces circonstances, le lien de causalité direct entre le suicide de M. X... et les fautes, à les supposer toutes établies, que le professeur Z a commises ne peut être regardé comme certain ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS est fondée à solliciter l'annulation du jugement entrepris ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS, qui n'a pas en l'espèce la qualité de partie perdante, soit condamnée à payer aux consorts X... la somme qu'ils réclament à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu en application de ces mêmes dispositions à condamner les consorts X... à payer à l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS la somme que cette dernière réclame à ce titre ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris nº 9812206/6 en date
du 13 novembre 2001 est annulé.
Article 2 : La requête des consorts X... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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N° 02PA00284